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2. Des signes d’intranquillité

2.2. Ajustement de la place du père

Ce deuxième ensemble de signes d’intranquillité porte sur l’interrogation du père vis-à-vis de la place qu’il tient. Cette interrogation est centrée sur la mise en place d’une juste distance, de la mise en place d’un cadre contenant pour l’enfant et de l’articulation avec la mère. Parmi

les trois points d’intranquillité rencontrée, deux appartiennent au thème de la Relation du père à l’enfant. Un autre a été rencontré au sein du thème Etre père. Nous commencerons par ce dernier.

2.2.1. Se séparer de l’enfant

Monsieur M. désigne son fils aîné comme « assez angoissé ». Ce constat qui porte d’abord sur la dyspraxie de l’enfant amène le père, durant l’entretien à la dimension de la séparation. L’apparition de ce signe d’intranquilité se retrouve autour de la thématique d’Etre père, et du sous-thème Identité : Qualités/Défauts. L’observation par le père des difficultés de son enfant bouscule le positionnement qu’il tenait jusqu’alors auprès de lui.

L’enfant a des difficultés à s’endormir lorsque les parents ne sont pas là le soir. L’impossibilité de l’enfant à trouver le sommeil est associée à la volonté de l’enfant de savoir ses parents à la maison. L’intranquillité apparaît par ce constat d’« angoisse » de l’enfant. Il est ici question de l’angoisse perçue par le père et non de l’attestation d’angoisse faite par une personne extérieure, tel qu’aurait pu le faire un professionnel de la santé. Le constat est d’abord porté sur un trait de l’enfant : « assez angoissé ». C’est ce trait que le père évoque et qui l’agite intimement.

L’homme s’interroge autour de la question. « Qu’est-ce qui induit l’angoisse de mon fils ? ». Et, c’est possiblement un effet de culpabilité qui l’amène à interroger son positionnement paternel :

« c’était le premier, et… je pense qu’on l’a un peu couvé… On a du mal aussi peut-être nous à se séparer de lui… ».

Une difficulté de séparation évoquée pour l’enfant amène le père à situer la difficulté aussi de son côté à lui. Monsieur M. avance alors que lui aussi a du mal à se séparer de son fils. La mère est incluse par l’emploi du « on », sans que cela n’amène de spécificité.

L’angoisse constatée, telle qu’elle est nommée par le père, introduit une mise en branle de la construction psychique du positionnement paternel structuré jusqu’alors. L’homme, possiblement animé d’un sentiment de culpabilité, se demande si la séparation fut suffisante entre lui et cet enfant ainé. Cette question se présente sans solution. C’est-à-dire que ce constat devrait inviter le père à considérer un changement dans son positionnement, or il n’en dit rien. Comme si, au regard de ce constat, l’homme ne parvient pas à se saisir d’une solution, d’une réponse lui permettant de répondre aux difficultés observées.

Monsieur M. interrogera aussi son positionnement pour sa fille, la cadette de la fratrie. Ce questionnement se présente aussi sous couvert d’intranquillité.

2.2.2. Aimer avec limites

À propos de son deuxième enfant, Monsieur M. relève une autre dimension qui concerne à nouveau sa place de père vis-à-vis de sa fille. Ce qui amène une telle réflexion, c’est le constat d’une difficulté que présente l’enfant :

« on essaye de poser un petit peu des limites, parce qu’elle a… en plus, elle a de l’eczéma… beaucoup d’eczéma, qui la gêne quand même énormément dans la journée, et pendant la nuit surtout. Donc, elle se gratte beaucoup, et… et je pense que c’est dû aussi au fait qu’il faut qu’on lui pose plus de limites ».

Sur la même forme que précédemment pour le fils aîné, c’est d’abord le constat du père d’un problème que l’enfant donne à voir qui l’amène à une réinterrogation de son rôle dans la problématique de l’enfant. L’intranquillité apparaît par le problème de l’enfant qui bouscule le père dans le schéma paternel au sein duquel il s’inscrit.

L’hypothèse évoquée par le père ne s’inscrit pas dans une démarche de mise en place d’une solution qui viendrait régler le problème. Or, au regard de ces constats, le père pourrait tenter d’inventer de nouveaux ajustements permettant de mettre à l’épreuve ses impressions et interprétations. Tout se présente comme si le père, ne parvenait pas à proposer de réponse à ces difficultés qu’il repère. Son hypothèse est un aveu qui dévoile, avec lui l’existence potentielle d’une culpabilité paternelle. Le père, dans sa fonction de poser des limites, se juge défaillant.

Il est saisissant de relever que dans les deux situations précédentes, les signes d’intranquillité se présentent chez ce même père par des auto-reproches qui ne sont pas étayés solidement pour justifier les hypothèses amenées.

La culpabilité de n’avoir pas était un père séparateur, ni un père qui met des limites, semble alimenter ces auto-reproches, et avec elles l’intranquillité.

Par ailleurs, Monsieur M. n’a pas parlé à ses enfants de son parcours de transition de genre, ni de leur naissance par don de gamètes. La question reste ouverte de savoir le rôle que peut jouer ce non-dit, dans ce sentiment de culpabilité.

De façon différente du premier ensemble de signes d’intranquillité, le père est touché narcissiquement. Il s’interroge : aurait-il pu agir différemment ? Le père critique la place qu’il

tient avec ses enfants, et se juge défaillant pour être un bon père séparateur et un bon père qui pose des limites.

L’homme emploiera souvent le « on » dans son élaboration, mais sans discriminer pour autant la position de la mère d’avec la sienne. Il ne se juge pas comme le seul responsable, mais il critique uniquement son propre positionnement.

Ces deux premiers signes d’intranquillité, au sein de ce second ensemble, nous invitent au constat de la mise en branle de la construction de l’homme dans son rôle paternel autour des fonctions qu’il s’autodétermine, ou pour lesquelles il considère devoir en être le garant. La question se pose de savoir s’il existe un effet sur l’assurance narcissique du père de n’avoir pas informé ses enfants sur leur mode de conception.

2.2.3. Une place au sein de la dyade mère-enfant

Ce troisième signe d’intranquillité fut rencontré auprès de Monsieur C. à propos de son fils. Monsieur C. a deux enfants jumeaux : un garçon et une fille, qui ont 3 ans.

« Moi, la seule chose […] c’est que… ouais, comme je disais, il est… il est angoissé… et quand il fait des crises, il est difficile à calmer… euh… Il est en… comment dire ?… il est en fusion… comment je pourrais dire ?… il est en fusion avec sa mère… quand sa mère est angoissée, il est angoissé. »

À nouveau, c’est un constat d’angoisse chez l’enfant qui amène le père à un point d’intranquillité. Le père repère une dimension fusionnelle qui lie son fils à sa mère. Lors de l’entretien, le père a d’abord relevé la qualité de sa relation avec l’enfant. Ce qu’il précise c’est que son fils n’est pas très proche de lui.

L’intranquillité signe la mise en branle de l’ajustement du père dans sa relation avec l’enfant. Nous ne repérons pas de dimension de culpabilité chez le père. Une association causale cependant est posée autour de ce lien entre la mère et l’enfant.

Parmi les fonctions paternelles, Golse a relevé la possibilité pour le père d’assurer une contenance pour l’enfant et pour la mère durant la période périnatale (Golse, 2006). Cette fonction porte sur la possibilité du tiers, d’accompagner et de transformer les liens au sein de la dyade mère-bébé. L’intranquillité repérée ici semble résulter de la mise à mal de cette fonction paternelle. L’interprétation du père de reconnaitre ce lien comme fusionnel indique sa difficulté à accompagner la relation mère-fils. Le père ne manifeste toutefois pas une défaillance de son rôle, et ne s’attribue pas un rôle impératif de séparateur. Son propos est celui d’un constat, face auquel il n’a pas de solution et qui l’inscrit dans une tension constante.

La non-tranquillité autour de cette question est repérée lors de l’entretien à l’appui du caractère persistant de ce constat paternel. L’angoisse de l’enfant est évoquée à plusieurs reprises de l’entretien et manifeste un degré d’impuissance du père de plus en plus manifeste.

De façon analogue aux signes d’intranquilité précédemment relevé, le père ne précise pas de piste d’ajustement qui lui serait possible d’articuler. Il semble rendre compte de l’actualité de sa difficulté qu’il ne sait pas résoudre. Psychiquement, ce constat sans solution laisse des traces d’agitations subtiles qui l’inquiète intimement dans les possibilités d’apaiser, chez son fils l’angoisse.