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Les signes de ponctuation

Première partie

3. Des caractéristiques linguistiques originales

3.2 Des variantes expressives visuellement motivées

3.2.3 Les signes de ponctuation

Il faut ici mentionner une source de variations des impressifs graphiques qui ne relève pas de la phono-morphologie des impressifs, mais qui présente plusieurs points communs avec l’occlusion glottale finale. Il s’agit en effet des signes de ponctuation qui sont attachés aux impressifs graphiques. On en trouve deux sortes : les points d’exclamation, qui sont courants dans l’ensemble des genres de mangas,

et les points de suspension, dont l’emploi est plus contrasté.

Les points d’exclamation sont un signe graphique qui n’a été adopté en japonais que tardivement et de façon non officielle. Dans les années 1980, il est utilisé largement dans la publicité et dans les médias de façon générale. Les mangas ont commencé à en faire usage couramment après-guerre, probablement influencés par les bandes dessinées américaines où ils accompagnaient souvent les impressifs graphiques146. Dans JoJo, selon nos statistiques et en fonction des chapitres, entre

1% et 17% des impressifs graphiques sont suivis d’un point d’exclamation, pour une moyenne de 8,5%. Dans Boku Tama, les chiffres sont comparables : de 4% à 29% en fonction des volumes, pour une moyenne de 12% (voir Tableaux statistiques 1 et 2, Annexes). Cependant, certains mangas, comme Bonobono, n’utilisent pas du tout les points d’exclamation.

Dans des textes tels que des romans, les points d’exclamation peuvent être employés pour signifier principalement deux choses : un volume sonore important, ou le caractère brusque d’un phénomène. Cependant, dans le cas des impressifs graphiques des mangas, le volume sonore est généralement exprimé par la taille des caractères. Les points d’exclamation servent donc surtout à connoter la soudaineté ou la violence du phénomène exprimé par l’impressif graphique. La similitude avec l’occlusion glottale finale est frappante. On constate d’ailleurs que dans JoJo, les points d’exclamation ne sont quasiment jamais apposés à des impressifs graphiques présentant également des occlusions glottales finales. L’emploi d’un signe exclut l’autre, peut-être parce qu’un emploi conjugué semblerait redondant.

Voyons-en un exemple tiré du premier volume, qui est particulièrement parlant (fig. 25). Dans cette scène, le personnage de Dio s’adresse à l’amoureuse de Jonathan et ouvre grand les yeux avant de l’attraper par le bras et de l’agresser. L’impressif graphique qui accompagne le gros plan sur le visage de Dio et qui exprime l’intensité de son regard est « ka ! ». Or « ka » n’est pas un impressif courant, contrairement à « ka’ », qui a plusieurs sens, parmi lesquels une ouverture soudaine des yeux ou de la bouche. Ici, on voit comment le point d’exclamation prend la place de l’occlusion glottale finale. Il faut toutefois noter que cette exclusion mutuelle constatée dans JoJo n’existe pas dans tous les mangas et semble refléter un choix stylistique de l’auteur. On trouve en effet dans Boku Tama par

146 Les signes de ponctuation sont aussi très nombreux dans les bandes dessinées européennes. Voir

notamment Jacques DÜRRENMATT, Bande dessinée et littérature, Paris, Classiques Garnier, 2013, en

exemple un nombre non négligeable de points d’exclamation suivant des petits « tsu ».

Remarquons par ailleurs que les points d’exclamation peuvent être employés en l’absence d’impressifs graphiques pour exprimer la surprise des personnages. Une scène du volume 16 en donne un exemple remarquable par sa taille (fig. 44), tandis qu’une scène du volume 50 montre l’usage d’un double point d’exclamation (fig. 77). On en trouve d’ailleurs un autre exemple frappant dans Chidaruma kenpō, de Hirata Hiroshi (fig. 5). Leur appartenance à la catégorie des impressifs graphiques dans ce cas est discutable puisqu’ils ne peuvent être prononcés, mais il est en revanche indéniable qu’il existe une continuité entre les impressifs graphiques dotés de points d’exclamation et les points d’exclamation isolés, tant sur le plan graphique que sur le plan sémantique. Là encore, il semble que leur usage dans les mangas ait été inspiré de l’exemple des bandes dessinées américaines.

La connotation portée par les points de suspension apposés aux impressifs graphiques est à l’opposé de celle de l’occlusion glottale finale, puisque les points de suspension expriment l’idée d’arrêt progressif, de résonnance ou de continuation. Leur emploi est rare dans JoJo, puisque qu’ils accompagnent moins de 1% des impressifs graphiques, mais d’autres mangas, comme Boku Tama, en font un usage bien plus marqué : 17% en moyenne des impressifs graphiques y comportent des points de suspension. Il n’est pas surprenant que les mangas présentant des scènes d’introspection fassent un plus grand usage des points de suspension que les mangas d’action. Sur le plan graphique, les points de suspension japonais se distinguent des points de suspension français par leur position médiane, leur taille plus importante et leur nombre aléatoire. En effet, il arrive qu’ils soient formés de deux, trois, quatre points, voire davantage. Dans JoJo, leur usage est assez classique, comme dans le volume 10, où les mouvements souples de Lisa Lisa sont décrits par l’impressif graphique « sū… » (on devine le bord du troisième point, qui semble avoir été coupé par le bord de la page) (fig. 39). Toutefois, la plasticité de ce signe scriptural en japonais a été exploité par de nombreux autres mangas, notamment en l’associant à une barre d’allongement vocalique. On y reviendra dans la troisième partie de ce travail147.

Tout en se distinguant des phonèmes expressifs en tant que tels, les points de suspension, tout comme les points d’exclamation, s’apparentent ainsi d’un point de

vue fonctionnel à des variations phono-morphologiques des impressifs graphiques.

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