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Igarashi Mikio, auteur de yon-koma manga

Deuxième partie

1. Bonobono : un yon-koma manga atypique

1.1 Igarashi Mikio, auteur de yon-koma manga

C’est en 1979 qu’Igarashi Mikio いがらしみきお, âgé de vingt-quatre ans, fait ses débuts en tant qu’auteur de manga avec un strip190 en quatre cases (yon-koma manga 4コマ漫画) dans le magazine de mangas érotiques Manga erojenika (漫画 エロジェニカ) ; c’est la même année qu’il commence à publier Nekuratopia (ネ暗 トピア, 1979-84) dans le magazine de mangas Manga kurabu (まんがくらぶ, Manga club)191. Le succès qu’il rencontre s’inscrit dans le contexte particulier du

renouveau du genre des yon-koma manga à la fin des années 1970.

Retraçons brièvement l’histoire de ce format particulier de manga. L’apparition des premiers yon-koma manga s’est faite sur le modèle des comic

strips américains traduits dans les journaux japonais qui naissent sous l’ère Meiji.

Certains journaux commencent alors à publier des strips indépendants de quelques cases créés par des auteurs japonais, tels que Kitazawa Rakuten 北澤楽天 (1876- 1955). Les années 1920 voient un premier pic de popularité des yon-koma manga, souvent publiés dans les suppléments destinés aux femmes et aux enfants. L’un des principaux succès de cette période est d’ailleurs le yon-koma manga Shō-chan no

bōken (正チャンの冒険, Les aventures de Shō-chan, 1923-1925), de Kabashima Katsuichi 樺島勝一 (1888-1965) et Oda Nobutsune 織田信恒 (1889-1967), qui

s’adressait surtout aux jeunes lecteurs.

C’est lors de leur deuxième pic de popularité dans les années d’après-guerre que les yon-koma manga prennent une place fixe et durable à l’avant-dernière page des quotidiens. La plupart des yon-koma manga présentent sous une forme humoristique des scènes de la vie quotidienne et s’adressent à tous les publics et tous les âges. C’est alors que se fixent plusieurs caractéristiques des yon-koma

manga : un ensemble de personnages attachants, un contexte familier et familial,

un humour bon enfant, une certaine simplicité narrative enfin, requise par l’extrême

190 Le terme anglais de « strip », qui se traduit littéralement par « bande », désignait à l’origine les

bandes formées de quelques cases alignées qui formaient des histoires indépendantes ou feuilletonnées paraissant dans les journaux. Il a été adopté en français par les professionnels de la bande dessinée pour désigner soit un de ces strips indépendants, soit un segment horizontal d’une page complète, puisque les bandes dessinées occidentales sont traditionnellement constituées de plusieurs bandes horizontales disposées les unes en dessous des autres. Dans le cas des yon-koma

manga, les strips sont traditionnellement verticaux.

brièveté du format. Les commentateurs ont par ailleurs souvent noté un usage quasi- systématique du modèle narratif classique en quatre étapes « introduction – développement – retournement – conclusion » (ki-shō-ten-ketsu 起承転結), devenu prépondérant dès avant-guerre192. Un bon exemple de ces caractéristiques est à

trouver dans l’un des yon-koma manga les plus populaires, Sazae-san (サザエさん), créé par Hasegawa Machiko 長谷川町子 (1920-1992), qui a paru dans le quotidien

Asahi Shinbun à partir de 1949 et jusqu’en 1974, après avoir été créé en 1946 pour

un journal de Kyūshū (fig. 3). C’est également après-guerre que commencent à se dessiner nettement des différences formelles et narratives avec ce que l’on a nommé les story manga, qui racontent des histoires plus longues, qui ne sont plus limitées à des strips isolés, mais qui s’étendent sur des pages entières.

Sur le plan graphique aussi, la simplicité est de mise, puisque les dessins doivent être immédiatement compréhensibles. Les personnages, qui sont généralement figurés à l’aide de quelques traits, sont bien sûr au centre de la représentation et le décor n’est ordinairement qu’esquissé. Par ailleurs, contrairement à l’usage qui se met en place après-guerre dans les story manga, les dialogues continuent dans les yon-koma manga à être tracés à la main. Pour ce qui est des impressifs graphiques, également tracés à la main, leur usage varie bien sûr en fonction des mangas, mais il semble qu’ils sont le plus souvent écrits en katakana, et que la recherche d’expressivité de leur tracé reste généralement réduite, en comparaison avec l’évolution que l’on peut constater dans les story manga.

Le genre des yon-koma manga connaît un certain bouleversement à la fin des années 1970 avec les mangas d’Ishii Hisaichi いしいひさいち (né en 1951), en particulier Ganbare, Tabuchi-kun ! (が ん ば れ ‼ タ ブ チ く ん ‼, Vas-y, Tabuchi !,

1979)193. Le succès massif qu’il connaît relance l’intérêt du public pour ce type de

mangas et ouvre de nouveaux horizons sur le plan narratif. En effet, Ishii est le premier à s’affranchir de la structure narrative en quatre étapes du « ki-shō-ten-

ketsu », ce qui inspire toute une génération de jeunes auteurs194. Au début des

années 1980 apparaissent ainsi plusieurs magazines spécialisés dans les yon-koma

manga, dont les principaux sont Manga taimu (まんがタイム, Manga time, 1981) et

192 Voir SHIMIZU Isao, Yon-koma manga, – Hokusai kara « moe » made (Les manga en quatre cases :

de Hokusai au « moe »), Tōkyō, Iwanami shoten, 2009, p. 18-19 ; NATSUME Fusanosuke et

TAKEUCHI Osamu (dir.), Mangagaku nyūmon, op. cit., p. 8.

193 Sur l’histoire des yon-koma manga, voir SHIMIZU Isao, Yon-koma manga, op. cit.

194 Notons que si SHIMIZU présente Hisaichi comme un précurseur sur ce plan (SHIMIZU Isao, Yon-

koma manga, op. cit., p. 144-146), ITO attribue à Igarashi dans Bonobono la primauté de cette rupture

Manga raifu (まんがライフ, Manga life, qui succède en 1984 à Gyaguda).

Igarashi participe à cette redéfinition du genre avec Nekuratopia, dont le succès est immédiat, et avec ses autres mangas, qui sont tous des yon-koma manga. Il injecte en effet dans ses strips une dose d’absurdité et de noirceur inédites. Ses personnages sont souvent vils, bêtes, dégoûtants, cruels, obsédés sexuels ou violents. L’impossibilité d’une compréhension mutuelle est un thème récurrent de ses strips. Tout en prenant pour personnages des membres de différentes catégories de la population, tels que des employés de bureau, des étudiants ou des sportifs, ou bien en détournant des figures de la culture populaire comme les cowboys ou les samouraïs, Igarashi fait moins reposer l’humour de ses strips sur la satire sociale que sur la surprise créée par des développements inattendus. En jouant avec les clichés et les présupposés des lecteurs, Igarashi réussit à créer plusieurs retournements de situation en l’espace de quatre cases. Si ses mangas sont expérimentaux sur le plan de la structure narrative et provocants en raison des thèmes abordés et de leur pessimisme sur la nature humaine, ces expérimentations ne s’étendent pas aux aspects graphiques du manga. De même que le dessin y est représentatif du style simple des yon-koma manga, les impressifs graphiques y restent discrets et sont tracés à la main, en katakana ou en hiragana suivant la tonalité recherchée.

Par ailleurs, tout en continuant à publier Nekuratopia, Igarashi produit plusieurs autres séries de yon-koma manga publiées dans divers magazines. En 1983, il publie notamment dans Manga sandē (漫画サンデー, Manga sunday) la

série Anta ga warui (あんたが悪いっ, C’est d’ta faute !, 1983-84), qui reçoit un Prix

d’Excellence de l’Association des auteurs de manga japonais. Son succès est tel qu’il finit par publier des mangas pour 23 magazines différents, produisant jusqu’à près d’une centaine de pages par mois195.

En 1984, en raison de sa sensation de perdre en créativité à cause de son rythme échevelé de production, Igarashi annonce qu’il arrête complètement d’écrire et de dessiner des mangas pendant un moment pour prendre des vacances et se consacrer à l’écriture d’un manga d’horreur. Cette pause dure finalement presque deux ans, durant lesquels il se repose et s’amuse, tout en travaillant sur son manga d’horreur, qu’il veut avoir entièrement dessiné avant de le publier. Ce n’est pourtant pas avec ce manga d’horreur qu’il revient, mais avec Bonobono, publié

alternativement dans Manga raifu à partir de juin 1986 et dans Manga kurabu à partir de septembre de la même année.

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