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Chapitre 8 : Juvenilia et Lady Susan

3 Rhétorique

La rhétorique semble être une récréation pour Austen. Elle prend visiblement plaisir à écrire des passages rythmés par des assonances ou des allitérations ou

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d’autres figures de style. Ce procédé existe dans ses romans, mais il est néanmoins utilisé beaucoup moins fréquemment que dans les Juvenilia.

On trouve des passages contenant des allitérations, comme « Patches, Powder, Pomatum & Paint » (MW 7) avec des explosives, « Mrs Watkins was a Lady of Fashion, Family & fortune ; she was in general esteemed a pretty Woman, but I never thought her very handsome, for my part. She had too high a forehead, Her eyes were too small & she had too much colour » (MW 17), avec des fricatives, où Austen s’amuse à donner un rythme particulier à ses phrases. Dans le premier cas, l’effet est comique, chaque mot commençant par un [p] et comprenant également une autre explosive, à savoir, un [t] ou un [d]. Ainsi, Austen accentue l’effet comique de sa phrase où elle se moque d’une jeune fille qui utilise toutes sortes d’artifices pour embellir son visage, car malgré ses efforts, le résultat n’est pas très probant. Dans le deuxième cas, les mots choisis devraient inspirer le respect pour la personne dont on parle. Cependant, dans la même phrase, Austen, qui a donné trois « qualités » à ce personnage, n’hésite pas à dire qu’on ne peut jamais tout posséder. Ainsi, ce personnage n’a visiblement pas un visage harmonieux. Les gens sont tentés de penser la contraire, du fait de son importance et de son influence, et de la trouver jolie. La répétition du son [f] accroît le sens encore le sens des mots. Mais Austen, à travers le narrateur, dément cette impression.

Il existe aussi des passages plus longs dans lesquels Austen s’amuse avec le fond et la forme. Dans l’exemple suivant, Austen crée un comique de répétition. On peut lire dans « Frederic and Elfrida » : « the Door suddenly opened & an aged gentleman with a sallow face & old pink Coat […] was at the feet of the lovely Charlotte » (MW 8). Puis, quelques lignes plus loin, on trouve : « on a second opening of the door a young & Handsome Gentleman with a new blue coat, entered & intreated from the lovely Charlotte, permission to pay to her, his addresses » (MW 8). Le plus jeune des deux hommes étant aussi le plus charmant et le mieux vêtu, il est évident que la préférence de Charlotte va au second. Le manteau rose mentionné est sûrement en brocard, un tissu chatoyant, à la mode avant 1780, et rappelant les tenues de l’ancien régime, et le manteau bleu neuf en laine. On imagine aussi les différences de coupes des deux manteaux. L’homme le plus âgé est resté fidèle aux canons de la mode de l’ancien régime, alors que le plus jeune adhère aux idées de son temps. On note ici le jeu des contrastes entre les deux hommes. Leur âge, leur

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apparence, et leur tenue sont contraires. On souligne aussi ici l’opposition entre le rose et le bleu des tenues, comme on a pu déjà la trouver dans Mansfield Park, le rose correspondant au monde féminin et le bleu au monde masculin. Nous reviendrons plus loin sur la signification d’un manteau bleu.

Il est possible d’analyser ce passage d’une façon différente. « Pink coat » étant le nom donné au manteau rouge porté par les participants d’une chasse à cour, on peut penser que l’homme le plus âgé porte le sien. Il est alors étrange, et un peu ridicule, de venir faire une demande de mariage revêtu d’un habit de chasse. Le premier prétendant peut donc avoir rendu visite à Charlotte juste après une partie de chasse ; il pourrait aussi vouloir lui montrer une facette dynamique de sa personnalité, malgré son âge5. Les habits de chasse bleus étant apparus vers 18296, le plus jeune des deux protagonistes ne porte donc pas d’habit de chasse, mais un traditionnel « morning coat » ou « riding coat ».

On retient aussi une tournure comme « She was not inelegant in her appearance » (MW 198), dans « Catharine ». Austen minimise l’apparence de Miss Stanley, qui est en fait très élégante. Les parents de Miss Stanley sont fort riches (MW 197), et la jeune fille peut s’offrir des robes à la mode et coûteuses. Ses parents sont, eux aussi, habillés à la dernière mode (MW 197). L’auteur utilise une tournure qui minimise les mérites de Miss Stanley afin de souligner une lacune chez cette dernière : malgré la bonne éducation qu’elle a reçue auprès des meilleurs précepteurs, elle n’a pas su tirer le meilleur parti de leurs enseignements. Un manque évident de lecture est à déplorer chez cette jeune personne qui n’a ni goût ni jugement (MW 198). Austen est sévère avec ce personnage et ajoute : « All her Ideas were towards the Elegance of her appearance, the fashion of her dress, and the Admiration she wished them to excite » (MW 198). Déjà dans ses premiers écrits, Austen fustige les personnes qui font de la mode une priorité, d’autant qu’elles négligent la lecture. Austen écrit : « She professed a love of Books without Reading » (MW 198). Camilla Stanley est une ébauche de Lydia Bennet et de Mrs Allen, si l’on ne tient pas compte de la différence de fortune pour la première et de la

5 Ceci n’est pas sans rappeler la comparaison du colonel Brandon et de Willoughby dans Sense and

Sensibility.

6 Cecil Willett Cunnington et Phillis Emily Cunnington, Handbook of English Costume in the 19th

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différence d’âge pour la seconde. Austen fait ici l’apologie de la lecture qu’elle reprendra longuement dans Northanger Abbey.

Le dernier extrait que nous citerons est tiré de la première lettre de « Lesley Castle » dans lequel Austen énumère ce qui caractéristique les femmes pour chaque décennie de leur vie :

Let me rather repeat the praise of our dear little Neice [sic] the innocent Louisa, who is at present smiling in a gentle Nap, as she reposes on the Sofa. The dear Creature is just turned of two years old; as handsome as tho’ 2 & 20, as sensible as tho’ 2 & 30, and prudent as tho’ 2 & 40. To convince you of this, I must inform you that she has a very fine complexion and very pretty features, that she really already knows the two first letters in the Alphabet, and that she never tears her frocks—. If I have not now convinced you of her Beauty, Sense & Prudence, I have nothing more to urge in support of my assertion, […]. (MW 111)

Simultanément, elle vient comparer une enfant de deux ans à une femme, et justifie ses propos avec des arguments et des exemples. Ayant perdu sa jeunesse et sa fraîcheur, n’enrichissant plus sa culture, il ne reste plus à la femme ayant atteint la quarantaine que la mode. A en croire Austen, la plupart des femmes sont bien sottes et n’ont que peu de choses pour se recommander. Ainsi, la mode serait tout ce qu’il reste à une femme de quarante ans pour se mettre en valeur en société. Austen insiste encore lorsqu’elle assimile le fait d’être attentif à sa tenue et d’en prendre soin à de la circonspection. Elle n’en pense rien et fustige ici les femmes superficielles ayant pour unique centre d’intérêt leur propre personne. Austen témoigne ici du manque d’ouverture d’esprit et du manque d’esprit critique auquel on s’expose lorsque l’on néglige la lecture.