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2. Devenir père avec la médecine

2.1. Création de l’Aide médicale à la procréation par le don

2.1.3. La bioéthique et l’AMP

C’est au début des années 1970 que le terme de bioéthique apparaît. Il émerge aux États- Unis, sous la plume du biologiste Van Rensselaer Potter dans un livre de 1971 Bioethics. Bridge

128 Par couple traditionnel, nous entendons couple qui n’a pas recours à l’AMP.

129 Freud, S. (1909). Le roman familial des névrosés. Dans Névrose, Psychose, perversion (p. 157-160). Paris :

to the Future. Comme le fait remarquer Didier Sicard, ce terme apparaît tardivement. Lors du

tribunal de Nuremberg opposant les médecins nazis (20 et 21 août 1947) à la justice pénale internationale, les questions qui pouvaient être soulevées en ce qui concerne la manipulation du corps humain, notamment la disponibilité du corps humain ne sont pas évoquées (Sicard, 2015). Probablement, le traumatisme que constitue la Seconde Guerre mondiale est monopolisé par l’horreur politique du régime national-socialiste (nazi).

La morale médicale dans la seconde partie du XXe siècle présente des réflexions sur la personne avec une attention particulière en ce qui concerne son respect et son autonomie. Cependant, la recherche sur l’homme, notamment médicale ou biologique comme un produit soumis à l’expérimentation médicale comme le suggère Michel Foucault (Foucault, 1975) n’apparaît pas dans la sphère sociale.

Progressivement, les questions que soulèvent la procréation médicalement assisté (PMA), ou le don d’organe, ou encore les recherches en génétiques, apparaissent dans le domaine public. Ces questions apparaissent selon deux points d’intérêt (Sicard, 2015) :

- Le premier se manifeste de façon excessive au regard de la rareté du phénomène, ou bien son registre d’exception. La question concerne alors le préjudice du respect de la personne face à sa vulnérabilité.

- le second atteste de l’absence de limite que la question soulève et amène à sortir du domaine médical130.

En 1971, avec l’apparition du terme de bioéthique les réflexions de l’éthique médicale, jusqu’alors limitées par le symbole que représente le serment d’Hippocrate, viennent toucher la sphère publique et avec elle des réflexions autour de la naissance, de la vie et de la mort dans les domaines religieux, philosophiques, et parfois moral.

Sur le plan étymologique, bioéthique mêle l’origine grecque bios qui signifie la vie et ethos relatif aux mœurs. La bioéthique implique des réflexions incluant philosophes, juristes, scientifiques, mais également les personnes malades (société d’usagers) (Sicard, 2015). L’intérêt des réflexions bioéthiques réside précisément dans ces échanges transdisciplinaires.

130 Didier Sicard (2015) propose l’exemple de la greffe du visage. La question éthique que la société soulève reste

pourtant insensible aux difficultés d’obtention d’autres types de greffons pourtant plus fréquents (reins notamment) : « La réflexion se confond avec celle concernant les Droits de l’homme en débordant le champ même de la médecine » (Sicard, 2015, p. 12).

Il n’est pas simple de définir ce qu’est la bioéthique. Didier Sicard en propose une formulation :

Elle me paraît être la mise en forme à partir d’une recherche pluridisciplinaire d’un questionnement sur des conflits de valeurs suscités par le développement technoscientifique dans le domaine du vivant et en particulier de l’humain. Il ne s’agit donc pas d’une réponse morale, mais d’un questionnement incessant, toujours à reprendre, interrogeant autant le progrès des connaissances que notre capacité à réfléchir sur nous-mêmes. En aucune façon, il ne s’agit de procédure codifiée ni de compromis entre personnes de bonne volonté, ni d’application normative d’un droit médical, ni d’une lecture morale de la science médicale. La bioéthique n’est en aucun cas « la morale » de la science. (Sicard, 2015, p. 13-14)

Avec cette définition, nous retrouvons la mise en exergue d’échanges transdisciplinaires sur des questions que peuvent soulever les avancées des nouvelles technologies dans le domaine des sciences médicales. Nous relevons toutefois l’accent mis sur la distinction entre la réflexion bioéthique et le jugement moral. Ce point peut sembler évident, cependant dans le cadre d’échanges entre différents domaines d’application alors confrontés aux butées amenées par la nouveauté des situations qu’induisent les avancées technologiques, le glissement vers des références d’ordre moral comme appui réflexif peut apparaître de façon subtile.

Également, certains scientifiques peuvent avoir des difficultés à accepter les critiques de personnes hors champs de leur spécialité, notamment sous prétexte de manque de formation à ces questions. Les théologiens peuvent dramatiser la remise en question de l’immuable tradition. Enfin, les médecins, peuvent, dans la tradition française avoir des difficultés à pouvoir admettre l’échanges avec l’usager qui ne connaît rien sur ce qui le concerne. Contrairement peut-être aux approches anglo-saxonnes qui tendent à inclure le patient dans le choix de la prise en charge, la France tend à poser l’instance médicale comme position d’autorité.

Parmi les principes fondateurs de la réflexion bioéthique, nous retrouvons le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, le 10 décembre 1948) :

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Ce principe fondateur ne stipule cependant pas le domaine du soin en particulier, et dans ce sens de l’inégalité possible vis-à-vis de cet accès aux soins. La différence possible d’accès aux soins en termes de moyen financier peut-elle représenter une forme de discrimination ? La situation française du socle social qui offre la sécurité sociale à toute personne en capacité de cotiser aux aides sociales, ou le cas échéant étant en situation d’être bénéficiaire de ce régime social de santé, permet une offre de soin de base qui à priori limite le risque de discrimination dans le domaine du soin.

Toutefois, cette situation qui s’inscrit comme une spécificité française, ne présente-t-elle pas d’autres effets ? Notamment dans les questions que peuvent soulever le domaine de l’éthique médicale. Cette réflexion nous fut amenée lors de notre participation à la journée du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin131. Lors de cette journée de réflexion,

l’intervention du Dr Véronique Fournier proposa une réflexion autour de la situation spécifique française du système de sécurité sociale et de ces effets sur les réflexions en éthique médicale. Selon elle, le fait que la France prenne en charge les soins notamment dans le domaine de la procréation médicale, amène une forme de légitimité au corps social de pouvoir se positionner vis-à-vis de ce qu’il est légitime de faire (et donc de prendre en charge financièrement par la société) et ce qui ne l’est pas. Il est également possible d’élargir ce point à la question transgenre. Dans la mesure où, en France, la prise en charge hormonale, et chirurgicale est une pris en charge à 100%, il est nécessaire qu’il y soit posé un diagnostic qui légitime cette prise en charge. Par ailleurs, ce diagnostic doit être fait par un expert dans ce domaine qui parviendra à cerner ce qui relève du vrai besoin de traitement et de ce qui ne le serait pas. D’autres pays, notamment anglo-saxon, n’auront pas le même positionnement vis-à-vis de ces questions. Il sera tout à fait possible d’envisager un panel plus grand de prise en charge qui restera toutefois à la charge de l’usager. Également, la position du soignant pourra se présenter en termes d’accompagnant de l’usager, de lui donner l’ensemble du panel possible pour l’accompagnement de ses soins pour lesquels l’usager reste le premier décisionnaire. Différemment, en France, le médecin tient la place de l’expert, détenteur du savoir, mais également garant de ce qui sera demandé à la société de pouvoir prendre en charge pour le patient. Le patient, en France reste en effet décisionnaire, mais le cadre social de prise en charge

131 Fournier, V. (2016, novembre). Autoconservation ovocytaire pour raison d’âge : Une lecture éthique des

impose, peut-être implicitement, à la personne malade de se soumettre à la décision du médecin et avec lui la société qui accepte de le prendre en charge.