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Introduction à la première partie

Première partie

0. Introduction à la première partie

La première partie de ce travail s’intéresse à la forme des impressifs graphiques, et s’attache à disséquer les divers éléments qui composent tout impressif graphique. Comme nous l’avons vu, leur appartenance à la fois au champ des images et à celui des mots implique qu’ils combinent à la fois des structures phonologiques et des structures graphologiques. Nous ne chercherons pas ici à déterminer quelles sont les plus petites unités porteuses de sens, dans la modalité visuelle comme dans la modalité auditive80, mais nous nous pencherons en

revanche sur les interfaces de ces diverses structures entre elles et avec les structures sémantiques. L’étude des rapports des impressifs graphiques avec l’ensemble des éléments qui les entourent sera traitée dans les parties suivantes, puisque ces rapports se situent au niveau des structures syntaxiques. Nous évoquerons toutefois certains cas où ces relations ont une influence directe sur la forme adoptée par les impressifs graphiques.

Il convient ici de préciser ce que nous entendons par le terme d’« interface ». Dans son modèle du langage, Jackendoff présente l’idée que les différentes structures qui composent chacun des pôles de son architecture tripartite forment comme autant d’étages qui communiquent entre eux via des interfaces spécifiques81.

L’organisation en étages des structures phonologiques du langage constitue un exemple parlant de la façon dont fonctionnent ces interfaces. L’ensemble du niveau phonologique est conditionné par la forme de la structure segmentale, elle-même contrainte par la nature de la perception auditive, qui perçoit les sons sous la forme d’un enchaînement temporel. Sur cette chaîne vient se superposer le regroupement des sons en syllabes. Seule une partie des informations présentes dans la structure segmentale est prise en compte dans la structure syllabique. Celle-ci n’est pas un simple regroupement de phonèmes, puisqu’il existe au sein de chaque syllabe une hiérarchie entre les différents segments, déterminée par les règles propres à cet étage. Ainsi, les règles de la structure syllabique ne dérivent pas de celles de la structure segmentale. Cependant, les deux structures sont alignées l’une sur l’autre, grâce à leur interface qui contraint cet alignement, tout en ignorant le reste des

80 En effet, outre les difficultés que la question des morphèmes pose dans le domaine visuel, il faut

noter que les particularités des impressifs dans la langue brouillent quelque peu la frontière entre la phonologie pure et la morphologie au sens traditionnel en linguistique.

règles propres à chaque structure. Ce type d’interfaces opérant comme une contrainte d’alignement de certains points, mais aveugle au reste, se retrouve à tous les niveaux linguistiques82.

Il nous semble que l’organisation des signes graphiques présents dans les mangas est à certains égards comparable à cette structure en étages. Pour décrire la majorité des structures que l’on peut observer au niveau graphologique, il nous semble pertinent de nous référer aux réflexions et à l’appareil terminologique développés par le Groupe µ dans Traité du signe visuel83. Plusieurs étages du niveau

graphologique concernent l’organisation de la perception visuelle : à l’étage le plus élémentaire se trouve la détermination de champs et de limites, qui est lié à l’étage supérieur à la détermination de fonds et de figures. Intervient ensuite la reconnaissance des formes, qui sont, selon la terminologie du Groupe µ, des types stables de figures reconnaissables d’une occurrence à l’autre, stockés par la mémoire dans un répertoire de formes. Lorsqu’aux propriétés purement visuelles des formes s’ajoute une association dans la mémoire à des propriétés non-visuelles, on passe du niveau des formes à celui des objets84. Ce processus complexe est

automatique et programmé dans la perception ; il est en effet nécessaire à la survie de l’individu. L’œil humain est toujours à la recherche de formes et l’esprit a une propension certaine à y trouver des objets85.

Si ces quatre étages peuvent s’aligner les uns sur les autres, ils n’en sont pas moins régis chacun par une logique propre. Ainsi, les interfaces entre les différents étages de l’ensemble des structures graphologiques correspondent à la définition que donne Jackendoff des interfaces dans son modèle, et que nous avons adoptée dans notre travail. Tandis que dans le cas des structures phonologiques, l’alignement entre les divers étages s’effectue sur le plan temporel, c’est sur le plan spatial qu’il s'opère dans la modalité visuelle. Cet alignement fait qu’une même ligne d’un dessin peut correspondre, selon le niveau que l’on prend en compte, à

82 Notons toutefois que si la métaphore des étages a l’avantage d’être facile à comprendre, elle

présente le défaut d’être très hiérarchique et statique. Une autre manière de modéliser les différentes structures pourrait être comme des modules indépendants ou semi-indépendants reliés entre eux par des passerelles plus ou moins nombreuses.

83 GROUPE µ, Traité du signe visuel : Pour une rhétorique de l’image, Paris, Seuil, 1992, 504 p. 84 Le Traité du signe visuel poursuit bien plus loin ses analyses. Après avoir défini des signes

plastiques et des signes iconiques, il s’attache à l’étude des relations rhétoriques entre les signes plastiques, entre les signes iconiques, et dans des ensembles complexes icono-plastiques. Ces réflexions sur les questions rhétoriques constituent un bon outil pour l’analyse de divers phénomènes graphiques présents dans les mangas, mais nous n’entrerons pas ici dans les détails.

85 En témoigne le phénomène bien connu de la paréidolie, c’est-à-dire le fait de reconnaître des

objets dans des stimulus visuels d’où ces objets sont pourtant absents, comme lorsque l’on voit des visages dans des rochers ou des animaux dans les nuages.

une limite entre deux champs, au contour d’une figure, et au contour d’une forme. Par ailleurs, la perception visuelle présente une particularité qui nous intéresse particulièrement. Il s’agit de la façon dont notre perception organise les signes visuels en unités gigognes, selon des principes qui ont été observés et formalisés par la théorie de la forme (Gestalt)86. Les lois de proximité et de

similarité, en particulier, décrivent la façon dont des figures proches ou similaires sont regroupées dans des ensembles qui peuvent former une nouvelle figure. Par exemple, dans la figure 170, nous pouvons distinguer à la fois chaque petit cercle, et le carré ou les trois rectangles formés par l’agencement de ces cercles. De même, dans la figure 171, notre perception regroupe naturellement en lignes verticales les disques noirs et blancs. Comme le résume le Groupe µ, « les unités une fois reconnues peuvent être assemblées selon des ensembles plus vastes, et le principe d’une hiérarchie de niveaux indépendants paraît jusqu’ici solide87. »

L’influence de ces processus perceptifs s’exerce sur tous les signes visuels, et en particulier sur les impressifs graphiques. En effet, il est possible d’appréhender les impressifs graphiques à différentes échelles, selon que l’on prête attention aux caractéristiques plastiques du contour de chaque caractère, à leur forme, ou à la forme globale de l’impressif graphique. Nous allons prendre en compte ce paramètre dans cette première partie, en analysant d’abord les caractéristiques formelles des impressifs graphiques à l’échelle de l’impressif graphique pris individuellement et dans sa globalité, puis en rapprochant notre regard à l’échelle des caractères et de leur tracé. Bien sûr, lors de la lecture, ces différents niveaux sont appréhendés de manière quasiment instantanée, et les lecteurs sont constamment en train de jongler entre les différentes échelles de perception.

L’objectif de cette première partie est de décrire la logique interne des structures morphologiques graphiques et verbales, ainsi que leurs relations entre elles et avec les structures sémantiques, comme le montre le Schéma 4. Avant d’entamer cette première partie, une dernière précision est nécessaire. Nous traiterons ici de tous les signes que nous considérons comme des impressifs graphiques. Ceux-ci sont habituellement des impressifs écrits à la main et intégrés quelque part dans les dessins. Toutefois, il existe de nombreuses exceptions à cette généralisation, qui n’excluent cependant pas selon nous ces signes de la catégorie des impressifs graphiques. Ici, nous considérerons les signes comme des impressifs

86 Voir GROUPE µ, Traité du signe visuel, op. cit., p. 35-37. 87 GROUPE µ, Traité du signe visuel, op. cit., p. 37.

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