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Notre parcours historique du point de vue théorique et des prises en charge cliniques nous amène à la nécessité de faire un choix de l’emploi du terme que nous souhaitons utiliser pour évoquer la clinique qui a été rencontrée.

Ce parcours historico-théorique nous permet de prendre la mesure de l’importance des modifications de vocabulaire qui se sont opérées autour de la question trans. Ce constat nous oblige à un choix de vocable, qui déterminera également notre positionnement épistémologique autour de cette question.

Sur le plan des publications internationales, le terme de transsexuel n’existe plus. Le terme plus récent de dysphorie de genre semble être également obsolète. Il est possible que la dernière révision du manuel de la CIM, situe la question trans ailleurs que dans le chapitre 7, c’est-à- dire dans un autre chapitre que les maladies mentales.

24 Ablation des seins.

25 Le suffixe -plastie signifie réparation, alors que le suffixe -poïèse précise l’acte de création.

26 Création d’un pénis à partie d’un lambeau de peau de l’avant-bras, de la cuisse ou du bas du ventre, selon la

technique la mieux adaptées à la morphologie de la personne.

En dehors de l’ensemble des dénominations faisant référence au genre non-binaire, le terme aujourd’hui admis par une majorité de la communauté scientifique, ainsi que la plupart des associations, est le terme transgenre. Cependant, ce terme doit se distinguer un peu de la définition que le DSM-5 en donne. Le DSM-5 définit le terme de transgenre comme faisant référence aux personnes souhaitant s’engager dans un parcours de transition, mais sans que la transition ne soit le passage complet d’un sexe à un autre. L’idée d’un passage complet renvoie à la définition du terme transsexuel, notamment comme le définit Jean-Baptiste Marchand (Marchand, 2015). Si l’on s’en tient strictement au DSM-5, les personnes transgenres engloberaient un ensemble non homogène de demandes de transitions hormonales et/ou chirurgicales. La distinction est bien maintenue avec le terme de transsexuel. Et le terme de dysphorie de genre présente l’utilité du diagnostic pour rendre compte de la présence d’un vécu douloureux à l’endroit du genre assigné à la naissance pour le sujet.

Le problème que présente une telle définition de transgenre est d’être trop réductrice. Par ailleurs, elle préserve le terme de transsexuel qui est très controversé. Le lien étroit que possède le terme transsexuel avec le discours médical, mais surtout psychiatrique apparaît comme les stigmates de la discrimination vécus par les personnes trans. Marchand met en garde contre le glissement conceptuel entre le transsexualisme et la dysphorie de genre (Marchand, 2015). Cette inquiétude est motivée par le problème imposé des classifications qui se veulent a- théoriques, telles que le DSM. Toutefois, il est nécessaire d’appréhender les motivations d’un tel glissement. Marchand entrevoit la possibilité d’une disparition du transsexualisme, et avec lui l’annihilation d’un cheminement autant historique que théorique. Toutefois, n’est-ce pas une nécessité actuelle de parvenir à considérer, et à appréhender cette clinique par un abord toujours singulier.

À New York, Adrienne Harris, docteur en psychologie et psychanalyste, propose de repenser la boussole de l’approche psychanalytique pour se décaler de l’étiologie, au profit de la téléologie :

The terme « etiology » locates us in causation, diagnosis and the sites of pathology, and I think we should continue to be wary of the intrusion of these socially driven biases and ideas into reflexions about sexuality and gender in development. […] The necessity of disrupting the pathologizing tendencies in psychoanalysis and social or psychological theory was acute and we bar the

question ‘why’ or ‘how’ and attend to the question « what »28 (Harris, 2016, p.

363)

La téléologie est l’étude de la finalité. Proposer de s’intéresser à la finalité et d’en décrire les enjeux permet de s’affranchir de la nécessité d’une compréhension étiologique. Les questions à propos de l’étiologie peuvent toutefois apparaître, notamment dans le cadre de suivis thérapeutiques dans un cadre analytique, mais ce que nous dit Harris, c’est qu’elles n’ont pas à s’inscrire comme objectif premier.

Le refus de l’emploi du terme transsexuel s’inscrit dans une volonté de rompre avec un des héritages de la psychiatrie. Parmi nos auteurs contemporains français, le Docteur Agnès Condat, pédopsychiatre et psychanalyste travaille auprès d’une population d’enfants et d’adolescents trans (Condat, 2016). En 2017, un article publié dans La revue lacanienne rend compte d’un usage linguistique conceptuel qui vient rompre avec un certain discours psychiatrique. A. Condat parle d’« affirmation transgenre » pour rendre compte de la situation des sujets rencontrés au sein de sa clinique. La définition proposée par l’auteure s’inscrit comme le résultat de l’évolution de la pensée psychanalytique autour des questions trans. Il semble manifeste que la recherche d’une hypothèse étiologique n’est plus au centre du projet de la prise en charge. Étayant l’approche théorique par les rencontres cliniques depuis le registre analytique, A. Condat relève ce qui est en jeu dans la demande des personnes trans :

L’affirmation transgenre y serait une tentative de discours, de renomination, alors que le réel du corps vient faire trou dans l’imaginaire, pour un réaménagement juvénile du nouage entre les dimensions du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique. (Condat, 2017, p. 113)

L’auteure a pu épingler un trait commun aux personnes transgenres. Ce trait est l’expression d’un affect : l’angoisse. Cet affect apparaît lors de l’effraction entre l’éprouvé du corps (le Réel) et l’image du corps qui se sont construits durant l’enfance de façon non synchrone avec le sexe anatomique. L’angoisse est exprimée comme mal-être ou comme relevant de l’insupportable de ce corps.

28 « Le terme “étiologie” nous situe dans la causalité, les diagnostics et sur le terrain de la pathologie, et je pense

que nous devrions continuer à être prudent quant à l’intrusion des biais sociaux véhiculés et des idées au sein des réflexions sur la sexualité et le développement du genre. […] La nécessité d’interrompre la tendance à la pathologisation en psychanalyse et dans le champ social ou dans les théories psychologiques est grave et nous excluons les questions « pourquoi » ou « comment » pour prêter attention à la question “quoi”. » (traduit par nous).

Reprenant le nouage des dimensions Réel, Imaginaire et Symbolique, A. Condat rend compte de la possibilité d’appréhender la question transgenre comme une tentative de nouage de ces dimensions. À l’appui de J.-M. Forget et d’après Lacan, A. Condat rappelle que l’affirmation masculine et féminine relève d’une différence de position quant à la parole. Une proposition de définition est alors proposée :

L’affirmation transgenre, qu’un sujet se nomme « homme », ou « femme », ou bien « transgenre » en contradiction ou du moins en non-congruence avec son anatomie, avec les semblants du genre qu’il a reçus de l’Autre social, voire du désir de l’Autre, ce serait pour lui de vérifier que c’est dans un nouage singulier qu’a pu se constituer son identité en tant qu’être sexué d’être pris dans le langage. (Condat, 2017, p. 114)

A. Condat précise alors que cette demande transgenre se rencontre auprès de sujets se situant sous le signifiant homme ou femme, ou en non-congruence avec l’assignation de naissance. Cette affirmation s’inscrit comme refus d’être soumis au désir de l’Autre ou à l’Autre social. Mais cette affirmation s’inscrit aussi comme la tentative d’un nouage singulier. L’affirmation transgenre est ainsi définie comme un travail de subjectivation.

L’affirmation transgenre peut posséder la valeur de symptôme comme un effet symbolique dans le réel, comme un fantasme qui soutient le sujet. D’autres peuvent s’inscrire dans le registre d’un délire. D’autres encore, ne pouvant trouver d’assurance de leur être dans l’Autre en passent par des opérations réelles, pour inventer une solution singulière. Cette invention permet par ce nouage singulier de faire advenir un sujet sexué (Condat, 2016).

Nous inscrivons notre présent travail dans la poursuite de ces perspectives théoriques. Nous reviendrons sur les approches psychanalytiques dans notre parcours théorique à propos de l’identité de genre et de sa construction au sein de différents paradigmes, à la fois sociologique, psychologique et psychanalytique. Il est maintenant possible de faire état de notre usage du terme « transgenre » dans ce travail. « Transgenre » sera employé afin de rendre compte de l’ensemble des questions relatives à la population trans. Le terme « transsexuel » sera utilisé pour rendre compte des travaux ayant employé ce terme.

Résumé du chapitre I

Ce premier chapitre porte sur la mise en perspective de l’évolution des questions trans. Les théories concernant le transsexualisme sont diverses, et ne font pas toutes consensus. Les approches du transsexualisme sont marquées historiquement du traitement psychiatrique dont les personnes trans ont été objets, et que les associations d’usagers aujourd’hui fustigent.

La première tentative de définition théorique revient à Harry Benjamin en 1953. Benjamin a mis un point d’orgue sur la demande transsexuelle, qui était une demande d’agir sur le corps propre pour en modifier la reconnaissance de son sexe. Benjamin était endocrinologue et non pas médecin de la psyché. Ce socle théorique sera utile à des auteurs pour reprendre la question trans et l’élaborer dans le champs de leurs propres paradigmes théoriques.

Une revue de l’évolution des diagnostics qui encadrent encore aujourd’hui la prise en charge et l’accompagnement des personnes trans présente comment le DSM-5 est aujourd’hui conduit à définir la dysphorie de genre pour ce qui était auparavant le transsexualisme. Nous constatons la sensibilité des auteurs du DSM aux demandes des associations de personnes concernées, qui aujourd’hui abordent la question trans avec ce nouveau code diagnostic. L’accent n’est plus mis sur la revendication de la personne, mais sur la dimension de souffrance clinique vécue par elle.

Une revue autour des études étiologiques d’ordre somatique est menée. Nous relevons l’hypothèse la plus admise actuellement dans le monde scientifique, à savoir celle qui considère un pic hormonal lors de la grossesse à une période où cerveau et organe génital sont dissociés dans ce temps développemental.

Ce premier chapitre est conclu par la seule définition, à notre connaissance, du terme transgenre. Cette signification proposée par Agnès Condat constitue un socle théorique depuis lequel nous nous appuyons. Nous faisons le choix de nommer ce public transgenre, et non pas transsexuel. Le sujet transgenre est alors considéré comme le passage nécessaire pour le sujet de s’assurer d’un nouage singulier entre l’image de son corps, et le langage au sein duquel il est pris comme sujet parlant. Il s’agit donc pour le sujet d’un refus d’être soumis au désir de l’Autre social, au sein d’un travail de subjectivation.

CHAPITRE II :

L’IDENTITE DE GENRE :QUELLE CONSTRUCTION ?

Lorsque l’on s’intéresse à la question de l’identité sexuée, et notamment dans le champ analytique, on se trouve confronté à plusieurs questions. L’une d’elle : qu’est-ce que l’identité ? En effet, ce terme provient du champ de la sociologie. L’identité n’est pas un concept à proprement parler psychanalytique. Pour autant, il est fréquemment rencontré dans la littérature psychanalytique. Il nous semble important pour saisir l’idée de l’identité sexuée de se pencher sur le terme même d’identité tel qu’il peut être entendu en psychanalyse. À la suite de ce premier passage, nous poursuivrons la question du sexué dans le champ analytique. Sexué sera distingué de sexuel et de genre. Nous verrons alors de façon plus globale comment il est possible de comprendre : « l’identité de genre ».