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2. Des signes d’intranquillité

2.1. Transmission

Cet ensemble de signes inclut des éléments qui furent rencontrés exclusivement au sein du thème « Être père ». Un premier signe concerne le sous-thème « Identité ». Ce qui transparaît dans ce sous-thème c’est la possibilité de la transmission du père à l’enfant.

2.1.1. Dynamique d’identification

Monsieur Q. dit avoir été inquiet vis-à-vis de son enfant, lorsque ce dernier a commencé à choisir des jouets. Le jeune garçon est principalement attiré par des jouets de fille. De plus, le fils a beaucoup plus d’amies (de sexe féminin) que d’amis (masculins). Cette observation du père a fait l’objet de plusieurs discussions avec la mère de leur enfant. Cette inquiétude est résumée par Monsieur Q. de la façon suivante : « je n’ai pas envie que mes enfants aient le même parcours que moi ».

Ce qui inquiète Monsieur Q. c’est la possibilité que son fils puisse avoir un parcours semblable au sien, c’est-à-dire un parcours transgenre. M.Q. poursuit toutefois par cette précision : « ça n’est pas une inquiétude fondamentale, mais c’est une inquiétude tout de même importante ». Dans une tentative presque d’annulation de ce qu’il vient de s’autoriser à dire, le père tente de relativiser le fait qu’être trans n’est pas grave, mais que cela relève d’un parcours qui néanmoins n’est pas facile. M.Q. termine en disant : « On n’a pas envie de transmettre les problèmes qu’on a eus nous même à supporter ».

C’est alors de façon manifeste que la question de la transmission vis-à-vis du vécu de genre est dévoilé. Ce dévoilement est qualifié d’inquiétude par le père. Et cette inquiétude porte sur cette possibilité de transmission, qui n’est pour l’heure que de l’ordre du risque. Tel une épée de Damoclès, cette possibilité est portée à la discussion au sein du couple parental.

Il s’agit d’une question insoluble pour l’homme transgenre. Savoir si oui, ou non il transmettra à cette enfant l’héritage de son parcours transgenre.

La dimension de non-filiation biologique n’est pas manifestée dans le discours de Monsieur Q. autour de cette question de la transmission. Ce point nous interpelle vis-à-vis de ce que nous avions relevé lors de notre partie théorique en présentant deux situations

rencontrées en dehors du cadre de notre étude. Les deux illustrations cliniques furent appelées Luc et Martin152.

Là où le genre vient masquer pour Martin, le genre dévoile quelque chose du côté d’une intranquillité pour Monsieur Q. Comme Luc, Monsieur Q. souhaite ne pas transmettre à son enfant ce qu’il a lui-même vécu. Mais contrairement aux deux cas présentés auparavant, une transmission sans filiation biologique semble tout à fait possible.

Monsieur Q. durant l’entretien emploi les mêmes termes que Luc : « On n’a pas envie de transmettre les problèmes qu’on a eus nous même à supporter ». Cependant, Monsieur Q. ne considère pas la possibilité de rompre avec la chaîne de transmission par le don de gamètes.

Monsieur Q. et la plupart des hommes transgenres rencontrés n’ont pas eu à se confronter à la question du deuil de la stérilité de la même manière que les hommes rencontrés dans la clinique majoritaire des Cecos. Monsieur Q. a dû renoncer à toute parentalité biologique en s’engageant dans un parcours de transition. Ce ne fut pas un choix, mais une condition. Le parcours fut celui de l’ablation de l’utérus et des ovaires et avec eux toutes perspectives de filiation biologique.

Le don de gamètes a permis une filiation juridique et sociale, et la possibilité de transmettre en place de père. L’intranquillité apparaît par la question du genre sur un point que l’enfant donne à voir.

Est-ce que Monsieur Q. s’était construit l’idée que le recours au don de gamètes allait permettre de ne pas transmettre ce qu’il ne voulait pas, comme Luc. Ou plutôt est-ce le constat d’une transmission d’un point douloureux de sa vie, qui anime une inquiétude intime de l’homme transgenre ?

Dans cette situation, l’intranquillité serait ce constat d’une similarité entre pères-fils autour d’un vécu douloureux du père. Cette tension psychique bouscule narcissiquement l’homme transgenre possiblement sur la construction psychique qu’il a pu se constituer autour de sa paternité. À la fois, c’est de similarité dont il est question, mais à l’endroit où elle n’était pas attendue.

152 Illustrations cliniques décrites en fin de partie théorique (p. 119), et ayant fait l’objet d’une publication (Mendes

2.1.2. Assurance narcissique

Monsieur F. rapporte à distance de l’évènement vécu, le temps de la grossesse de sa femme et l’annonce du sexe de l’enfant à naître. L’intranquillité apparaît :

« on avait pleuré tous les deux, et notamment moi, j’étais très inquiet, parce que ça allait être un garçon, et que donc lui allait avoir un… un zizi, alors que je n’en avais pas, et donc je me demandais comment j’allais pouvoir gérer ça »

Comment être père d’un petit garçon quand on n’a pas de zizi ? Cette question paraît du côté de l’imaginaire, elle se rattache à l’image de ce qui serait donné à voir. Interroge-t-elle aussi possiblement les représentants narcissiques d’une masculinité pour Monsieur F. ?

« comment […] pouvoir gérer ça ». Possiblement, cette question renvoi l’homme transgenre à la valeur symbolique du Phallus, à savoir le manque, comme mise à l’épreuve de ce passage vers la paternité ? Dans cette situation, est-ce la présence d’une similarité trop différente entre le père et l’enfant qui interrogerait les assises narcissiques de l’homme transgenre concernant ses compétences paternelles ?

Le nouage entre le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique, instaurait par l’affirmation transgenre telle que défini par Condat (2017), se trouve bousculé. D’après la définition de Bourseul (2016) du genre, possiblement ici le sexe de l’enfant à naître, comme instance imaginaire vient bousculer le processus symbolique de genre de l’homme trans devenant père. Il est possible de considérer que cette intranquillité resta présente jusqu’à ce que le père rapporte ce vécu à son fils. Le fils, par ses mots, peut attester de la dimension symbolique de ce père et de sa place vis-à-vis de lui. Et cette reconnaissance vient annihiler l’intranquillité induit par ce registre imaginaire. Cette attestation symbolique est, probablement ce qui permit au père d’exposer, lors de notre rencontre ce vécu passé d’intranquillité.

Pourquoi un tel bousculement dans le cas d’un petit garçon plutôt qu’une petite fille ? L’intranquillité aurait probablement pu être aussi vécu dans l’attente d’une petite fille. C’est l’anticipation du regard du petit homme-fils sur son père qui bouscule psychiquement le père, et le réinterrogeant sur ses aptitudes futures de père transgenre.