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2. Deux sexes, des genres : un sujet

2.2. La psychanalyse avec le genre

2.2.4. Un maniement analytique du genre

La question que pose dans le cadre d’un travail universitaire88 Vincent Bourseul est de

savoir si la cure analytique ne vise pas précisément la déconstruction des identités renouvelées par les investissements libidinaux.

Dans ses travaux, Bourseul s’intéresse à la question de l’identité. Selon lui l’identité, n’étant pas un concept analytique, inclut toutefois la question des identifications sans la recouvrir totalement. Ainsi, elle laisse un écart possible pour y introduire le genre comme concept qu’il se propose de nous définir de façon nouvelle.

Bourseul interroge le genre comme étant « le sexuel épinglé par le narcissisme »89. Pour ce faire, il interroge la figure de l’homosexualité telle qu’elle a été pensée par Freud notamment. Toutefois, Bourseul nous dit que l’orientation sexuelle n’a en soi pas de sens. Elle est déterminée par la pulsion, mais sans pour autant se déterminer d’un sens particulier. Elle n’a pas de sens, mais elle a bien un objet, qui est déterminé inconsciemment. Avec l’appui de Lacan, Bourseul nous rappelle que cet objet est moins le résultat de la différence des sexes que de l’objet cause du désir, l’objet a qui est trouvé chez l’autre.

En proposant une définition du genre, Bourseul redéfinit également le sexe. S’appuyant sur le trouble que produit le genre sur le sexe, il propose de partir de ce principe : le genre est avant tout un objet imaginaire. S’appuyant également sur le point de butée que représente la différence des sexes, Bourseul fait remarquer la fréquence avec laquelle elle est recouverte de sens et de symbolique. Il interroge ainsi à propos de la différence des sexes :

88 Bourseul, V. (2013). Clinique du genre en psychanalyse (thèse de doctorat inédit). Université Paris Diderot. 89 Bourseul, V. (2016). Le sexe réinventé par le genre. Paris : Seuil, p. 172.

Nous manquons de trop recouvrir le réel avec le symbolique, quand c’est plutôt le réel qui nous force et nous permet de traiter le symbolique90.

La recherche d’un savoir sur la différence des sexes serait la recherche d’un rapport entre les sexes, alors que Lacan affirmait qu’il n’y a pas de rapport sexuel. C’est ainsi cette recherche impossible, cette confrontation au réel que vient recouvrir le genre en tant qu’objet imaginaire. Bourseul nous dit : « Le genre défait le sexe et crée le sexe dans l’entre-deux de son trouble intermittent, à l’instant de stabilité où il s’éprouve. »91. Ce qui intéresse aussi Bourseul est la manière avec laquelle la psychanalyse peut user du genre. Selon lui, la cure peut précisément permettre de réinventer le sexe (pour reprendre son titre), parce que le genre laisse entendre un trouble. Prenant appui sur les concepts de narcissisme et d’identification dans ce que représente le genre, le sexe peut être interrogé par la cure. Cet écart permet alors au sexe défait de réapparaître différemment. Bourseul propose ainsi les repérages suivants : le genre comme objet imaginaire et le sexe comme objet symbolique qui se trouve confronté à un processus impossible.

Tableau 2 : Les registres du genre, du sexe et de la sexuation (Bourseul, 2013)

Imaginaire Symbolique Réel

Genre objet processus Instance impossible

Sexe instance objet Processus impossible

Sexuation processus instance Objet impossible

Ce tableau représente ce qui est permis par la cure lorsque le genre offre la possibilité au sexe de « se frayer un chemin vers la sexuation et ses aménagements » 92.

Reprenant la représentation borroméenne des registres R, S et I, Bourseul propose de situer le genre au lieu de la jouissance phallique et le sexe au côté de la jouissance Autre.

90 Ibid., p. 186. 91 Ibid., p. 193. 92 Ibid., p. 188.

Figure 5 : Nouage borroméen du genre et du sexe (Bourseul, 2016)

Cette présentation permet à Bourseul un maniement du genre dans le cadre de la cure analytique : le genre permet un dire, de par sa valeur imaginaire, il permet de dire quelque chose du sexe. La cure analytique permet au sexe un déplacement de sa situation de jouissance Autre. Le sexe s’étoffe alors de l’imaginaire et devient instance grâce à l’objet genre.

Bourseul propose cette lecture autour de la jouissance, considérant que le sexe tire du côté de la jouissance comme effet du corps imaginaire et pour le genre comme effet du phallus.

Ce repérage avancé, un maniement semble possible pour Bourseul, mais uniquement par la cure analytique, celle qui accepterait de suivre cette boussole. Selon lui, sans la cure, le genre joue les trouble-fêtes sur le sexe. Il revient au sujet de s’acclimater plus ou moins de ces effets de jouissance.

Résumé du chapitre II

Cette deuxième partie présente notre tentative de répondre à la question : L’identité de

genre est-elle une construction ?

Il s’agit alors de définir depuis notre paradigme psychanalytique le terme d’identité. De quelle façon est-il possible de comprendre l’identité pour la psychanalyse ? L’identité rend compte des effets des identifications, et du narcissisme. Nous explorons des écrits d’auteurs américains psychanalystes qui ont traité de l’identité pour l’élever au rang de concept psychanalytique. Ce parcours théorique s’inscrit aussi dans une reprise des textes freudiens et de l’élaboration proposée par Lacan autour des concepts de narcissisme et d’identification. L’appréhension de l’identité par la psychanalyse est à manier avec une certaine prudence pour l’articulation théorique. Le genre constitue un axe possible qui est inclus au sein de la notion d’identité. Une revue critique de l’évolution de la pensée autour de l’homosexualité permet d’interroger la réflexion de Freud autour des questions de l’orientation sexuelle longtemps appelée identité sexuelle.

Avec le psychologue et sociologue John Money, le genre est différencié en identité et en rôle, sur la base de ses travaux auprès des enfants intersexes. La psychanalyse sera convoquée pour traiter précisément du versant identitaire du genre. Et c’est Robert Stoller qui s’attelle le premier à cette entreprise. Par l’élaboration du concept de protoféminité, Stoller renverse le présupposé d’une essence masculine pour déterminer l’hypothèse d’une identification d’abord féminine de tout enfant quelque soit son sexe biologique. Malgré les critiques qui peuvent être posées à l’encontre de la théorisation de Stoller, la considération d’une identification d’abord féminine pour l’enfant introduit une nouveauté qui nuance la pensée freudienne d’une libido d’essence d’abord masculine. La psychanalyse ne pourra se saisir du genre qu’en acceptant d’articuler sa réflexion aux productions des études de féministes durant les années 70. En s’appuyant sur les écrits des philosophes français structuralistes, des auteures féministes réinterrogent la psychanalyse en la confrontant à la notion de genre. Gayle Rubin est probablement la première féministe à initier ce tournant, suivie des auteures comme Monique Wittig ou encore Judith Butler. Une logique hétérosexuelle comme postulat normatif initial à toute pensée théorique est dénoncée. Progressivement, l’hypothèse d’une construction de toute pensée théorie est considérée et la notion de performativité de genre avec Butler peut émerger.

Certains auteurs se saisissent de ces renversements de la pensée pour articuler psychanalyse et genre. Jean Laplanche propose d’introduire le genre au sein de sa théorie de la sexualité généralisée et Vincent Bourseul, dans un travail de thèse, introduit une définition psychanalytique du genre utile dans la cure analytique.

Cette seconde partie insiste sur la difficulté de saisir isolément l’identité pour la psychanalyse, en insistant sur l’évolution historique de la notion de genre depuis plusieurs champs d’étude. L’apport des théories du genre ne s’oppose pas à la théorie psychanalytique. La question du dualisme cherchant à différencier l’inné et l’acquis semble difficile, et peut être même obsolète comme trame de réflexion.

CHAPITRE III :

DE NOUVELLES PARENTALITES

Les couples de personnes du même sexe ont pu donner à voir des modalités nouvelles d’accès à la parentalité. La biologie de la reproduction offre certes des techniques bien meilleures, mais les couples de personnes de même sexe n’ont toutefois pas attendu d’être remarqués par la médecine pour accéder à ce qui relève de leur désir d’enfant. Depuis un certain temps les recherches scientifiques, qu’elles soient dans un registre dit empirique ou dans des approches plus psychodynamiques, se sont intéressées aux situations des couples homosexuels. Concernant les études transgenres, force est de constater que nous ne sommes pas encore arrivés à un niveau de connaissances aussi important. Peut-être parce que ce sujet intéresse moins, peut- être aussi car il concerne un nombre de personnes plus restreint. Toujours est-il qu’afin de poursuivre nos avancées autour du sujet qui nous intéresse, il nous semble judicieux de faire état de l’avancement des connaissances à propos de ce qui est aujourd’hui appelé homoparentalité.

Ce que nous présentons ici de l’homoparentalité a fait l’objet d’une communication lors des entretiens de Bichat en 2013 (Mendes et al., 2017). Nous distinguerons la parentalité transgenre homosexuelle de la parentalité transgenre hétérosexuelle. Le second temps de cette partie porte sur la parentalité transgenre et nous verrons qu’aujourd’hui en France une seule configuration est possible par l’Aide médicale à la procréation (AMP).