• Aucun résultat trouvé

2. Deux sexes, des genres : un sujet

2.1. Le sexe rencontre le genre

2.1.4. Money : Entre rôle et identité

Dans une certaine mesure, Money est sans doute le premier théoricien du genre. Cela au sens où il est le premier à utiliser le terme de genre en dehors de son acception grammaticale, comme il le fait remarquer lui-même (Money, 1985). Ce concept lui permet de distinguer l’aspect biologique du sexe, de ses représentants psychologiques, et sociaux qu’il appelle alors genre.

John Money est psychologue et sexologue. Il a travaillé pendant longtemps au Johns Hopkins Hospital. C’est au sein de son activité clinique qu’il est amené à rencontrer un grand nombre de cas de patients intersexes.

Les cas d’intersexués sont ce que nous avons pendant longtemps appelé les hermaphrodites. Cette appellation provient du mythe des métamorphoses d’Ovide. Le mythe raconte comment deux corps de sexe différents finissent par s’unir pour n’en former qu’un, qui possède alors les deux sexes. Le terme d’hermaphrodite a longtemps été employé, jusqu’à l’emploi, plus récent d’intersexué. L’hermaphrodite laisse entendre ce qui relève plutôt d’un fantasme de pouvoir posséder les deux sexes en même temps. Là où le terme d’intersexe, rend compte d’une différenciation sexuée difficile à trancher d’un côté ou d’un autre sans pour autant rendre possible la coexistence des deux sexes à la fois. Intersexe tend lui aussi à être remplacé par les nouvelles classifications américaines. Aujourd’hui il est question de Disorder of sex

development, traduit en français par trouble du développement sexuel.

J. Money, dans ses travaux, définit le genre en termes de rôle et d’identité. Le rôle de genre concerne l’aspect social, ou ce qui est attendu d’un sujet mâle et d’un sujet femelle. En cela, il emploie les termes de mâle et femelle pour rendre compte du sexe. Et propose les termes de masculin et féminin pour parler des rôles sociaux attendus. Money définit le rôle de genre :

The term gender role is used to signify all those things that a person says or does to disclose himself or herself as having the status boy or man, girl or

woman, respectively. It includes, but is not restricted to, sexuality in the sense of eroticism72. (Money, 1955, p. 254)

Avec cette définition, Money repère bien qu’il s’agit des comportements attendus socialement vis-à-vis d’un sexe, mais également de ce qui peut être dit par l’individu afin de rendre compte de son statut d’homme ou de femme.

En ce qui concerne l’identité, Money nous dit que cela lui a été proposé par Evelyn Hooker. Evelyn Hooker travaille principalement sur la question de l’homosexualité dans les années 50. L’une de ses études participe grandement à modifier la vision des professionnels sur la question homosexuelle. Son étude majeure est de proposer à trois juges experts de classer les protocoles de tests projectifs (notamment Rorcharch et Thematic Aperception Test) selon l’orientation sexuelle des sujets. Elle interroge deux groupes de 30 sujets, pour le premier groupe des sujets exclusivement homosexuels et pour le second exclusivement hétérosexuels. Les juges ne parvenant pas à classer les protocoles correctement vis-à-vis de l’orientation sexuelle, elle met en avant l’impossibilité de trouver des particularités psychodynamiques sur la seule base de l’orientation sexuelle.

Ainsi, il est intéressant de noter que l’idée du terme d’identité est proposé par une psychologue travaillant sur la question de l’orientation sexuelle, et non sur les questions d’intersexuation ou encore de transsexualisme qui émergent avec les travaux de H. Benjamin à cette période. Ainsi, Money se laisse porter par la proposition de Evelyn Hooker, et propose à côté du rôle de genre, l’identité de genre qui rend compte simplement de l’autodétermination du sujet : « je suis un garçon » ou « je suis une fille ».

Pour rendre compte de son approche concernant le genre, Money nous propose un acronyme : Gender-identity/ Role – G-I/R qu’il définit de la façon suivante :

Gender identity is the private experience of gender role, and gender role is public manifestation of gender identity. Gender identity is the sameness, unity, and persistence of one’s individuality as male, female or ambivalent, in greater or lesser degree, especially as it is experienced in self-awareness and behavior. Gender role is everything that a person says and does to indicate to others or to the self the degree that one is either male or female, or ambivalent. G-I/R

72 « Le terme de rôle de genre est utilisé pour signifier toutes les choses qu’une personne dit ou fait pour se dévoiler

lui-même ou elle-même comme ayant respectivement le statut garçon ou homme, fille ou femme. Cela inclut, sans s’y limiter, la sexualité dans le sens de l’érotique. » (traduit par nous)

includes but is not restricted to sexual arousal and response73. (Money, 1980,

p. 215)

Ainsi, rôle et identité ne sont pas deux aspects clivés du genre, mais bien plutôt deux éléments qui s’auto-influencent. L’identité sur le versant dit privé, et le rôle sur le versant public.

Toutefois, il est important de bien noter que Money rencontre une clinique bien particulière qui est celle des intersexes. Dans ce sens, il s’intéresse au cas de dimorphisme sexuel trouvant sa source du côté biologique. Pour autant, Money propose de prêter une attention sensible à la question de l’autodétermination, mais également de la conviction de l’entourage, et notamment des parents de l’enfant quant au G-I/R. Au regard de sa clinique, il s’aperçoit que dans les cas d’indétermination de sexe, l’enfant accepte dans la plupart des cas le sexe qui lui a été assigné à la naissance. Lors d’une indétermination de sexe décelée rapidement après la naissance, les médecins peuvent alors conseiller aux parents de choisir un sexe pour l’enfant, cela d’après les critères pragmatiques de réussite et de fonctionnalité de l’organe à un âge plus avancé, dans le sens d’avoir un « vrai » sexe, tel que le corps médical peut se le représenter. Cette approche reste majoritaire en France, bien que des débats soient ouverts sur cette question (Medjkane, et al., in 2016).

Un cas, aujourd’hui bien connu de Money est celui de David Reimer. Ce petit garçon a subi une ablation, accidentelle mais importante, de son pénis. Il est amené par ses parents en consultation à J. Money. Money conseille alors aux parents d’élever leur enfant avec la conviction qu’il est une fille. Cependant, alors qu’il est réassigné en fille ; David ne supporte pas cette identité de genre par la suite et après avoir appris ce qui lui est arrivé à l’âge de l’adolescence, il demande à être à nouveau assigné garçon. Pour autant, il ne choisit pas le prénom que ses parents lui avaient donné à sa naissance, à savoir Brandon, mais un autre : David.

Ce cas est assez emblématique d’un grand débat sur la question du tout biologique ou du tout environnemental : nature/nurture74. De plus, il est l’occasion pour Milton Diamond de

73 « L’identité de genre est l’expérience intime du rôle de genre, et le rôle de genre est la manifestation de l’identité

de genre. L’identité de genre est la similarité, l’unité et la persistance d’une individualité mâle, femelle ou ambivalente, dans un degré accru ou moindre, en particulier pour le vécu de sa propre conscience et son comportement. Le rôle de genre est tout ce qu’une personne dit ou fait qui indique aux autres ou à soi le degré d’être homme ou femme ou ambivalent. G-I/R inclut, mais sans s’y restreindre l’excitation sexuelle et sa réponse » (traduit par nous).

s’opposer aux considérations de John Money (Diamond, Sigmundson, 1997). Money représente par son approche l’idée que tout est fonction de l’environnement (nurture). Alors que Milton Diamond s’inscrit plutôt dans une approche naturaliste, face à laquelle l’environnement aurait un rôle négligeable à jouer.

Lorsque Money reprend en 1985 le développement de son concept de genre, il laisse le soin à Robert Stoller d’explorer l’aspect identitaire du genre. Ainsi, nous faut-il reprendre les travaux fondamentaux de Robert Stoller sur l’identité de genre.