• Aucun résultat trouvé

2. Les parentalités transgenres

2.3. Étude des parentalités trans après transition

Cette étude est celle du Pr Colette Chiland et de son équipe. Elle fait suite à l’ouverture des demandes d’accès à l’insémination artificielle avec tiers donneur (IAD) anonyme de spermatozoïdes. L’acceptation de l’ouverture de cette technique n’a semble-t-il pas été simple. Le Pr Chiland et son équipe sont allés défendre ce projet lors de réunions d’éthiques du groupe Miramion de l’espace éthique en 1998-1999 (Chiland et al., 2013). Il semble que deux réserves y sont évoquées. La première est que le transsexualisme est alors assimilé à la psychose. La seconde concerne la capacité de ces hommes transgenres à pouvoir être des pères, sous-entendu des « vrais pères » tels qu’il peut être attendu dans uneorganisation hétérosexuelle d’un couple parental. Sur ces deux points, l’argument provient de l’expérience des équipes prenant en charge ces personnes et s’appuie sur des études autour de ces questions. Deux arguments sont avancés : les personnes transsexuelles ne sont pas plus schizophrènes et les hommes transsexuels, notamment ceux pris en charge en France par les équipes du service public, répondent pour la plupart aux stéréotypes de genre.

Ainsi, suivant le cadre législatif en vigueur, il est accordé qu’un homme transgenre ayant obtenu son changement d’état civil puisse bénéficier d’un don de spermatozoïdes, s’il est en couple avec une femme, dans la mesure où ce couple constitue un couple hétérosexuel. L’un des membres, en l’occurrence ici l’homme, est stérile pour des raisons somatiques. Alors ils peuvent faire appel à l’Aide médicale à la procréation (AMP).

Toutefois, la prise en charge de ces demandes implique un parcours un peu différent de celui habituellement proposé pour les autres couples. Habituellement, les couples rencontrent un psychologue ou un psychiatre pour un entretien d’évaluation, d’information et d’accompagnement96 . Pour répondre à la demande des couples trans, le Cecos demande deux entretiens psychologiques. Le second entretien est fait avec un psychiatre « ayant l’expérience

du transsexualisme » (Chiland, 2013, p. 102). Le second point qui diffère avec les autres

demandes est l’attention concernant l’information qui sera faite à l’enfant de son mode de conception, mais également de la transition du père. L’équipe ayant estimé que :

Les couples dont l’homme est stérile peuvent ne pas informer l’enfant, l’entourage peut ignorer l’infertilité si le couple n’en parle pas. La situation

96 11 septembre 2010, Journal officiel de la République française, texte 24 sur 141, arrêté du 3 août 2010 modifiant

l’arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’Assistance médicale à la procréation.

d’un père d’origine transsexuelle n’est pas comparable ; sa famille, son milieu amical, tout l’entourage qui l’ont connu fille dans son enfance savent que l’enfant attendu puis mis au monde par sa compagne, ne peut pas être le fruit de ses œuvres ; l’enfant apprendra tôt ou tard ce qu’il en est de l’histoire de son père et ce sera traumatisant pour lui de l’apprendre de la bouche d’un autre que de son père. (Chiland, 2013, p. 102)

Ainsi, les professionnels encouragent, dans le cadre de cet accompagnement à parler à l’enfant de ces différents éléments. Enfin, le troisième point de différence est la demande de suivi des enfants qui naîtront. La prise en charge des couples stériles traditionnels n’implique pas - et n’a jamais impliqué - un suivi. Toutefois, il apparaît qu’ici pources hommes trans, la mise en place d’un tel suivi présente l’intérêt principal de faire un retour aux équipes des Cecos afin de savoir ce qu’il en du bien-être des enfants à naître de cette pratique.

Cette étude est menée avec comme méthodologie principale : un entretien clinique avec les parents ; et à l’enfant est proposé une échelle d’évaluation du développement psychomoteur (Brunet-Lezine), un dessin du bonhomme et un dessin de la famille. Les résultats de cette étude s’étendent de 1999 à 2010 auprès de 68 couples. En 2010, 29 couples ont pu être revus par l’équipe dont 42 enfants nés de ces couples grâce à l’IAD, avec une prévalence de garçons que de filles parmi ces naissances (14 filles et 28 garçons).

Les résultats de cette étude sont présentés de la façon suivante :

• le couple parental n’est pas un couple homosexuel

Ce point se porte aussi en réponse à toute une culture psychiatrique qui, par rigueur du vocabulaire médical au plus près de la biologie, parle de femme trans lorsque la personne est née femme, mais souhaite être considérée comme un homme, et de femme homosexuelle pour qualifier l’orientation sexuelle qui serait vers les femmes. Ici, ce qu’avance Chiland est l’idée que l’homme trans a du désir pour une femme, se considérant comme homme, il désire sa femme depuis sa position masculine et non féminine. C’est l’occasion ainsi de préciser que dans le cadre des rapports sexuels rapportés par le couple en consultation, les seins et le clitoris ne sont pas utilisés lors des rapports sexuels. Par ailleurs, selon le constat des couples, les rapports sexuels sont satisfaisants pour les deux membres du couple. Il semble toutefois difficile de relever ces propos comme une donnée claire. La satisfaction des rapports sexuels au sein d’un couple peut être très variable, et dans ce sens, la résumer comme satisfaisante manque de précision. Toutefois, cette difficulté peut être rencontrée également pour les couples non trans.

• Les couples sont stables

Cela s’appuie sur le constat qu’au sein de cette cohorte de 68 couples, seulement 6 couples se sont séparés ou ont divorcé. Cela peut sembler bien inférieur que dans la population générale, toutefois nous n’avons pas de donnée concernant la stabilité des couples lors d’un parcours d’AMP via le don de gamètes.

• Les pères se conduisent en père, et en père compétent

Par-là, l’équipe considère ces pères trans comme des pères répondant à la fois à la norme culturelle de l’autorité, mais également par ce qu’ils décrivent comme des « nouveaux pères » (Chiland, 2013, p. 109), c’est-à-dire, selon leur présentation, que ces hommes trans partagent de façon plus équitable les tâches à la maison, mais également ces hommes peuvent beaucoup s’occuper de leurs enfants. Il semble que ces nouveaux pères qui sont présentés ici pour évoquer la paternité des hommes trans s’apparentent à la révolution masculine évoquée par Elisabeth Badinter dans son ouvrage XY de l’identité masculine (1992). À l’appui de données démographiques, Badinter met en avant une tendance « vers un rapport du couple plus démocratique » (Badinter, 1992, p. 265). Elle s’appuie notamment sur l’observation faite par Diane Ehrensaft auprès de 40 couples ayant décidé de se répartir les tâches de façon totalement équitable. Ainsi, il est observé que les enfants peuvent utiliser les mots « papa » ou « maman » de façon indifférenciée. Ce qui est constaté c’est que le terme de « maman » est répondu par la personne souvent la plus proche de l’enfant (même s’il s’agit du père. Si l’enfant appelle, il répond). Cela n’amène pas les enfants à présenter des confusions dans leur identité de genre. Les enfants cependant parviennent à distinguer les rôles distincts de genre plus tardivement, soit à l’âge où ils rencontrent le monde extérieur. L’observation de ces situations s’étant poursuivie jusqu’à l’adolescence, Ehrensaft (1987) évoque un rapport à la masculinité pour les hommes moins marqué que pour la féminité pour les femmes, sans mépris, ni pour un genre, ni pour l’autre.

L’équipe de Colette Chilanddécrit ces pères supposés sans pénis97 comme s’identifiant toutefois aux valeurs masculines de leur culture. Nous sommes donc loin d’un réaménagement des standards normés du genre, d’une part ils sont maintenus, mais de l’autre ils diffèrent. Il faut relever qu’il s’agit là aussi dans ces résultats de répondre aux arguments du comité

Miramion qui ont pu être avancés pour refuser la demande de ces couples lors de la fin des années 90.

• Les enfants présentent un bon développement psychomoteur et cognitif

Les enfants semblent avoir une bonne représentation du schéma corporel et une bonne perception de la différence des sexes et des générations. Là encore, nous retrouvons précisément la réponse à ce qui était argumenté comme une crainte concernant la demande de ces couples. Il paraît important de préciser que ces résultats doivent être mis en relief avec le contexte dans lequel cette étude a été menée. Il s’agit de venir rendre compte d’une décision qui a dû être défendue devant un comité d’éthique à une époque où ces questions étaient encore peu connues. Par ailleurs, il s’agit de la première et la seule étude à ce jour, qui s’intéresse à la question des enfants nés par IAD d’un couple dont l’un des parents est transgenre. Il ne doit pas être négligé la portée politique que présente une telle étude. Pour autant, celle-ci ne réduit pas sa portée scientifique. Elle s’inscrit dans une démarche de réponses aux questions d’ordre éthique (peut-être même moral) des professionnels quant à l’accompagnement de ces demandes par l’Aide médicale à la procréation.

Il est possible de penser que cette étude s’est concentrée autour des questions auxquelles elle cherchait à répondre et moins à la possibilité de laisser émerger d’autres champs de réflexions. Par exemple, la construction pour ces hommes de cette identité paternelle n’est jamais interrogée ; ou encore les liens qui peuvent être établis entre genre et parentalité ne sont pas évoqués. C’est ainsi autour de ces questions que nous proposons de venir nous pencher. Avant de présenter le cadre de nos rencontres de recherche clinique, il nous faut encore faire un chemin théorique autour de la question de la paternité, de ce que signifie être père et des questions soulevées par l’accès à la parentalité sans lien génétique avec l’enfant, comme le permettent certaines techniques d’aide médicale.

Résumé du chapitre III

Ce troisième chapitre porte sur les nouvelles parentalités. Parmi elles, nous centrons notre questionnement sur deux configurations à savoir :

- celle portant sur l’orientation sexuelle différente d’une orientation hétérosexuelle ; - et celle portant sur l’identité de genre ayant induit le passage par un parcours de transition de genre.

Il s’agit ici d’un travail de revue de la littérature existante sur l’homoparentalité et sur les parentalités transgenres. L’homoparentalité est interrogée dans ces spécificités selon le type d’accès à la parentalité. C’est précisément l’adoption, le co-parentage, le recours à un don de spermatozoïdes et le recours à une gestation pour ou par autrui comme mode d’accès possible à la parentalité qui fait l’objet d’un état des lieux des connaissances scientifiques. Il semble que c’est principalement la différence entre le mode d’accès à la parentalité plus que la configuration du couple parental qui présente une spécificité pour l’enfant.

Concernant la parentalité transgenre, il s’agit de relever les rares travaux impliquant la situation d’enfants nés avant la transition de l’un des parents, et les cas où l’enfant est né après la transition. Dans cette dernière configuration, seule une étude à ce jour aborde ce cas, et concerne les hommes transgenres hétérosexuels en couple ayant recours à un don anonyme de spermatozoïdes en France. La plupart des travaux à l’international interrogent le développement des enfants. Cet intérêt majoritaire est compréhensible lorsque l’on sait que le curseur éthique des débats bioéthiques dans l’aide médicale à la procréation est centré a priori autour de l’évaluation des risques pour l’enfant à naître.

CHAPITRE IV :

AMP :AIDE MEDICALE A LA PATERNITE

Notre cheminement théorique nous conduit maintenant à appréhender les questions relatives à la paternité et cela notamment lors de l’apparition de l’Aide médicale à la procréation (AMP). Si nous avons fait le choix de nommer cette partie Aide Médicale à la Paternité, c’est en référence à l’histoire des Centres de conservation des œufs et du sperme (Cecos) qui ne concernaient initialement que le don de spermatozoïdes. L’évolution des techniques d’AMP permit seulement par la suite d’élargir les possibilités de l’aide médicale et de ne plus concerner uniquement les hommes.

Dans cette partie, nous commencerons par interroger la paternité, dans son évolution historique et les considérations théoriques qui y sont rattachées. Puis nous procéderons à une revue de la question de l’AMP dans le cas de la pratique du don de gamètes. Nous terminerons enfin par la présentation de deux vignettes cliniques utiles pour illustrer les possibilités de penser la transmission psychique pour des hommes ayants recours au don de spermatozoïdes.