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2. Devenir père avec la médecine

2.3. Le don comme substitut de transmission

2.3.4. Un paradoxe pour point de butée

Pour Luc, le don de gamètes s’apparente à une tentative de venir rompre avec cette chaîne filiative, pour Martin elle permet de la maintenir. Depuis leurs positions respectives, chacun d’eux se trouvent face à un paradoxe. Luc vient rompre avec la filiation biologique pour entrer dans la norme, se protégeant par le voile du secret qui le situe comme père, il se protège d’être

celui qui transmet. Pour Martin, il s’agit en revanche de ne pas transmettre ses gènes, pour pouvoir transmettre la filiation symbolique de son nom.

Comment le désir d’enfant pour Martin se pose-t-il face au choix qui lui est demandé ? Il semble que pour Martin être père présente la difficulté de rendre compte de la rupture qu’il impose à la filiation paternelle. Martin révèle la difficulté qu’il a de se construire une fonction paternelle qui soit entre la non-transmission d’anomalie génétique et la transmission paternelle nécessaire au développement de l’enfant. Il est ici question du lien symbolique que peut tenir la biologie dans le système de filiation et de la transmission dans la mythologie parentale.

Pour Martin, il est difficile de penser la possibilité d’un prolongement de soi, et de sa lignée familiale par cette rupture biologique. Ce paradoxe, apparait de façon manifeste dans le discours de Martin et présente une atteinte à la représentation imaginaire de sa masculinité.

Le genre masculin représenté par l’anomalie du chromosome Y, ou encore l’impuissance renvoyée à Martin au sein de son couple, le met en difficulté sur le plan narcissique. Le point de réel qui apparait par cette confrontation à la biologie induit le recours à des représentations imaginaires de la masculinité. À l’appui de la définition de Bourseul pour qui le genre est avant tout un objet imaginaire, la recherche d’un savoir sur la différence des sexes serait la recherche d’un rapport entre les sexes qui n’existe pas pour l’inconscient (Lacan, 1975). C’est ainsi par cette recherche impossible que le genre vient recouvrir en tant qu’objet imaginaire la confrontation au réel (Bourseul, 2016). Pour Martin, ce que le genre vient recouvrir c’est aussi le réel du biologique, le masculin apparait alors comme tentative de penser cette question de l’impossible. Penser, par le recours aux mots porteurs d’image pouvant recouvrir ce réel. Tentative de recherche de sens, là où il n’y en a pas. Il vient poser une image abîmée d’un masculin impuissant ou anormal.

Résumé du chapitre IV

Ce quatrième chapitre possède un titre pouvant surprendre. Il a été choisi pour rendre compte de la similitude entre les deux objets qu’il aborde et sa proximité historique. Il s’agit de paternité et d’aide médicale à la procréation.

L’aide médicale à la procréation s’institutionnalise avec le don de spermatozoïdes, cela bien avant les perspectives de fécondation in vitro (FIV) car techniquement la FIV n’est réalisée qu’au début des années 80, alors que les Cecos existent depuis le début des années 70. Par ailleurs, les travaux psychologiques s’intéressant aux pères commencent à apparaitre au début des années 80 avec les travaux de Bernard This et Geneviève Delaisi de Parseval. Ce chapitre a pour objectif de présenter les différentes positions théoriques autour du père, et de préciser les spécificités étudiées autour de la pratique du don de gamètes notamment en France. Pour interroger le père, nous partons d’une revisite historique de ces considérations – ce qui nous a mené à une interrogation anthropologique de la question, notamment par l’apport des travaux de Maurice Godelier. Ce dernier reprend la suite de Claude Lévi-Strauss, en renversant la chaîne d’attribution causale de principes fondamentaux tels que l’interdit de l’inceste.

Une réflexion autour de « être parent » et plus spécifiquement autour du couple parental nous a amené à interroger autrement la différence des sexes. Nous posons la question à l’appui d’une brève vignette clinique de l’évènement de la grossesse comme expression à la différence des sexes ?

La question du désir paternel est abordée à l’appui de travaux sur l’homoparentalité menés par Emmanuel Gratton. La notion de transmission articulée aux possibilités de filiation apparait parmi les résultats de cette étude.

Le second temps de cette partie concerne la pratique des Cecos. Nous revenons sur son histoire et la constitution du cadre juridique au sein duquel elle s’institue. Les questionnements que la pratique du don de gamètes ouvrent sont relevés, notamment à l’appui des arguments de réflexion bioéthique sur l’assistance médicale à la procréation.

Ce chapitre est conclu par la réflexion autour de deux situations cliniques rencontrées dans la pratique clinique des Cecos. Cette présentation met en avant une réflexion autour de la transmission élaborée selon ce que permet le don de gamètes, à savoir une non-filiation biologique.

PARTIE 2 : LA RENCONTRE AVEC LA CLINIQUE DES PERES TRANSGENRES

PROBLEMATIQUE

Au regard de notre cheminement théorique et à l’appui d’études empiriques, il nous a semblé important de nous intéresser au vécu de la paternité en perspective du parcours de transition de genre de l’homme transgenre. Pour poursuivre cette question, il nous apparaît essentiel de revenir brièvement sur la définition des termes qui construisent ici notre questionnement.

Le premier terme est celui d’identité. Ce terme qui apparaît principalement sous la plume des sociologues et semble de prime abord ne pas avoir de correspondance exacte avec notre théorie psychanalytique. Pour autant, comme nous avons pu le relever, ce terme apparaît précisément avec certains théoriciens psychanalystes. Notre parcours théorique nous a amenés à questionner les références au concept d’identification, mais également de narcissisme. Notre réflexion des paternités situées autour des impossibles accès traditionnels à la parentalité nous a permis d’envisager les passages par la médecine, et plus spécifiquement le don de gamètes. Ce passage rend alors la parentalité possible par le cadre institutionnel qu’elle offre. Le signifiant "stérilité" comme symptôme médical se situe comme point nodal de notre recherche. La variabilité de ce que recouvre ce terme en rend le maniement difficile s’il n’est pas étayé de la clinique. Pour notre population, la stérilité est le résultat d’un parcours de transition de genre (parcours transgenre).

Le terme d’homme transsexuel présente le risque d’être trop réducteur. Il ne recouvre pas la complexité des situations cliniques qui peuvent être rencontrées. Ce terme dernier enferme le sujet sans lui permettre d’en épingler ce que relève son sentiment d’identité. Transsexuel est pourtant le mot qui fut employé lors des parcours de transition des sujets qui furent rencontré. Au regard de la complexité du maniement de ce vocabulaire, nous choisissons ici pour la formulation de notre problématique la simple précision d’un état du parcours lors de notre rencontre avec ces personnes. C’est-à-dire de considérer des hommes (ils le sont à l’état civil) qui sont nés femme (car assignés à la naissance au sexe féminin). Ce choix permet à notre problématique de rester au plus proche des singularités de nos rencontres, et de ne pas assigner ces personnes sans pouvoir en garantir la précision à la fois clinique et scientifique. Le terme transgenre reste le référentiel que nous employons et qui conservera l’utilité et la pertinence de son maniement lors de l’analyse de nos résultats.

Enfin, concernant le don de gamètes, il apparaît important de préciser qu’il est ici question uniquement du don de spermatozoïdes tel qu’il est configuré dans le cadre français. C’est-à- dire que les sujets rencontrés sont des hommes à l’état civil et ils sont en couple hétérosexuel avec une femme141. De plus, le don est gratuit et anonyme.

Notre question de recherche peut être ainsi déterminée de la manière suivante :

Comment un sujet homme né femme définit-il sa paternité à la suite d’un contexte d’accès à la parentalité par le recours à une insémination artificielle avec tiers donneur anonyme de spermatozoïdes (IAD) ?

Hypothèses :

Dans le cadre d’une démarche de travail scientifique, il semble nécessaire de parvenir à poser des hypothèses sur la question de recherche posée. Toutefois, nous n’avons pas pu trouver dans la littérature, non seulement française mais plus généralement internationale, d’auteurs abordant cette question de la paternité transgenre dans un contexte d’AMP. La manière dont la paternité peut apparaître chez des pères nés femme n’a jamais fait l’objet d’aucune recherche à notre connaissance. L’intérêt s’est porté sur le devenir des enfants, leurs développements psychologiques et affectifs (Chiland, 2013). La totale absence d’étude sur ce thème doit être considérer précisément dans la démarche théorique et épistémologique dans laquelle nous souhaitons nous travailler.

Nous pourrions envisager de poser des hypothèses telles que

● Le père, né femme, présente un rapport au tiers donneur anonyme de spermatozoïdes marqué d’un fantasme de rivalité compte tenu de la valeur imaginaire que possède le signifiant phallus.

En effet, il est facilement possible d’envisager qu’un homme né femme puisse présenter des difficultés à se représenter sa propre position paternelle. Cela dans la mesure où étant né femme, l’homme doit avoir recours à un autre homme pour obtenir de lui un don (de spermatozoïdes). Ce don peut présenter une dimension symbolique et imaginaire importante. Et la nécessité de cette demande de don peut s’apparenter à un don de masculinité.

Le donneur anonyme, par l’apport de ce manque que possède l’homme né femme, peut s’instituer dans un fantasme de rivalité.

Également, une autre hypothèse pourrait se faire jour tel que :

● Le genre de l’enfant né de ce don et de ce processus d’AMP réactualisera le vécu infantile de genre du père né femme.

Il semble en effet possible d’imaginer que le vécu infantile pour la personne transgenre ait pu être difficile. Au regard des mouvements de réactualisation qu’induit l’accès à la parentalité, il est possible d’envisager qu’une telle réalité puisse rendre difficile pour l’homme transgenre la question de la similarité ou de la différence de genre entre lui et son enfant. Cette influence pourrait aussi être le signe de difficulté dans les questions de transmission du vécu de l’homme transgenre vis-à-vis de son enfant.

Enfin, il est possible de déterminer une dernière hypothèse qui peut être formulée de la manière suivante :

● Le père né femme se définira dans sa paternité sur la valence imaginaire du masculin. En d’autres termes, jusqu’à quel point occupe-t-il sa place de père. Cette dernière hypothèse se présente comme référence aux stéréotypes de genre. Les stéréotypes pouvant être le support de formulation de l’imaginaire sociétal et collectif. De la même manière qu’il peut apparaître des présentations accentuer du côté masculin pour les hommes transgenres, ce stéréotype pourrait être rencontré du côté des représentations de la paternité.

Cependant, les hypothèses que nous venons de proposer sont le reflet d’à priori, se basant sur des représentations que nous pouvons avoir autour des questions transgenres. Avancer avec de telles hypothèses ne présente-t-il pas le risque de nous enfermer dans des à priori théoriques vis-à-vis des positions d’hommes transgenres accédant au statut parental ?

Comme nous l’avons précisé, la littérature présente un faible appui pour nous permettre de légitimer de telles hypothèses à défaut de faire des rapprochements rapides. Les questions transgenres sont à manier de façon rigoureuse et respectueuse pour limiter les effets de collage imaginaire de nos propres représentations sur nos interprétations. Orienter notre regard de clinicien-chercheur présente le risque de nous empêcher de pouvoir laisser émerger d’autres hypothèses que cette clinique nous offre dans le cadre de ce travail.

C’est pourquoi, le choix a été fait pour cette étude, de privilégier une méthodologie de recherche qui n’impose pas de poser d’hypothèses préalables fermés. Nous ne nous inscrivons pas dans une démarche hypothético-déductive mais dans une démarche privilégiant une approche qualitative s’inspirant de l’approche phénoménologique. Cela nous semble primordial autant pour notre démarche de recherche que pour le respect du travail auprès de cette population. Comme nous le développons plus avant, nous choisissons de partir avec notre

question de recherche pour l’analyse du matériel clinique recueillie sans savoir préalable de ce que nous parviendrons à extraire. Sur la base de ce matériel, nous proposerons alors les trames de questionnement que cette clinique nous aura permis d’envisager et avec elle l’ouverture potentielle de nouvelles clés de compréhension.

LA NECESSITE D’UNE METHODE

Le contexte de cette recherche nécessite d’être précisé. Si ce travail a pu s’engager, c’est grâce à une rencontre avec une équipe de recherche. Cette équipe est celle du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du Professeur David Cohen au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, associé au Centre de conservation des œufs et du sperme (Cecos) du Professeur Jean-Philippe Wolf à l’hôpital Cochin. Cette recherche a été coordonnée par la Docteure Agnès Condat, pédopsychiatre et psychanalyste, et la Docteure Véronique Drouineaud, médecin biologiste de la reproduction. C’est en septembre 2014 que j’ai rejoint cette équipe.

Le travail engagé au sein des deux services impliquait la poursuite de l’étude menée par la Professeure Colette Chiland, psychiatre, psychologue et psychanalyste, et le Professeur Pierre Jouannet, médecin biologiste de la reproduction, sur le suivi d’enfant né de père d’origine transsexuel. Mon travail au sein de l’équipe était de recueillir le matériel clinique et de mener des entretiens ainsi que de renseigner les échelles psychométriques et les questionnaires systématiques auprès des parents et des enfants. Ce travail de collaboration au sein de ces deux services m’a permis de recueillir des éléments cliniques utiles à l’élaboration du travail ici développé. Il m’a été possible de construire ma méthodologie de recherche sur la base du protocole déjà mise en place.

Nous introduirons brièvement ce protocole de recherche construit par l’équipe en le resituant également dans son développement et sa mise en œuvre. Dans la continuité de cette présentation, nous préciserons la population rencontrée et le cadre de nos rencontres. Enfin, il nous faudra présenter l’outil que nous avons choisi de privilégier pour notre étude ainsi que la méthode d’analyse adoptée pour ce travail.