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2. Devenir père avec la médecine

2.1. Création de l’Aide médicale à la procréation par le don

2.1.2. La pratique clinique au sein des Cecos

Sur le versant analytique, Patrick Cauvin considère la pratique des Cecos comme étant : un don d’homme à homme (Cauvin, 2007). La situation de l’homme infertile l’amène à une quête de la figure de son père de sa mythologie œdipienne. Par crainte de décevoir son propre père, et de ne pas pouvoir rivaliser avec le père de la future mère, il recherchera le soutien de sa compagne. La femme sera convoquée non dans sa fonction maternelle, mais comme l’incarnation du père œdipien, celle-ci recevant les spermatozoïdes d’un inconnu. Cauvin met un point d’orgue à la distinction entre les spermatozoïdes et le sperme. Le sperme est ce qui est recueilli dans un éjaculat. Cette confusion sémantique participe à la mise en fantasme d’un adultère, parfois exprimé par les couples (Cauvin, 2007).

La question du secret du don est toujours présente lors des consultations psychologiques proposées au sein des Cecos. Il en résulte différents enjeux pour le couple-futur parent. Un apaisement apparait lorsque le couple parvient à parler de ses difficultés au sein de sa famille et à ses proches. Puisqu’apparait en creux, dans les discours, la représentation fantasmatique de l’exclusion de l’homme en place de père, par la rupture du lien biologique (Cauvin, 2007).

126 La situation d’Arthur K. fut relayé par de nombreux médias tel que : « Don de sperme : Le jour où Arthur

Kermalvezen a retrouvé son géniteur », Libération, le 15 janvier 2018. Consulté à l’adresse URL : http://www.liberation.fr/france/2018/01/15/don-de-sperme-le-jour-ou-arthur-kermalvezen-a-retrouve-son- geniteur_1622583

Cauvin propose une mise en histoire de la démarche du couple. Cette histoire, Cauvin la narre depuis la place de l’enfant :

toutes ces choses médicales, c’est bien compliqué ! Moi, je vais vous dire ce qui s’est réellement passé ! Il y a des papas avec petites graines et des papas sans petite graines. Vous Monsieur vous êtes un papa sans petite graine. Vous madame vous écoutez, mais c’est une histoire entre homme ! Papa est allé dans la forêt des donneurs où des papas d’autres enfants veulent bien donner des petites graines qui en ont en trop, à des papas qui en manquent. Ce n’est pas facile. Puis papa est revenu avec les graines et m’a fabriqué avec maman. (Cauvin, 2007, p.150).

Ce petit récit reprend sous forme de conte l’histoire de l’enfant à venir. Il existe des livrets des Cecos127 qui tentent d’expliquer de façon médicale les étapes de la démarche des parents. Là, il est question de rendre compte d’une réalité fantasmatique possible pour l’enfant, et pour les parents. Dans ma pratique clinique au Cecos, la question de la mise en mots possible ou non du parcours d’AMP à l’enfant à naître est presque toujours posée. L’histoire proposée par Cauvin est une base intéressante de réflexion. Dans l’histoire présentée, le clinicien se met à la place de l’enfant. Durant certaines consultations, il est parfois nécessaire au clinicien de prendre la place du futur parent, aujourd’hui identifié comme stérile. Proposer cette histoire au parent en leur laissant la possibilité de s’y identifier est souvent nécessaire afin de permettre au parent de sortir de ce signifiant stérilité et d’engager un processus de rêverie diurne autour d’une possible parentalité. Le terme « petite graine » est une formulation utile à la représentation et au commerce que représente le don de gamètes. Il permet de sortir du fantasme adultérin. Mais est-ce que le don de spermatozoïdes est une histoire d’homme à homme ? Son organisation dans le système français amène la pratique du don sur le versant du couple, le couple demandeur, le couple désirant.

De façon assez juste, un couple a pu m’interpeller sur le fait que les donneurs soient présentés comme ayant « trop de graines ». En effet, résumer les motivations du donneur à simplement « en avoir trop » est peut-être réducteur. La démarche du clinicien est de proposer des mots, afin d’aider les deux membres du couple à construire des représentations sur le vécu qui les confronte : comment penser la stérilité ? Comment penser le fait d’être un père stérile ?

Comme mobiliser ces paradoxes ? Faire le deuil d’une parentalité biologique, et qu’est-ce que cela signifie ? Les réponses des sujets rencontrés sont nombreuses.

Parvenir à mettre en mots, une première fois au Cecos permet d’initier l’élaboration psychique pour un travail qui sera parfois poursuivi ailleurs. L’histoire proposée autour de la conception est un exercice tout à fait délicat. Un couple traditionnel128 ne propose pas à ses enfants une histoire autour de la scène primitive. Il n’est pas non plus question que les parents imposent à l’enfant son roman familial.

En 1909, Freud écrit Le roman familial des névrosés, où il rend compte de la nécessité pour l’enfant de se construire son roman familial. Cette étape participe du travail de séparation de l’enfant d’avec ses parents. Les premiers scénarios fantasmatiques s’amorcent précisément lorsque l’enfant perçoit les premiers mouvements parentaux lui indiquant les signes d’une séparation parents-enfants. La constitution du roman familial se présente sous forme de rêverie diurne où l’enfant se rêve issus d’autres parents. Ces rêveries pourraient être formulées ainsi : « Ah, et si mes parents n’étaient pas mes parents ! ». La fonction que prend ce passage par le roman familial présente selon Freud cet intérêt majeur :

L’effort pour substituer au père réel un père plus distingué ne fait qu’exprimer chez l’enfant la nostalgie du temps heureux et révolu où son père lui est apparu comme l’homme le plus distingué et le plus fort, sa mère comme la femme la plus chère et la plus belle129.

C’est un travail d’intégration, et de réappropriation par l’enfant de ses parents, l’enfant étant soumis à la nostalgie de ce qui a été vécu dans le passé.

Les couples ayant un enfant par don de gamètes ont aussi à se remémorer la nécessité de ce passage, la construction de leur roman familial et la possibilité pour leur enfant d’en passer par des scénarios similaires. Pour l’enfant, il permet de se construire aussi l’histoire du désir de ses parents à propos de sa naissance.