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1. Qu’est-ce qu’être père ?

1.3. Le désir paternel

1.3.1. Le père réel, imaginaire, symbolique

Simone Kroff-Sausse nous fait remarquer que la plupart du temps, le père est défini par ce qu’il n’est pas, en allant jusqu’à avancer l’hypothèse que le père fait l’objet d’une hallucination négative (Kroff-Sausse, 2009). Dans le sens où, quand il est là, on ne le voit pas. Cette remarque sur l’absence du père nous invite à nous poser la question de savoir si la présence d’un homme est indispensable pour qu’il y ait un père. Si nous reprenons la distinction que propose Lacan entre le père réel, le père imaginaire et le père symbolique, il nous semble qu’il est possible de répondre à cette question de la carence du père dans la réalité.

Le père imaginaire est celui qui est investi imaginairement de différents attributs, notamment comme privateur et interdicteur. Le père symbolique est celui qui sera investi comme ayant le phallus. Le père réel est ici à considérer comme l’homme dans la réalité.

L’ouvrage de Bernard This déjà évoqué plus haut, publié en 1980, propose dans son approche une logique chronologique qui suit l’évolution de l’embryon, puis du fœtus jusqu’à la naissance du bébé. Durant cette évolution chronologique, This propose un découpage du père selon les trois dimensions réel, imaginaire et symbolique qui sont distinguées en trois parties. Il est intéressant de noter que This situe la question biologique du côté du réel, les mythes autour de la paternité du côté imaginaire et la référence à la théorie lacanienne du Nom du Père, du côté symbolique. Il nous semble pertinent de situer les références mythiques du côté imaginaire,

et d’aborder le Nom du père et ses fonctions du côté du symbolique, cependant situer le biologique du côté du réel doit nous interroger.

La biologie peut être rapprochée du côté de la réalité, mais alors il faut admettre ce qu’elle comporte d’imaginaire. Admettre le biologique du côté du réel, implicitement permettrait de situer la biologie du côté de la vérité. Cela dans la mesure où il ne cesse d’y avoir par le discours scientifique la production d’un savoir autour de la biologie.

Avec Michel Tort, nous pouvons rappeler la distinction qui peut être fait entre sexualité et procréation. Notamment par l’écart temporel qui existe entre le moment du rapport sexuel et le moment de la fécondation (Tort, 1992). Il doit être rappelé aussi avec Maurice Godelier qu’il existe un certain nombre de théories à propos de la procréation dans différentes cultures n’impliquant ni la sexualité, ni parfois même les hommes :

Comme anthropologue, on remarque que dans les systèmes matrilinéaires, le sperme ne fait pas l’enfant, l’homme n’est pas géniteur, seule la femme l’est107.

L’idée ainsi d’une disjonction anthropologique entre sexualité et procréation est une disjonction qui est donnée à voir dans le social. Jusqu’alors cette jonction participe de l’imaginaire structurant de la cellule familiale dite naturelle.

L’intrication entre le père symbolique et le père réel semble précisément être le nœud de la question autour des écrits abordant le déclin du père dans notre société contemporaine.

Pour que l’homme puisse remplir une fonction de père symbolique, l’homme devrait à un certain moment de la phase œdipienne être reconnu comme ayant les attributs imaginaires de la fonction phallique. Pour comprendre ce point, Joël Dor précise que l’homme n’a pas besoin d’être réellement autoritaire et interdicteur vis-à-vis de l’enfant durant la phase fusionnelle mère-enfant. Il nous faut ici aborder cet aspect théorique de l’élaboration lacanienne de façon précise pour saisir l’essence de son propos.

Pour que l’enfant reconnaisse l’homme comme porteur des attributs phalliques, la mère a également un rôle dans cette dialectique. Le père réel doit montrer sa présence, son existence entre l’enfant et la mère, mais également la mère doit non seulement accorder une place à cet homme, mais doit accorder une place à son propre désir de femme. À l’époque de la relation fusionnelle entre mère-enfant, l’enfant se place comme étant le seul objet pouvant répondre au désir de la mère. En ce sens, l’enfant s’identifie comme étant le phallus de la mère, c’est-à-dire

comme l’objet venant à la place du manque du désir de la mère. À ce stade, l’enfant s’identifie donc imaginairement comme étant le phallus de la mère. Lors de l’entrée dans l’Œdipe, cette relation vient à être médiatisée par la présence du père réel. L’enfant découvre qu’il n’est pas le seul à pouvoir satisfaire le désir de la mère, le père vient répondre également au désir de la mère. En ce sens, l’enfant verra la présence du père réel comme de plus en plus gênante face à la place imaginaire qu’il tient vis-à-vis de sa mère. Du fait de cette présence, l’enfant réinterrogera la place qu’il tient d’être celui qui possède le phallus. Pour ce faire, le père interviendra comme étant celui qui a le droit de prétendre à ce statut phallique. La médiatisation de la relation mère-enfant par le père se fera sur le terrain de la rivalité phallique où le père apparaît comme interdicteur et privateur. Le père est alors reconnu comme étant celui qui peut prétendre à cette place de cause du désir de la mère, soit de pouvoir combler le manque de la mère. Et en ce sens, le père apparaît de plus en plus comme possédant les attributs imaginaires phalliques de puissance et donc de droit de privation et d’interdiction de l’enfant vis-à-vis de sa mère.

Par le repérage de l’enfant des tensions de rivalité avec le père manifesté par l’interdiction108, la frustration109 et la privation110, la Loi du père est reconnue progressivement. Cette Loi, l’enfant doit encore découvrir qu’elle s’applique également à la mère. La mère reconnaît cette loi du père, puisqu’elle accepte d’être privée à certains moments de son enfant. En cela, un déplacement s’effectue pour l’enfant sur la question de l’être et l’avoir vis-à- vis du phallus. Jusqu’alors, l’enfant s’étant fondé sur l’idée imaginaire d’être le phallus de la mère, face à la confrontation œdipienne avec le père, la question se déplace d’avoir ou non cet objet imaginaire : le phallus. Le père symbolique apparaît lorsqu’il apparaît comme étant investi d’être celui qui a le phallus.

Le père a été lui-même un fils et ayant été confronté à la castration se doit d’avoir attribuer l’objet phallique à son propre père. Et de ce fait, Joël Dor nous confirme : que « le père, en tant qu’homme ne peut jamais apporter d’autre preuve que de donner ce dont il est dépourvu. »111.

Le repérage différentiel que propose une lecture lacanienne du complexe d’Œdipe implique de développer ce qui est entendu comme étant la métaphore paternelle. Cette opération est

108 Le père empêche l’enfant d’avoir sa mère entièrement pour lui.

109 Manque imaginaire où l’objet (qu’est la mère) est bien réel pour l’enfant car il en a besoin. 110 Du côté de la mère, d’accéder à l’enfant qui semble pouvoir être celui qui comblera son désir. 111 Dor, J. (1998). Le père et sa fonction en psychanalyse. Paris : Ères, 200, p. 39.

importante, car c’est en elle que se situe l’interprétation du devenir du sujet par l’accès au symbolique.