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2. Des signes d’intranquillité

2.3. Accompagner l’avenir

2.3.2. Le risque de la séparation

Le deuxième signe de cet ensemble d’intranquillité fut rencontré avec Monsieur P. autour de ce qui fut le risque de la séparation. La différence avec le point précédent est qu’ici le risque n’est pas la mort de l’enfant. Mais la possibilité d’une séparation durable entre père et fils, cette possibilité fut vécue par le père.

Monsieur P. est séparé de la mère de son fils unique. La séparation fut brutale, et très difficile. La mère de l’enfant aurait engagé des procédures afin de déchoir l’homme de son statut légal et juridique de père pour l’enfant. Le père a donc rencontré la possibilité d’être séparé de son fils, et de se voir annihiler la reconnaissance de sa paternité.

Nous relevons le point d’intranquillité de cet homme lors de la formulation suivante : « C’est une partie de moi… c’est un enfant que je voudrais voir grandir tous les jours, que je voudrais protéger, que je voudrais accompagner tout au long de sa vie… ».

Le père manifeste dans son discours la perspective du risque réel de se trouver séparer de l’enfant, et alors de ne pas pouvoir le voir grandir, le protéger, et l’accompagner. Par ailleurs,

le père, par ces mots, affirme ses compétences de protection pour son fils, et d’accompagnement. Cet homme a probablement eu à se défendre concernant la qualité de ses compétences de père. Cependant, seule cette citation ne suffit pas à notre repérage de tension psychique. Associé à elle, c’est la dimension idéalisée lors de la description du père, à la fois de l’enfant, mais également de leur relation, qui invite à relever la présence de ce signe d’intranquillité. Nous avons déjà évoqué lors de notre analyse de l’entretien de Monsieur P. la tonalité d’idéalisation de la description de l’enfant. Outre le possible biais induit par notre recherche (une volonté manifeste du parent de montrer l’enfant comme se développant très bien), il est nécessaire de s’interroger quant aux possibles effets de la mise en difficulté de la relation père-fils par la situation du couple parentale.

« même si c’est le plus merveilleux du monde, il faut quand même être réaliste sur le fait qu’il peut pas avoir que des qualités… mais même ses défauts me vont… ».

Le père à la fois reconnaît en partie sa dynamique d’idéalisation de son fils, mais ne parvient cependant pas à s’en décaler. Ce mouvement nous invite à considérer qu’il a ici une dynamique inconsciente à l’œuvre chez le père. L’idéalisation peut apparaître comme le stigmate du risque de déchirure de la relation père-fils.

La manifestation d’un point de tension est notable par les mots de l’homme qui interrogent sa peur de ne pas pouvoir être toujours présent pour l’enfant. Le sentiment qui émerge est diffus, au regard de l’idéalisation constante qui masque l’inquiétude sous-jacente.

Lors de notre rencontre, en dehors de l’entretien enregistré, Monsieur P. fait part d’un discours un peu différent. Le père rapporte la difficile situation vécue lors de la séparation, ainsi que les possibles effets de ce passé douloureux sur l’enfant. Le père n’a plus de contact avec la mère, les échanges sont réduits au strict minimum. Le père est avec une nouvelle compagne, et la mère de l’enfant est aussi avec un autre homme. Monsieur P. nous interrogera sur la bonne façon de procéder dans cette situation. Il sera en demande de conseil et aussi en attente des résultats de notre étude afin de savoir si son fils n’a pas de difficulté sur le plan de son développement. La manifestation de ces inquiétudes contraste avec la dimension idéale de l’enregistrement. L’idéalisation de la relation père-fils apparaitrait comme un retournement en un sens contraire qu’est le risque de séparation du père avec l’enfant. Aussi, ce risque qui s’est déjà présenté comme réel lors de la séparation du couple, et le risque de déchéance de paternité,

semblent être à l’origine de l’agitation psychique du père lorsqu’il se tourne vers l’avenir de son fils.

La remise en cause du statut de père au plan juridique se répercute sur la construction symbolique de la filiation établit jusqu’alors. L’attaque de ce statut juridique met à mal la reconnaissance sociale de la filiation. Et pour le dire avec Houzel (1999), la mise en danger de l’exercice de parentalité qui se répercute pour le père sur l’expérience de sa paternité. Une telle insécurité engendre une tension psychique perturbant l’assurance nécessaire à l’institution sécure des liens de filiation. La perspective d’une construction tranquille de paternité est agitée par cette remise en cause des liens. Une telle accusation amène le père à défendre sa place et à manifester son statut symbolique au-delà de sa reconnaissance juridique. Et, même à distance de l’évènement, l’intranquillité persiste, le père manifeste une inquiétude profonde des possibilités de risque futur d’être à nouveau confronté à une séparation d’avec l’enfant.

Il nous faut poser la question de la non-filiation biologique dans la situation de Monsieur P. Dans un tel contexte de séparation, la présence d’une telle tension psychique aurait-elle persisté, si le père avait un lien biologique avec l’enfant ? En ce sens, la remise en cause de la filiation aurait, sur le plan social, bénéficié d’un soutien à la valeur accordée au lien biologique. La tension psychique n’aurait possiblement pas présenté une si grande agitation. Une telle hypothèse amène à considérer la confrontation du père à la question du biologique comme cause du maintien dans le temps de cette tension au niveau psychique.