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Chapitre 5 : Parure

2 Les rôles et les significations de la parure

2.3 Le Rang social

2.3.2 Parure et évènement

La parure est également souvent liée à un évènement. Il est naturel d’apporter un soin particulier à sa tenue lorsque l’on est invité ou lorsque l’on reçoit, ou pour d’autres circonstances de la vie, comme un baptême ou un mariage, par exemple. Les habits du dimanche que l’on revêt pour aller à l’église peuvent aussi être inclus à ce paragraphe. Austen y fait allusion dans Mansfield Park, lorsqu’Henry Crawford rend visite à Fanny Price chez ses parents, à Portsmouth. Fanny a véritablement honte de sa famille, mais elle est soulagée que Mr Crawford les voie un dimanche : en effet, on se faisait propre et on s’habillait avec plus de soin qu’à l’ordinaire pour aller à l’église. Ce passage en témoigne :

The family were now seen to advantage. Nature had given them no inconsiderable share of beauty, and every Sunday dressed them in their cleanest skins and best attire. Sunday always brought this comfort to Fanny, and on this Sunday she felt it more than ever. Her poor mother now did not look so very unworthy of being Lady Bertram's sister as she was but too apt to look. It often grieved her to the heart to think of the contrast between them; to think that where nature had made so little difference, circumstances should have made so much, and that her mother, as handsome as Lady Bertram, and some years her junior, should have an appearance so much more worn and faded, so comfortless, so slatternly, so shabby. (MP 320-321)

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Même si la famille Price est peu fortunée, tous ses membres font un effort pour revêtir leurs plus beaux atours le dimanche, ce qui met en avant le respect que cette famille a pour l’Eglise. Fanny se désole en constatant que sa mère et sa tante, qui se ressemblaient beaucoup, ont eu des vies si différentes qu’on aurait à présent peine à dire qu’elles sont sœurs. Toutefois, la tenue du dimanche de Mrs Price réduit ces différences. La parure l’embellit et lui redonne beauté et jeunesse l’espace d’une journée : ce que les circonstances et le temps ont pris à Mrs Price, la parure les lui rend.

Les vêtements, s’ils sont flatteurs, ont le pouvoir de sublimer un être et de tricher sur son apparence. Mais dès qu’il les retire, c’est un retour à la réalité pour cette personne et son entourage. Fanny a honte de la différence de niveau de vie qui existe entre les Price et les Bertram. Sans doute craint-elle que Mr Crawford découvre le milieu social dont elle est issue. Peut-être a-t-elle peur qu’il forme un jugement négatif à son sujet. Elle redoute vraisemblablement que Crawford la méprise du fait qu’elle vient d’un milieu inférieur au sien (MP 316). Même si elle n’apprécie guère la compagnie d’Henry, elle lui est reconnaissante de venir jusqu’à elle et de lui apporter des nouvelles des habitants de Mansfield Park. A cet instant, elle ne veut pas perdre Crawford. Elle se rassure donc en se disant que sa famille est présentable. Fanny reconnaît sa chance : Henry voit sa famille un dimanche, jour où tous ses membres font un effort de présentation, par simple fait d’une coutume. Il est évident qu’en semaine, les parents et les frères et sœurs de Fanny n’auraient pas apporté un soin particulier à leur toilette, sous prétexte que Crawford venait rendre visite à cette dernière, la couche de la société à laquelle les Price appartiennent n’ayant ni le temps, ni les moyens de s’offrir un tel luxe.

D’ailleurs, Austen insiste sur le fait que, la veille du dimanche, Crawford a déjà fait connaissance avec la famille Price, sauf avec Mr Price qui n’était pas présent lors de la rencontre. Fanny est honteuse, mais reconnaît qu’elle l’aurait été davantage si son père avait été là (MP 314). Malheureusement, en allant se promener, Fanny et Henry croisent le chemin de Mr Price. La jeune fille se doit de faire les présentations. Elle est véritablement mortifiée, et la première chose à laquelle elle pense est que son père n’est pas présentable (MP 316). Quelques lignes plus loin, les pensées de Fanny reviennent à nouveau vers l’apparence de son père :

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« Mr. Crawford probably could not regard his future father-in-law with any idea of taking him for a model in dress » (MP 316). Fanny connaît bien Crawford. Elle sait qu’il attache une importance particulière à l’apparence et la présentation, et elle craint son jugement. La journée du lendemain apporte donc quelque soulagement à la jeune fille dans la mesure où elle trouve qu’avec leurs vêtements du dimanche, les membres de sa famille sont présentables. Toutefois, ce constat est fait à travers le regard de Fanny, pas celui d’Henry. Ce dernier a rencontré les Price le samedi et a donc pu juger de leur niveau social en voyant leurs tenues. En outre, il sait que la parure dominicale ne reflète pas le reste de la semaine. Ainsi, les habits du dimanche rassurent Fanny, mais ne trompent pas Crawford sur la condition sociale des Price. Dans le cas présent, la parure ne sert qu’à rassurer Fanny.

Un mariage est une autre occasion de donner à ses vêtements un rôle de parure qui soit lié à un évènement. Une telle occasion engendre en effet le port d’une toilette particulièrement soignée pour les invités. La jeune mariée doit, quant à elle, se mettre en frais pour être la plus belle, sachant que tous les regards vont être tournés vers elle. Les romans de Jane Austen étant des comédies, ils se terminent tous par un, voire plusieurs mariages. Le choix de la robe de mariée et du trousseau est capital pour les personnages d’Austen, comme pour Mrs Bennet, dans Pride and

Prejudice. Dans le passage suivant, Mrs Bennet vient d’apprendre que sa fille cadette

épousera finalement Wickham avec qui elle s’était enfuie :

“My dear, dear Lydia!” she cried. “This is delightful indeed! She will be married! I shall see her again! She will be married at sixteen! My good, kind brother! I knew how it would be. I knew he would manage everything! How I long to see her! and to see dear Wickham too! But the clothes, the wedding clothes! I will write to my sister Gardiner about them directly. Lizzy, my dear, run down to your father, and ask him how much he will give her. Stay, stay, I will go myself. Ring the bell, Kitty, for Hill. I will put on my things in a moment. My dear, dear Lydia! How merry we shall be together when we meet!” (PP 234)

Les nombreux points d’exclamation traduisent l’excitation, la joie, et l’empressement de Mrs Bennet. Aucune retenue, aucune allusion aux dettes de son futur gendre (PP 228) : l’heureux dénouement fait tout oublier à Mrs Bennet, y compris la conduite irréfléchie de sa fille Lydia.

Dès lors, la principale préoccupation de Mrs Bennet est la robe de mariée de sa fille et son trousseau. Mrs Bennet utilise une apposition dans l’expression « the clothes, the wedding clothes » pour préciser qu’il ne s’agit pas de n’importe quels vêtements, mais bel et bien de la robe de mariée. De toute évidence, elle aime à

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répéter les termes « wedding clothes » puisqu’ils apparaissent trois fois dans le roman (PP 84, 220, 234). Elle est fière de voir enfin une de ses filles se marier et se fait donc plaisir en les prononçant. En fait, ces deux mots réunissent les principaux centres d’intérêt de Mrs Bennet, à savoir, les habits et la volonté de marier ses filles. En outre, dans ce passage, Mrs Bennet oppose la tenue de la mariée à ses propres vêtements qu’elle définit comme étant simples et ordinaires puisqu’elle utilise le terme « things ». Elle confronte ici l’inhabituel au banal, le mariage à la vie de tous les jours, la robe de la mariée à une tenue sans prétention. Le caractère exceptionnel et l’importance de la parure pour une mariée se mesurent à travers les exclamations et les remarques de Mrs Bennet.

Mais les remarques de l’auteur concernant les tenues de noces ne s’en tiennent pas à une simple opposition entre une journée exceptionnelle et la vie de tous les jours. Dans cet extrait, et par le biais d’un sujet comme le mariage, Austen souligne le manque de discernement trouvé chez un esprit aussi futile que celui de Mrs Bennet ou de sa fille Lydia. L’auteur insiste encore lorsque, quelques pages plus loin, elle écrit à propos de Mrs Bennet : « She was more alive to the disgrace which her want of new clothes must reflect on her daughter's nuptials, than to any sense of shame at her eloping and living with Wickham a fortnight before they took place » (PP 238). Pour Mrs Bennet, marier sa fille et faire savoir aux voisins que cette dernière a de nouvelles tenues prévaut sur la conduite que Lydia peut avoir, aussi immorale soit-elle.

De même, Lydia, en digne fille de sa mère, n’a que ses toilettes en tête. En effet, juste avant de s’enfuir avec Wickham, Lydia laisse une note dans laquelle elle mentionne un accroc qu’elle a fait dans l’une de ses mousselines (PP 223). Elle ne réalise aucunement la gravité de la situation et n’a que faire de l’embarras dans lequel elle va plonger toute sa famille par ses agissements. Cette phrase écrite de la main de Lydia est d’ailleurs fortement réprimandée par sa sœur Elizabeth, ce qui permet à Austen de montrer à ses lecteurs le tempérament individualiste et la stupidité de Lydia et de mettre en avant l’intelligence d’Elizabeth. On peut par ailleurs voir ici un élément symbolique de la part de Jane Austen : Lydia a perdu son honneur, et l’accroc au tissu fragile et immaculé qu’est la mousseline fait directement écho à cet accident. Lydia a perdu sa plus belle parure, sa virginité.

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Pour finir sur la notion de parure et d’alliance, si Mrs Bennet souhaite voir ses filles dotées de tenues élégantes pour leur mariage, c’est parce que celles-ci reflètent le niveau social du nouveau couple. Elles augurent aussi la place qu’occupera la nouvelle épouse dans la société.

2.3.3 Etalage de richesse

Une femme qui arbore des tenues à la fois élégantes et onéreuses, montre non seulement la fortune de son époux, mais elle met aussi en avant son désir « d’obtenir le pouvoir et le respect »71, puisque l’on témoigne naturellement de la déférence envers une personne riche.

Il existe bien un lien entre les tenues portées par une dame et le statut social de son mari comme le confirme l’extrait suivant de Pride and Prejudice. Lorsqu’Elizabeth informe son père sur son désir d’épouser Mr Darcy, Mr Bennet lui lance : « He is rich, to be sure, and you may have more fine clothes and fine carriages than Jane » (PP 290). Restant incrédule devant la demande de Mr Darcy pour obtenir la main de sa fille et devant le choix de celle-ci, Mr Bennet essaie de trouver une explication rationnelle à ce revirement de situation. L’espace d’un instant, il assimile Elizabeth à ses plus jeunes sœurs, et imagine que c’est la fortune de Darcy et la perspective d’avoir des toilettes raffinées et à la dernière mode qui la poussent à choisir cet homme si hautain et condescendant. Elizabeth doit donc le rassurer et justifier son changement d’opinion à propos du jeune homme.

Bien sûr, pour une demoiselle, les tenues portées ne mettent plus en avant, la fortune de son époux, mais celle du père de famille (ou de son frère si celui-ci est décédé, puisque c’est souvent une relation proche qui subvient aux besoins des femmes de la famille, dans une telle situation). Les indications fournies par l’auteur à propos des tenues portées par des personnages comme Miss Bingley dans Pride and

Prejudice, ou Miss Crawford dans Mansfield Park, ainsi que les avis qu’elles

émettent sur les toilettes d’autres jeunes filles, laissent deviner le niveau de vie de ces

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jeunes femmes. Mais l’exemple le plus probant reste celui de l’héroïne d’Emma. Emma se doit d’être toujours bien mise (E 165), non seulement de par son statut social (elle est riche [E 67]), mais aussi parce qu’elle est la maitresse de maison, depuis ses 12 ans (E 29).

Si l’auteur écrit qu’Emma et Mrs Elton sont toutes deux élégantes (E 204), elle laisse entendre que la première surpasse la seconde (E 203). En fait, la formule « elle est élégante », utilisée à propos d’une jeune fille récemment rencontrée, est devenue tellement commune qu’elle n’a plus réellement de sens (E 203). Dans le roman, pas moins de quatre jeunes femmes, que sont Emma, Jane Fairfax (E 125), Mrs Elton, et Isabella Knightley (E 35), sont dépeintes comme étant élégantes. Bien sûr, ce qualificatif est souvent mérité, mais dans certains cas, comme le montre Austen avec Mrs Elton, cette expression n’est qu’une formule de politesse qui masque la pensée réelle de celui qui la prononce. Le lecteur doit donc faire la part des choses, aidé en cela par le ton ironique ou humoristique de l’auteur. En fait, et contrairement à ce qu’elle annonce, Emma perçoit chez Mrs Elton un manque d’élégance (E 203). Emma, en revanche, a du goût, et ne semble porter ni colifichets ni ornements superflus qui viendraient surcharger sa toilette (E 220, 228, 244).

L’écrivain témoigne ici d’une nette préférence pour la simplicité vestimentaire. Ses héroïnes, souvent vêtues simplement, portent néanmoins des vêtements qui les mettent en valeur. Austen elle-même aime ce qui est beau, et préfère les tenues discrètes, desquelles se dégage une harmonie, mais qui sont oubliées aussitôt après avoir été vues. Austen a la même conception de la distinction que Théophile Gautier72.

Il existe donc chez cet auteur différents degrés d’élégance : Austen va au-delà de la simple définition de tenue vestimentaire raffinée. Sans nommer la distinction, Austen la différencie de l’élégance à proprement parler. C’est bien la distinction que possède Emma et qui fait défaut à Mrs Elton. Et comme Balzac l’a noté dans son

Traité de la vie élégante, la distinction s’apprend73. Il ressort donc de ce passage que Mrs Elton n’a pas reçu la même éducation qu’Emma, et qu’il lui manque cet art de

72 Gautier, 20-21.

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vivre et les manières raffinées qui accompagnent une mise soignée. Il manque à Mrs Elton la discrétion, tant dans sa tenue, que dans ses répliques et dans ses attitudes.

Pour en revenir à la parure et à son implication avec l’économie d’une famille, il est important de noter que le fait d’arborer des tenues élégantes peut aussi traduire ce besoin qu’ont certaines femmes de dominer leur entourage et de leur imposer le respect74. C’est bien sûr le cas pour Mrs Elton, dans Emma, qui porte de la dentelle et des perles, et qui le fait remarquer aux autres elle-même (E 220, 244), affichant ainsi son pouvoir d’achat. La nouvelle arrivée veut qu’on lui réserve une place de choix au sein de la société de Hartfield.

Lady Susan, dans le roman épistolaire du même nom et Mary Crawford de

Mansfield Park utilisent aussi les vêtements pour impressionner et prendre le pas sur

de nouvelles connaissances. Lady Susan est une femme intransigeante, sans aucune merci, et qui s’impose par son titre, son caractère75 et son allure (MW 249). Austen écrit à son sujet qu’elle se plait à Langford où le style de vie est élégant et dispendieux (MW 246). Sans que l’auteur les décrive précisément, on imagine aisément le raffinement des toilettes de Lady Susan. Toutefois, bien que Lady Susan soit élégante, ses manières manquent de savoir vivre et de correction (MW 249). Sa personnalité et l’influence qu’elle peut avoir sur les personnes qu’elle rencontre font d’elle une femme peu respectable, sans distinction. C’est donc dès la période d’écriture de Lady Susan, c’est-à-dire vers 1793-1794 qu’Austen différencie l’élégance de la distinction. C’est une distinction qu’elle s’efforcera de montrer dans quasiment tous ses romans.

Comme Lady Susan, Mary Crawford de Mansfield Park est à la fois élégante et intransigeante. Miss Crawford impressionne tout d’abord ses nouveaux voisins, les Bertram, puis elle séduit le plus jeune fils de la famille. Elle tente ensuite de l’influencer et de modifier ses convictions. Comme Lady Susan, Miss Crawford exerce son pouvoir sur de nouvelles connaissances. Et comme elle, Mary est élégante (MP 51), possède une personnalité très affirmée, mais n’est pas estimable. En effet, Mary n’hésite pas à évoquer la mort de Tom Bertram, le fils ainé de la famille, alors qu’il est souffrant, pour faire remarquer que s’il venait à décéder, Edmund pourrait

74 Flügel, 25.

75 Jane Austen, Lady Susan, in Minor Works (Oxford : Oxford UP, 1988), 247. Les références à cet ouvrage seront désormais abrégées WM.

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alors hériter du titre, du domaine et de la fortune de son père (MP 340-341). Il apparaît donc que, chez Austen, imposer ses idées alors qu’elles ne sont pas respectables passe par l’association de l’élégance vestimentaire à une personnalité à la fois forte et désinvolte. Cet amalgame de caractéristiques physiques et morales a été porté à l’écran de façon tout à fait honorable. Les costumes de Miss Crawford sont tous élégants et même parfois modernes dans le but de faire comprendre rapidement au spectateur que la jeune fille porte ce qui est à la dernière mode et qu’elle est, à la fois dans ses tenues et ses idées, révolutionnaire.

La Miss Crawford vue par Andrea Galer, dans l’adaptation faite par Rozema en 1999, porte des robes résolument modernes, comme celle en velours noir, dont les manches sont faites dans du ruban de satin brodé à la main de façon à imiter la dentelle76. Mary est provocante dans ses attitudes, ses regards, ses sourires et ses remarques. Elle fume et joue au billard, comme un homme. Lors de la première rencontre entre les Crawford et les Bertram, la caméra filme d’abord Mary et Henry de dos. Puis elle montre le bas de la robe de Mary (de face) et remonte lentement jusqu’à son visage. Le mouvement est ensuite le même pour Henry. La caméra balaie en quelque sorte les vêtements de ces deux personnages, comme n’importe quelle personne dévisagerait des inconnus. Toutefois, détailler quelqu’un se fait d’ordinaire en commençant par le visage, pas par le bas de la robe, ni par les bottes. Dans cette scène, le réalisateur insiste sur la beauté des costumes, mais aussi sur l’importance qu’ils vont avoir dans l’intrigue. Mary et Henry sont grands et le mouvement de la caméra amplifie leur silhouette élancée. Cela est d’autant plus vrai que Mary porte une robe très longue et sans ampleur. La pose prise et leurs tenues parfaites indiquent qu’ils font bonne impression à ce nouveau cercle d’amis. Leur assurance et leur sourire satisfait laissent présager de l’emprise qu’ils vont essayer d’avoir sur leurs nouveaux voisins.

La Miss Crawford de la version de Mac Donald (2007) porte du rouge ou du bordeaux (le rouge rappelant la révolution), couleur également retrouvée par petites