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Chapitre 7 : Métalangage de la mode

1 La Mode, marqueur d’époque et des mentalités

1.3 Psychologie

Comme nous l’avons vu, un lien entre l’histoire et le vêtement a d’abord été établi. Puis, la sociologie a permis une approche différente, et complémentaire du phénomène de la mode. Ensuite, un lien d’ordre psychologique lui a succédé dans lequel Barthes a dégagé deux axes. Le premier reprend des travaux menés sous forme de questionnaires auprès d’étudiants américains. D’après ces travaux, le vêtement est l’« expression de soi »30

. Notons que pour Barthes, ces travaux sont des sondages de « prétention modeste »31 qu’il ne fait qu’évoquer. Le deuxième axe, d’ordre « psychanalytique », reprend les travaux de Flügel32

, que nous avons déjà largement cités. En plus de caractériser les fonctions du vêtement, Flügel se penche sur l’éthique du vêtement. Il définit plusieurs types de personnes en fonction de leurs réactions par rapport aux vêtements qu’ils portent. On trouve ainsi « le rebelle, le

30 Estelle De Young Barr, A Psychological Analysis of Fashion Motivation, Thèse d’Université (New York : Columbia University, 1934).

31 Roland Barthes, « Langage et vêtement », 954.

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résigné, le prude, le non-émotif »33, etc. Après s’être intéressé aux variations individuelles, Flügel évoque les « différences sexuelles »34, qui concernent la société dans son ensemble.

Descamps, lui, considère davantage l’individu lorsqu’il nomme les raisons de nos choix vestimentaires :

Individuellement, la mode est un désir de renouveler son apparence, d’attirer l’attention, se parer sexuellement, manifester sa coquetterie avec un érotisme plus ou moins discret, montrer que l’on est jeune, moderne, […], s’identifier à un modèle prestigieux et en même temps s’imposer et se faire obéir en se faisant imiter, se consoler et s’étourdir, faire la fête et faire parader son argent.

Socialement, la mode est un moyen de manifester son appartenance à un groupe (petit) et à la fois son opposition à un autre groupe (plus grand) et plus particulièrement sa position par rapport à l’ordre établi, au pouvoir en pace et à la contestation sociale, de braver l’opinion ou de faire comme les autres, de manifester ses opinions (ou ses pratiques) politiques, religieuses, idéologiques, militaires, […], son statut social […], de franchir des barrières sociales et d’empêcher les enrichis de vous égaler, de se distinguer et d’être distingué (ou d’être snob), de se prouver qu’on appartient à une élite […], de manifester sa richesse en dépensant ou de masquer sa pauvreté […]. Expression ludique, se manifestant par son exubérance et son foisonnement, la mode est un phénomène surdéterminé qui exprime à la fois l’individu, la société, l’inconscient et a une évolution autonome propre.35

La vision de Descamps montre à quel point les vêtements jouent un rôle primordial au niveau du groupe mais aussi au niveau de l’individu. En fait, les deux interagissent en permanence, et l’un ne va pas sans l’autre. Les codes vestimentaires établis par la société pèsent encore lourdement sur les individus à cette époque, puisque, comme dit précédemment, la société anglaise ne devient individualiste qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle. De ce fait, la société dicte encore comment se vêtir pour chaque occasion. Dans les romans de l’auteur, les classes sociales sont par exemple encore très marquées.

Austen assigne aux vêtements deux fins. La première est de permettre au lecteur de dresser un portrait psychologique des personnages qu’elle crée. Citons ici le cas de Mrs Elton qui porte des volants, de la dentelle et des frous-frous voyants et de mauvais goût, qui dévoilent son côté superficiel et mettent en avant son orgueil. A ce propos, Simmel constate : « la mode est le lieu d’élection où s’ébattent les individus privés d’autonomie intérieure qui ont besoin d’appui, mais dont l’amour-propre exige en même temps qu’on les distingue quelque peu, qu’on leur prête

33 Flügel, 187.

34 Flügel, 187.

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171 attention et qu’on les traite à part »36

. Il est donc possible dans certains cas, que les tenues portées viennent illustrer la psyché des personnages. Un autre exemple déjà largement cité est celui de Mr Rushworth avec sa cape rose et son habit bleu. Sa façon d’insister à propos de la couleur et du tissu dans lequel est confectionnée sa cape le discrédite aux yeux des lecteurs. En outre, il apparaît égocentrique, futile et efféminé.Le jupon d’Elizabeth éclaire aussi le lecteur quant au caractère affirmé et indépendant de la jeune fille, mais aussi quant à ceux des sœurs Bingley, qui condamnent l’attitude désinvolte d’Elizabeth, et de Mrs Bingley et Darcy qui prennent partie pour la jeune fille. Toutefois, Austen aime induire son lecteur en erreur (comme son héroïne) et lui rappelle que parfois, l’habit ne fait pas le moine.

La deuxième fin utile des costumes est de faire passer des messages au lecteur. Les vêtements illustrent alors des idées, des courants de pensée ou encore des conseils à suivre. S’il n’est pas toujours aisé de nos jours pour un lecteur de comprendre ces finesses, le lecteur du début du XIXe siècle ne pouvait, en revanche, manquer ces allusions.

Les costumes des personnages, porteurs d’une signification, deviennent des concepts entrant dans un système de la mode créé par l’auteur. En se basant sur

Système de la mode37, de Barthes, il devient possible d’établir une relation entre un vêtement écrit (ou décrit) par l’auteur et un vêtement porteur d’une signification. Mais avant d’en arriver au système de la mode « austenien », il convient de dresser des parallèles entre la linguistique et la mode puisque ceux-ci viendront soutenir ce système.

36 Georg Simmel, « La Mode », La Tragédie de la culture, trad. Sabine Cornille et Philippe Ivernel (Paris : Rivages, 1998), 104-105.

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