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Définition du corpus et annonce du plan

Notre objet de recherche ainsi que notre approche méthodologique qui met l’accent sur la dimension synchronique exige un corpus de travail d’une taille raisonnable, ce qui nous a guidé dans le choix des bornes chronologiques de cette étude. Il n’existe pas de rupture importante dans l’emploi des impressifs graphiques dans les mangas qui justifierait aisément le choix de ces bornes chronologiques. Les évolutions que connaissent les impressifs graphiques se produisent en ordre dispersé, bien qu’il soit possible de distinguer certaines tendances de fond. La période que nous avons choisie, qui court de 1986 à 1996, correspond à l'apogée des ventes et de la circulation des mangas au Japon, et constitue une période où la richesse formelle et narrative des impressifs graphiques est remarquable. La plupart des conventions liées à l’usage des impressifs graphiques utilisées actuellement sont alors déjà en place et le rythme des évolutions ralentit quelque peu. De plus, le choix de cette période permet d’avoir un certain recul historique qui est plus

difficile à mettre en œuvre pour des périodes plus récentes. Enfin, dans les études occidentales sur les mangas, il s’agit d’une période peu abordée, l’essentiel de l’attention des chercheurs s’étant jusqu’à présent portée sur des œuvres antérieures, comme celles de Tezuka ou le mouvement du gekiga.

En 1986, la parution et le succès inédit du manga pédagogique Les Secrets de

l'économie japonaise en manga (Manga Nihon Keizai Nyūmonū マンガ日本経済入 門) d'Ishinomori Shōtarō marque le point de départ d'une vague de mangas informatifs, qui à la fois témoignent d'une nouvelle respectabilité du manga et touchent des populations jusque-là non lectrices (fig. 16 et 17). En 1996, les ventes de mangas connaissent un pic avant d'entamer un recul progressif qui continue aujourd'hui encore. Par ailleurs, la fin du siècle voit le remplacement de plus en plus marqué des techniques manuelles par des techniques numériques, ce qui donne lieu à certains changements dans l’usage des impressifs graphiques.

Durant cette période, l'usage des impressifs graphiques présente une très grande variété selon les œuvres, y compris au sein d'un même genre. En choisissant d'étudier les mangas publiés professionnellement durant cette période, sans restriction a priori de genre, nous sommes confrontés au caractère massif du corpus, qui s'élève à plusieurs milliers de titres. Il est important de noter que pour des raisons pratiques d'accessibilité, nous étudierons majoritairement les versions publiées en volumes des différents mangas, et non la version de leur première publication en magazine, mais nous garderons à l'esprit l'importance du contexte de la prépublication et des contraintes éditoriales dans les orientations narratives et esthétiques des différentes œuvres. Par ailleurs, nous ne chercherons pas à étendre notre examen aux innombrables mangas auto-publiés, dont l'importance historique ne saurait cependant être négligée76.

S'il est possible de retracer quelques évolutions majeures de leur usage au cours du temps, le jeu des influences entre les mangas est d'une trop grande complexité pour que nous envisagions de tenter d'en rendre compte de manière conséquente dans ce travail. Pour les mêmes raisons, nous avons dû limiter notre approche statistique et quantitative des impressifs graphiques.

Pour faire face à cette difficulté, nous avons choisi de développer notre analyse en nous appuyant sur une lecture intensive de trois séries qui présentent de

76 Voir NeleNOPPE, « Dōjinshi Research as a Site of Opportunity for Manga Studies » (La recherche

sur les dōjinshi : une opportunité pour les études sur la bande dessinée), dans Jaqueline BERNDT

(dir.), Comics Worlds and the World of Comics: Towards Scholarship on a Global Scale, op. cit., p. 123-142.

profondes différences en termes d’usages poétiques des impressifs graphiques. Nous n’hésiterons pas, bien sûr, à faire aussi appel à des exemples extérieurs à ces œuvres au besoin. En concentrant notre étude sur ces trois œuvres, nous souhaitons à la fois donner un aperçu de la variété de ces usages et profiter des particularités de chacun de ces mangas pour mener une analyse approfondie d’un aspect des impressifs graphiques. En effet, chaque manga tire profit à sa façon des potentialités poétiques des impressifs graphiques et fournit matière à réflexion sur des aspects différents du fonctionnement sémiotique des impressifs graphiques.

Nous avons fait le choix de débuter notre analyse au plus près des impressifs graphiques et d’élargir progressivement notre regard77. Notre première partie, qui

étudiera les aspects morphologiques des impressifs graphiques, à la fois sur le plan graphique et sur le plan linguistique, s’appuiera principalement sur le manga pour jeunes garçons Jojo no kimyō na bōken (ジョジョの奇妙な冒険, publié de 1987 à

aujourd'hui), par Araki Hirohiko 荒木飛呂彦 (né en 1960)78.

Notre deuxième partie s’attachera à décrire comment les impressifs graphiques s’inscrivent dans la syntaxe du manga, à travers une lecture en profondeur du manga humoristique Bonobono (ぼ の ぼ の, publié de 1986 à aujourd'hui), par Igarashi Mikio いがらしみきお (né en 1955). Nous y examinerons les relations syntaxiques des impressifs graphiques avec les autres éléments constitutifs des mangas, tels que les dessins, les divers cadres ou les autres textes.

Enfin, dans une troisième partie, nous nous intéresserons au rôle des impressifs graphiques dans la narration des mangas et à la façon dont ce rôle influe sur les aspects poétiques du manga à l’échelle de l’œuvre. A cette fin, nous nous appuierons sur le manga pour jeunes filles Boku no chikyū wo mamotte (僕の地球を 守って, publié entre 1986 et 1994)79, par Hiwatari Saki 日渡早紀 (né en 1961).

77 Ce choix d’un plan suivant une progression du petit vers le grand est, comme l’a noté

GROENSTEEN dans Système de la bande dessinée, op. cit., p. 34-35, un choix fréquent.

78 Nous abrègerons ce titre en JoJo, suivant l'usage populaire.

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