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Trois types d’ancrage

Deuxième partie

2. Les impressifs graphiques et les dessins iconiques

2.2 La relation d’ancrage des impressifs graphiques au dessin

2.2.2 Trois types d’ancrage

Voyons à présent la façon dont la disposition des impressifs graphiques par rapport aux dessins iconiques est également porteuse d’informations. Il est possible d’établir une typologie grossière des principaux types d’ancrage des impressifs graphiques, en fonction de leur lieu d’ancrage. Une première catégorie correspond à l’ancrage à un point fixe : les impressifs graphiques sont ancrés à un objet ou une figure précise, qui sont statiques ou, s’ils sont en mouvement, sont considérés comme saisis à un point donné. Les impressifs graphiques ancrés de cette manière sont souvent disposés de façon rayonnante, l’une des extrémités de l’impressif graphique étant très proche du lieu de l’ancrage. Un deuxième type d’ancrage est l’ancrage à un point mouvant (ici encore, un objet ou une figure). Dans cette catégorie, l’impressif graphique est disposé parallèlement à la trajectoire décrite par ce point, qui est souvent représentée en même temps par le dessin ou par des symboles graphiques. Dans ce type d’ancrage aussi, l’une des extrémités de l’impressif graphique est très proche du dessin de l’objet ou de la figure234. La 233 Voir supra, p. 116.

234 Rappelons que par convention, dans les mangas, les mouvements peuvent être représentés de

plusieurs manières. Une constante est cependant que le dessin iconique de l’objet ou de la figure en mouvement constitue toujours le point d’arrivée du mouvement représenté dans l’image individuelle considérée. Ce que nous appellons la trajectoire correspond donc ici à l’ensemble des positions

troisième catégorie correspond à l’ancrage à une zone, lorsque le lieu de la source du phénomène est plus diffus : l’ancrage se comprend alors comme l’inscription de l’impressif graphique dans l’espace où le phénomène décrit se déploie. Dans ce cas, l’impressif graphique, qui est souvent écrit à l’horizontale, semble « flottant » et n’est pas rattaché à une figure ou un objet précis (voir Tableau 1).

Tableau 1 : Les trois types d'ancrage des impressifs graphiques.

Type d’ancrage Lien sémantique

Ancrage à un point fixe Emanation

(« est produit par ») Ancrage à un point mouvant Trajectoire

(« est produit par »)

Ancrage à une zone Occupation de l’espace (« se produit dans »)

L’ancrage à un point fixe est probablement le plus employé dans Bonobono. L’impressif graphique suit alors généralement une ligne verticale plus ou moins inclinée, dont l’extrémité inférieure est à proximité d’une partie du corps d’un personnage. Dans la figure 86, la troisième case en montre un exemple très classique, avec l’impressif graphique « riku », un néologisme qui décrit manifestement la façon dont Bonobono stoppe net sa marche. L’impressif graphique semble émaner de la tête de Bonobono. Une variante de cette disposition se compose de plusieurs lignes parallèles, comme on peut le voir dans la case précédente, avec l’impressif graphique « rikku rikku », qui accompagne la démarche bondissante de Bonobono. Dans ce cas, l’une des lignes est en position rayonnante, tandis que l’autre se retrouve en léger décalage. Dans d’autres cas, les impressifs graphiques forment un ensemble dont la disposition est véritablement rayonnante, comme lorsque Bonobono et son ami frappent frénétiquement contre un tronc d’arbre, produisant un vacarme fait de « keko » et de « gake », dans la figure 92. Les lignes que suivent les impressifs graphiques y sont disposées à la façon d’un éventail ouvert autour des personnages.

Dans un autre type de disposition, que l’on pourrait qualifier de parallèle, tous les caractères de l’impressif graphique sont placés sensiblement à la même distance du point d’ancrage. Cette disposition est plus rare, mais on peut en trouver quelques

exemples dans Bonobono. Ainsi, dans la figure 87, la dernière case montre la surprise de Bonobono voyant un lac pour la première fois. Bonobono est dessiné de dos ; l’impressif graphique « gān », qui exprime un choc, surmonte sa tête comme une couronne. Le placement de cet impressif graphique montre que la tête de Bonobono est à la fois la source du phénomène et le lieu où résonne le choc psychologique.

Enfin, l’ancrage à un point mouvant correspond au placement de l’impressif le long de la trajectoire de la source mouvante du phénomène. Par exemple, dans la dernière case de la figure 88, l’impressif graphique « garuhōn » exprime la force et la rapidité avec laquelle la mère de Bōzu (le bébé castor) nage pour venir au secours de son compagnon et de son fils. L’impressif graphique suit de façon parallèle le déplacement de la mère de Bōzu, dont la trace rectiligne dans l’eau est dessinée. Un effet de profondeur est ajouté par la sortie du cadre dans le coin inférieur gauche de la case, selon un procédé que nous verrons plus loin235. Notons que le trajet de l’œil

lors de la lecture suit le mouvement du personnage, puisque le premier caractère est placé au niveau du départ du déplacement et le dernier au niveau de son arrivée. Cette correspondance n’est cependant pas obligatoire. Dans l’exemple de la planche de Ranma ½ que l’on a vue plus haut (fig. 18), l’impressif graphique « gyurururururu » qui exprime le tournoiement du personnage de Happōsai dans les airs se lit de haut en bas, alors que le déplacement du vieillard est ascendant. On sait pourtant que, lorsque le sens de la lecture et celui du mouvement sont identiques, l’impression de vitesse en est renforcée. Signalons par ailleurs qu’il arrive fréquemment que les impressifs graphiques suivant une trajectoire ne soient pas rectilignes, comme dans l’exemple de Norakuro que nous avons cité dans la première partie (fig. 1), dans lequel l’impressif graphique « sutten koro koro » décrit un arc-de-cercle qui accompagne le mouvement de bascule de Norakuro.

Dans le cas de l’ancrage à une zone, la source du phénomène décrit par l’impressif graphique est en général diffuse ou difficile à identifier pour les personnages. L’impressif graphique est toutefois bien ancré dans l’espace diégétique : plutôt que comme une émanation provenant d’une source précise, l’impressif graphique est alors compris comme occupant un espace dans lequel le phénomène qu’il exprime se déploie. Ce type d’ancrage est très souvent employé pour décrire des bruits de fond, comme dans la figure 112. Dans les cases 3 à 8,

l’impressif graphique « dodoX », qui correspond au bruit assourdissant de la chute d’eau, est inscrit horizontalement en haut de chaque case. Ici, le choix de faire couper certains caractères par le bord des cases signifie que le bruit est constant, au même titre que le décor dessiné continue au-delà de ce qui est compris dans le cadre. Cette inscription « à bords perdus » n’est cependant pas obligatoire. Les emplois innombrables de « dodoX » et de « gogoX » dans JoJo relèvent généralement de l’ancrage à une zone. Un autre exemple d’ancrage de ce type correspond aux impressifs graphiques disséminés dans la page, qui suggèrent souvent une forme d’envahissement de l’espace, comme dans la figure 64 tirée de JoJo, où les caractères « do » qui forment l’impressif graphique « dodoX » sont disposés un peu partout sur la page de droite et la moitié inférieure de la page de gauche.

Pour des raisons notamment d’espace limité sur la page, il arrive régulièrement qu’il soit difficile de distinguer entre un ancrage à un point fixe et un ancrage à une zone, en particulier dans le cas des dispositions en grappe, comme dans la figure 49, ici encore tirée de JoJo. La dernière case comporte sept occurrences de « dogya », qui correspond au son d’un coup de feu. Il est clair pour le lecteur que les coups de feu sont tirés par le pistolet utilisé par Hol Horse, qui est dessiné au centre de la case. L’ancrage des impressifs graphiques qui sont situés à droite et à gauche du dessin du pistolet peut certainement être considéré comme un ancrage à un point fixe, puisque leur orientation suggère qu’ils émanent de l’arme. Cependant, les deux « dogya » situés à la hauteur de la tête de Hol Horse sont placés plus loin que ce qui est d’usage pour un tel ancrage. L’effet d’ensemble nous semble ici à prendre en compte, puisque la disposition globale de ces impressifs graphiques quasiment identiques suggère fortement une forme d’envahissement de l’espace diégétique, et non simplement le rattachement à une source précise. Les trois catégories d’ancrage que nous proposons ne peuvent être considérées comme hermétiques : les frontières entre elles restent poreuses.

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