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1. Qu’est-ce qu’être père ?

1.2. Être parents

1.2.1. La différence au sein du couple parental

Le terme de maternalité, qui a sans doute inspiré le néologisme de parentalité, a été introduit par Racamier (Bydlowski, 2006, p.33). Néanmoins, la maternalité est un processus que Monique Bydlowski nous décrit de façon très claire en termes de combinaison harmonieuse comme suit :

- mon premier serait l’identification à la mère fiable des débuts de la vie : en deçà du conflit œdipien exacerbé à l’adolescence, le mouvement intérieur de la jeune femme vers la maternité est de retrouver l’amour pour la mère des commencements, mère source de vie, fontaine de tendresse sans laquelle le bébé d’autrefois n’aurait pu survivre ;

- mon second serait un autre vœu : recevoir, comme elle, un enfant du père. L’amour œdipien de la jeune fille culmine dans la réalisation de ce bébé qui selon la formule freudienne actualise celui que toute petite fille a, un jour, désiré en cadeau de son père ;

- mon troisième serait constitué par la rencontre adéquate de l’amour sexuel pour un homme actuel, celui du couple, qui pour la jeune femme, va incarner la résultante des deux amours précédents ;

- quant à mon tout, il serait la conception et la naissance de cet être qui, au terme d’une attente, transformera la femme en mère (Bydlowski, 2008, p. 34-35).

Cette description, sous ses allures de charades, laisse entendre une approche de la maternalité réduisant les enjeux conflictuels pour la femme à la résurgence de son parcours

œdipien. Si la femme vient à s’identifier à sa mère des premiers jours, cette identification s’opère au-delà de la relation symbiotique avec l’enfant. Winiccott (1956), comme nous l’avons évoqué précédemment, parle de mère suffisamment bonne. Pour que la mère développe cette capacité à répondre à tous les besoins du nourrisson qui participe alors à son sentiment de toute- puissance créatrice que représente l’hallucination primaire (Freud, 1914), elle adopte cet état particulier de la préoccupation maternelle primaire. Néanmoins, cette mère suffisamment bonne est aussi une mère suffisamment carentielle dans sa capacité à faire vivre à son nourrisson des moments de désespoir.

Pour le nourrisson, la première déchirure narcissique est le traumatisme de la naissance (Freud, 1926). Le premier cri au monde vient rendre compte de la souffrance pour ce petit être de se retrouver pour la première fois de sa vie à l’extérieur de cet environnement placentaire, en dehors de cette plénitude absolue. Dès la vie, le développement de l’enfant impliquera la rencontre avec différentes situations de castration successives, nécessaire à la mise en place de son rapport au monde (Dolto, 1971).

La fontaine de tendresse semble être une représentation imaginaire des traits d’identifications que peuvent tenter de rechercher certaines des femmes devenant mère. La conclusion de cette charade, porte sur la finalité de la grossesse qui engage le début de la maternité. Ce passage est présenté comme l’évolution logique qui lie la femme à la mère. Cette considération du statut de femme est ainsi corollaire au statut de mère. À la fois en la distinguant, Bydlowski la relie tel un continuum.

Les considérations de Bydlowski sur la dette de vie, appellent la réponse de la femme de donner un enfant à sa propre mère. C’est en cela qu’elle peut s’acquitter de la dette de vie (Bydlowski, 1996). Est-il possible de penser la même liaison entre le statut d’homme et celui de père ?

Bydlowski s’intéresse au syndrome de couvade que l’on retrouve parfois chez les futurs pères. Elle rapproche cet état d’un fantasme de grossesse et d’une identification féminine chez l’homme qui prend la place de la future mère, durant le temps de la grossesse. Là encore, il est frappant de voir que grossesse et féminité sont employées dans le même ensemble. La grossesse est un phénomène réel sur le corps d’une femme. Il peut être considéré que la grossesse est la réponse de la femme à son désir œdipien d’obtenir un enfant du père, un substitut du pénis (Freud, 1931). La part somatique possède une place centrale dans cette différenciation.

La grossesse impose, de fait un principe de différenciation fondamentale. C’est-à-dire qu’aussi présent, aussi soutenant le compagnon, le futur père peut-il être pour sa compagne, il

ne peut pas être celui qui porte l’enfant. Cette bénédiction peut parfois être rapportée comme un fardeau. Dans le cadre d’une consultation au Cecos, je me souviens de ma rencontre avec un couple. Il parait intéressant de soulever par cette brève vignette le contenu de l’articulation de la différence au sein du couple.

Le couple venait de vivre plusieurs échecs de tentative de fécondation in vitro (FIV) avec les gamètes de chacun des deux membres du couple. Ces différentes tentatives ont eu lieu pendant une durée d’environ 9 mois. La femme emploie cette image, avant même que je n’aie pu le suggérer : « c’est comme si j’avais porté un enfant ». Cette représentation de la gestation pour rendre compte de ce temps d’attente a été employée, principalement pour rendre compte de la dysmétrie entre les deux membres du couple. En effet, chacun avait vécu assez difficilement ces 9 mois de tentatives. L’homme pouvait exprimer sa difficulté à pouvoir accompagner sa femme dans ce processus de FIV. La femme percevant la culpabilité de son compagnon put, par cette image lui en faire part : « En effet, ça a été difficile, mais une grande part de ces difficultés ne pouvait pas être portée par toi ». La représentation de la gestation, qui n’avait pourtant pas été réelle, permit d’alléger le poids de la culpabilité que portait l’homme au sein de ce couple. Il n’y a pas eu de grossesse durant ces 9 mois, cependant c’est sur le corps de la femme que les tentatives ont eu lieu. Comme durant la grossesse, la difficulté qui fut rencontrée n’était pas vécue de la même manière par les deux partenaires du couple. Est-ce que la grossesse serait le point de différence fondamentale entre les sexes ?

Pour ce couple, les FIV ont été vécues différemment. Les deux partenaires, malgré la fusion que peut laisser apparaître la liaison imaginaire amoureuse, ne peuvent éprouver la même chose face à cette même situation. La différence biologique manifeste l’état de cette différence, mais le manifeste comme support d’une réalité permettant d’expliquer ce principe d’altérité. Nous relevons que dans la remarque de cette femme, la différenciation est faite par l’appui de la biologie. Néanmoins, l’épreuve de réalité pour ce qui a été vécu comme insupportable, c’est l’attente.

La parentalité comme concept est critiquée par Bydlowski car, selon elle ce concept amène une indifférenciation des deux membres du couple parental. Au sein de cette différence, c’est le désir d’enfant qui apparaît. Ce désir qui est comme le rappelle Freud en 1925 ni masculin ni féminin, c’est un désir qui transparaît de façon indifférenciée selon le sexe.

La sexualité est pensée dans une question de différenciation sexuée. Cette différence semble s’appuyer du biologique, de la réalité des corps qui opposerait les deux sexes comme nous l’avons relevé dans cette vignette clinique. Thamy Ayouch, dans un article de 2013,

interroge spécifiquement ce principe de différence des sexes binaires depuis le constat visuel sur les corps :

Le biologique, dans son expression anatomique, est-il le dernier mot de la différence des sexes, ou n’intervient-il ici que comme l’index d’une énigme, celle, irréductible, de la sexualité. 100

L’auteur s’interroge sur l’impossibilité de répondre à la question de ce qui fonde la différence des sexes. La thèse est émise de l’appui imaginaire du regard sur le corps comme recherche du garant de la différence des sexes. L’anatomie considérée comme le résultat d’une construction historique à l’appui des travaux de Thomas Laqueur et Judith Butler, ne peut s’inscrire comme garant suffisant de la différence des sexes. Le discours scientifique voulant distinguer genre et sexe comme l’opposition de la culture et de la nature ne tient pas, car le sexe comme représentant d’une réalité biologique est lui-même pris dans le contexte historique et culturel qui le produit. Le sexe est alors « effet réel des régulations sociales et des assignations normatives. » (Ayouch, 2013, p.55).

Prendre le support biologique induit un savoir fantasmatique autour de la différence, et reste réduit à une approche imaginaire de la question de la différence des sexes. La grossesse, comme élément qui est donné à voir produit un savoir autour de l’appréhension de la différence, de la question fondamentale de l’altérité. Pour ce couple, la grossesse intervient comme objet imaginaire permettant de produire une réponse à leur question : pourquoi vivons-nous ces évènements différemment ?