• Aucun résultat trouvé

2.2. Les méthodes d’évangélisation et la propagation de la dévotion mariale

2.2.3. La transmission de la dévotion mariale dans les méandres des préjugés des

On retrouve dans la méthodologie missionnaire de l’évangélisation des préjugés à l’égard des peuples évangélisés ainsi que de leur culture. Au sujet de ces préjugés, plusieurs auteurs reconnaissent qu’ils provenaient du sentiment de supériorité ancré dans la mentalité des missionnaires. Aussi la politique de table rase était la mieux indiquée à cet effet. André-Jacques Mambwene le perçoit bien quand il affirme que

Le lien entre la foi et la civilisation européenne était fondé sur les préjugés des Blancs vis-à-vis des Noirs qu’ils ont continué à considérer comme une "race inférieure". Pour le missionnaire, il n’y a rien dans la culture africaine qui peut contenir une idée divine, à part la langue locale à utiliser dans l’évangélisation. C’est pourquoi, ils ont pensé qu’il n’y a aucune possibilité d’évangéliser sans au préalable raser tous ces éléments culturels noirs, c’est-à-dire les coutumes et la religion traditionnelle africaine qui était pour eux rien d’autre qu’un pur paganisme218.

L. Laverdière ne dit pas autre chose quand il note que,

Fils de son époque, convaincu de l’incontestable supériorité de la civilisation européenne, modèle idéal et parfait à exporter et instaurer partout dans le monde, ignorant ou méprisant en toute bonne foi les mœurs, coutumes et traditions indigènes, le missionnaire faisait table rase de tous ces particularismes nègres et, après avoir brûlé ou balayé les scories du

217A. MBADU KWALU, « Le culte marial lors de la première évangélisation du Zaire », dans De cultu

marianosaecultus XVII-XVIII, Actes du congrès mariologique, Rome, 1988, p.186.

218 A.-J. MAMBWENE YABU, La méthodologie missionnaire en Afrique. Études des méthodes missionnaires au

75

paganisme, croyait partir à zéro pour poser les solides fondements du christianisme et de la civilisation 219.

Claude Prudhomme enchaîne dans le même sens et révèle que la suppression des sacrifices humains, de l’anthropophagie et de l’idolâtrie justifiait la mise en servitude des Indiens (pour le contexte latino-américain) parce qu’il existait un droit de l’humanité supérieur à tous les droits positifs. L’évangélisation et la colonisation étaient considérées comme des conditions nécessaires pour que les peuples sauvages accèdent à l’humanité et au salut. Ces mêmes arguments seront avancés par certains missionnaires et colonisateurs contre les populations d’Afrique équatoriale pour justifier le recours à la force220.

Par ailleurs, tous les éléments culturels des peuples évangélisés, qui ont été rasés, seront remplacés par ceux de la culture des missionnaires. Claude Prudhomme est de cet avis et montre que lorsque les missionnaires combattent et détruisent les symboles païens, c’est pour leur substituer une symbolique chrétienne. Ce faisant, notamment à travers les rites et les dévotions, ils ouvrent un espace dans lequel l’imaginaire religieux autochtone se réinvestit en partie221.

Ainsi, de plusieurs images pieuses importées en Afrique pour remplacer les fétiches détruits, celles de la Vierge Marie occupaient une place de choix. C’est ce que révèle Robert Witwicki quand il affirme que parmi leurs méthodes, certains missionnaires ont cherché à troquer les fétiches contre les médailles. D’autres missionnaires ont tenté de convaincre les Africains et

219 L. LAVERDIÈRE, « Impérialisme missionnaire, sorcellerie et progrès. Études sur les missionnaires et le

christianisme dans l’œuvre d’Aké Loba », in Neue Zeitschrift für Missionswissenschaft 34/4, 1978, p.245-246.

220 C. PRUDHOMME, Missions chrétiennes et colonisations XVI-XXème siècles, col. Histoire du christianisme,

Paris, Cerf, 2004, p.60.

76

Africaines en faisant croire que les médailles de Marie sont plus puissantes que tous les fétiches222.

Conclusion

Au terme de ce deuxième chapitre, il convient de rappeler que nous y avons fait l’analyse du rôle que la figure de Marie et la dévotion mariale ont joué dans l’évangélisation du continent africain. Nous avons décelé ce rôle à travers les facteurs d’expansion de la dévotion mariale et les méthodes d’évangélisation utilisées par les missionnaires durant cette période. Parmi ces facteurs, nous avons évoqué le contexte général du renouveau marial sous le signe duquel sont placées les congrégations religieuses qui ont évangélisé l’Afrique au 19ème siècle, la place du

culte marial dans leur propre famille religieuse et la manière dont les missionnaires organisaient la liturgie et la pastorale.

Nous avons déjà apprécié, et à juste titre, ces premières ébauches de l’histoire du culte marial en Afrique. Elles nous révèlent l’importance de la mariologie dans l’évangélisation et même au sein de l’Église comme de la théologie. Elles contribuent à éclairer de sa perspective originale les chantiers actuels de la référence théologique223, particulièrement en Afrique. Néanmoins, il

convient de reprocher à cette mariologie de l’époque missionnaire de ne pas porter un regard critique sur la réception de ce culte et de l’image de Marie chez les évangélisés. Le fait que l’évangélisation et la colonisation se soient confondues dans leurs actions et méthodes pour

222 R. WITWICKI, Marie et l’évangélisation du Congo. Chronique de l’ère missionnaire (1594-1952), op.cit. p.59-

122.

223 B. DE BOISSIEU, et al (dir.), Marie, l’Église et la théologie. Traité de Mariologie, Paris, Desclée, 2007, p.7-

77

civiliser ou christianiser les Noirs224, la figure de Marie a été instrumentalisée quelque part. Ces

travaux gardent le silence sur l’impact de cette dévotion dans la vie des individus et au niveau de la vie sociale.

224 C. KINATA, « Les administrateurs et les missionnaires face aux coutumes au Congo français », Cahiers d'études

africaines [En ligne], 175 | 2004, p.1, mis en ligne le 30 septembre 2007, consulté le 12 août 2013. URL :

78

CHAPITRE TROIS

MARIE ET LES FEMMES DANS L’INCULTURATION

DES MYSTÈRES MARIALS ET L’APPROCHE

FÉMINISTE EN AFRIQUE

Introduction

Sous cette rubrique, nous voulons explorer la relation entre la Vierge Marie et les femmes en Afrique. Deux raisons principales nous poussent à nous y pencher. La première raison est qu’en Afrique, comme le soutient le professeur Théodore Mudiji, c’est du côté des femmes qu’on trouve le plus de dévots à Marie225. La deuxième raison concerne la négligence

de la question des femmes en lien avec Marie et la mariologie dans la littérature théologique africaine. Cette mise à l’écart ne prend pas en compte l’accroissement récent de cette problématique telle qu’elle se développe ailleurs226.

Ce chapitre essaye de comprendre les raisons principales du silence observé dans la théologie africaine sur la relation entre la Vierge Marie et les femmes en Afrique. Il se poursuit en montrant qu’au-delà de cette omission, le lien entre la Vierge Marie et les femmes est évoqué au travers des essais d’inculturation des mystères marials et de la dénonciation de la situation vécue par les femmes dans ce continent.

225 T. MUDIJI, « Dire la Vierge Marie Bienheureuse à la manière congolaise », dans R. WITWICKI et al, Marie

des litanies. Recueil des méditations suivi de quelques réflexions théologiques, Kinshasa, Médiaspaul, 2002, p.106.

226 Nous pensons ici aux contextes occidental, nord-américain et latino-américain où la Vierge Marie et la

79

3.1. Marie et les femmes dans la littérature théologique africaine

Outline

Documents relatifs