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1. Qu’est-ce qu’être père ?

1.1. L’histoire des pères

1.1.1. L’évolution des pères

Un ouvrage de Luigi Zoja, récemment traduit de l’italien aborde la question de l’évolution du père : Le père, Le geste d’Hector envers son fils : Histoire culturelle et psychologique de la

paternité. Zoja ayant une approche psychanalytique jungienne, il s’intéresse à la possibilité de

saisir une image collective du père. Une image qui serait transmise par l’inconscient et par la société. Le père est considéré par Zoja comme un principe psychique.

Par un retour à l’histoire, Zoja revient à la préhistoire. Cette période inscrit l’homme à la frontière de son état animal. Il avance que, contrairement à la mère, le père pour se reconnaître à cette place nécessite un certain degré de raisonnement. Il situe la sortie de la condition animale pour l’homme lorsque la culture fait émerger le père. Selon lui, c’est avec l’apparition du père que naît la culture (et inversement : la culture est le moment où une place peut être accordée au père ). Une part du père est définie comme artifice. Contrairement à l’illusion que donne à voir notre culture patriarcale, la condition du père est selon lui infiniment plus fragile. Les mammifères mâles n’ont pas eu à être père, à l’exception de l’espèce humaine qui a « fabriqué » le père. Fabrication sans doute en dehors de tout instinct. (Zoja, 2000, p. 23). Si ce n’est pas l’instinct qui fonde le père, alors qu’est-ce qui dans la culture peut faire apparaître cette nécessité ? Il semble que selon le développement de Zoja, le père soit apparu avec l’établissement d’un fonctionnement sociétal et la nécessité d’une certaine stabilité dans les plus petites cellules sociales. Ce que l’on nomme aujourd’hui la famille. Cependant, ce terme « famille » que nous employons aujourd’hui est sans doute trop avancé déjà. Il est plus juste de parler de parenté pour ces premières étapes de l’évolution.

L’une des thèses de l’auteur est que la supériorité du père a été inventée afin de contrebalancer l’incertitude profonde de ce dernier, contrairement à la mère, qui avec la

grossesse et l’accouchement donne à voir son lien, disons de filiation avec l’enfant. Cette incertitude profonde est le propre du père, sentiment inconnu pour la mère.

Le père est soumis à la parole de la mère qui pourra reconnaître ou non un père. C’est ainsi qu’au sein de la Grèce antique, le père est le seul géniteur de l’enfant, la mère n’a alors de considération que comme « nourrice ». (Zoja, 2000, p. 25). Chez les Romains, le père doit rendre compte de sa volonté d’être père par un acte public. Par là, il affirme son intention d’être le père de l’enfant né. Dans ce sens, il y a nécessité que l’homme « adopte » l’enfant, qu’il soit ou non le géniteur biologique.

Nous pouvons relever ici une notion qui regroupe cet aspect de la paternité dans l’antiquité que nous venons de pointer, à savoir le désir. L’acte d’adoption par le père de son enfant ne peut être soutenu que par le désir de cet homme d’être le père de l’enfant. Cette pratique a pour but de différencier les enfants légitimes des enfants illégitimes. Pour autant, selon Zoja, il s’agit ici d’une norme inconsciente de la métaphore de chaque père. Sur le plan historique, c’est en reconnaissant l’enfant que le père prend sa place de père. Cette position a progressivement changé, la décision de la paternité devenant beaucoup plus soumise à la parole de la mère, à sa reconnaissance de l’homme comme père de l’enfant. En cas de doute quant à la paternité, ce qui atteste de la filiation dans l’imaginaire collectif, ce sont les liens du sang.

Si nous revenons en Rome Antique, le père a le pouvoir de vie et de mort sur son enfant. Par la suite, qu’il soit question d’un système politique empirique ou monarchique en ce qui concerne la France, la structure familiale estt un microcosme de l’organisation politique. À l’image du roi, le père au sein de la famille a tous les pouvoirs. Ce pouvoir est assuré également par la religion. Si nous reprenons l’analyse d’Elizabeth Badinter, elle relève combien la religion catholique est à l’origine de la toute-puissance paternelle au sein de la cellule familiale, mais également du changement de paradigme qui s’institue durant le XVIIe siècle. Avec Rousseau, les préoccupations de la famille sont centrées autour de l’enfant. Plus tard, la Grande Guerre contribue à modifier l’agencement des positions parentales, cela par la modification même des places différentes entre les sexes au sein de la société. Les femmes ont à travailler alors que les hommes sont au front. Cela permet à la femme de se reconnaître et d’être reconnue comme étant capable de participer à la production au sein de la société.

Nous tendons à accorder des qualités féminines à la nature et des qualités masculines à la culture. Du côté femme, la mère et la génitrice sont confondues, ces deux positions sont le prolongement l’une de l’autre. Cependant, pour le père, les positions de père et de géniteur sont distinctes.

Ainsi, certains auteurs considèrent qu’à l’aube de notre histoire, nature et culture étaient confondues (Zoja, 2000). Le début de la civilisation apparaîtrait alors avec l’institution paternelle qui disjoint ces deux prétendus opposés.

Christine Castelain Meunier, sociologue, s’intéresse à la question de l’évolution de notre histoire et de son implication dans la modification des positions de mère et de père. Les mères ne meurent plus autant lors de l’accouchement (du moins, dans les sociétés dites développées) et le père peut lui aussi s’investir dans les tâches de l’espace privé. De ce fait, l’enfant est valorisé comme l’expression d’un choix et d’une démarche d’affirmation identitaire (Meunier, 2002, p. 22). Castelain Meunier, distingue trois types de sociétés dans l’évolution de notre histoire :

- La société rurale (traditionnelle) : au sein de ce type de société, l’enfant apparaît comme garant de la continuité et du maintien de la tradition,

- la société industrielle : l’enfant est dans ce cas le prolongement du développement économique ainsi que du savoir et des techniques,

- et la société post-industrielle (ou contemporaine) : ici, l’enfant prolonge l’affirmation identitaire de l’adulte et symbolise le changement. Il prend place comme extension de l’adulte et non plus de la communauté. On le sollicite comme étayage identitaire. Selon l’auteure, notre société survalorise le rôle de la mère et donc la surresponsabilise alors même que les pères ont tendance à ne pas être appelés pour répondre aux critères d’éducation.

Sans doute le premier changement émerge lorsque la femme apparaît comme sujet social et peut exercer un choix dans le domaine de la procréation. L’apparition de la pilule contraceptive est reconnue par certains auteurs notamment féministes comme un tournant important et le lieu d’un remaniement des places et des enjeux de pouvoir entre les sexes (Preciado, 2008). La pilule contraceptive permet, non seulement aux femmes de pouvoir maîtriser leurs corps mais également, de dissocier la sexualité de la procréation. Ce point constitue une première rupture anthropologique et qui concerne notre thème de recherche.