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3.4. Dogmes et question des femmes en Amérique Latine

3.4.3. Assomption et Immaculée Conception prélude de la réhabilitation du corps féminin

Les dogmes de l’Assomption et de l’Immaculée Conception sont relus comme participant à la revalorisation du corps des femmes. Pour l’Assomption, cette conception est soutenue par Ivone Gebara et Maria Clara Bingemer. Les deux auteures se réfèrent à la culture juive où les femmes étaient proscrites des rites de l’initiation à cause de leur anatomie et même empêchée de participer pleinement au culte à cause de leur cycle biologique mensuel. Elles indiquent également que même dans le christianisme, elles étaient, pendant longtemps, de façon voilée ou explicite, des citoyennes de deuxième catégorie dans le monde de la foi, à cause de «

437 A. CARR, La femme dans l’Église. Tradition chrétienne et théologie féministe, Paris, Cerf, 1993, p.246. 438 A. ROY, « El mistério do mulher », dans Convergéncia vol.13, n° 135, 1980, p.415-421.

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l’infériorité » et de « l’indigence » de leur corps. Ainsi, pensent-elles que l’Assomption de Marie restaure et réintègre la corporalité féminine au sein du mystère de Dieu lui-même. À partir de Marie, les femmes voient reconnue et assurée la dignité de leur condition, par le Créateur de cette même corporéité. En Jésus-Christ et en Marie respectivement, le féminin est ressuscité et élevé au ciel, participant définitivement à la gloire du mystère trinitaire, de qui tout procède et auquel tout revient439.

De plus renchérissent-elles, l’Assomption de Marie apporte aux femmes un avenir nouveau et prometteur. Le fait d’appartenir au dépôt de la foi, cette affirmation qu’une femme participe – intégralement et pleinement – à la gloire du Dieu vivant signifie racheter son corps féminin de toute l’humiliation qu’a fait peser sur lui la civilisation judéo-chrétienne440. Clodovis Boff se

situe dans la même lancée quand il affirme que dans notre ère de nihilisme et de dégradation du corps féminin, on pourrait dire que Marie élevée au ciel est également une icône de la signification ultime de la vie, qui est vie éternelle abondante, incluant pleinement la corpo- réalité humaine441.

Le lien entre l’Immaculée Conception et la réhabilitation corporelle féminine vise à contrer le dualisme Ève/Marie, qui, selon la théologie européenne/helléniste, favorisait l’utilisation de la pureté de Marie pour enseigner la situation des femmes dans le contexte social. Les femmes étaient perçues comme étant faibles, inférieures et avides sexuellement. Donc, la pureté de Marie vint à fonctionner comme une mesure contre laquelle le comportement apparemment licencieux des femmes ordinaires fut mesuré ; elle devint un outil pour mépriser les femmes qui n'égalaient

439 A. CARR, La femme dans l’Église. Tradition chrétienne et théologie féministe, op.cit., p.134-135. 440 Ibidem, p.135.

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pas le comportement et la piété de Marie. Les femmes qui n'égalaient pas ses standards religieux étaient accusées d'activités sataniques442.

À travers l’Immaculée Conception, la corporéité des femmes, que la Genèse dénonçait comme la cause du péché originel, faisant peser sur tout le sexe féminin une charge et un fardeau difficiles à porter, est réhabilitée par l’Évangile et par le magistère de l’Église443. Ce corps animé

par l’Esprit divin est proclamé bienheureux. En lui, Dieu a réalisé la plénitude de ses merveilles. Dans la chair et dans la personne d’une femme, l’humanité peut voir arriver à bon terme sa vocation et son destin. Cette vaste revalorisation de la matière et de la chair, qui puise ses racines dans l’expérience humaine et la compréhension scientifique, permet à chacune de prendre part à cette grande aspiration à la plénitude et à l’harmonie. Ainsi la sainteté ne sera plus conçue comme complétement séparée du reste du monde, comme le prétendent encore certaines idées444.

Conclusion

Le chapitre trois a porté sur l’interprétation sociale contemporaine des dogmes marials en Amérique Latine. Guidée par certains facteurs d’ordre historique, théologique, pastoral et anthropologique, l’herméneutique de ces vérités de foi montre qu’elles participent à la confection d’une nouvelle anthropologie qui, dépassant le dualisme contenu dans la mariologie

442 R. RUETHER, « Christianity », In Women in World Religion, New York, State University of New York Press,

1987, p.226, cité par E. MARQUES NOGUEIRA NGRELA, Reclaiming the Virgin Birth Narrative in Latin

America, Feminist Liberation Theology, Department of Religious Studies, University of Cape Town, 2007, inédit,

p.30.

443 D. IRARRAZAVAL, « Mary in Latin American Christianity », op.cit., p.95-105.

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antérieure, s’avère intégrée et unitaire. Cette anthropologie accorde une attention particulière à l’humain dans son intégralité, dans ses forces, dans ses faiblesses et dans la pluralité de ses valeurs. Outre cette contribution anthropologique, les dogmes marials, dans ce contexte, sont porteurs des germes libérateurs. Ceux-ci sont visibles à travers leur rôle unitif et émancipateur, la reconnaissance qu’ils sont couronnement de la préférence de Dieu pour les pauvres, les rejetés de la société mais surtout le fait qu’ils sont un ferment d’engagement indéfectible pour ces marginalisés. Dans le lot des personnes mises à part par la société, figurent les femmes qui voient dans les dogmes marials une source de libération et de revalorisation de leur corps. C’est ainsi que le dogme de la maternité mariale, tout en dévoilant toute la stature des femmes, devient proclamation de leur libération, alors que celui de la virginité, signe de leur autonomie. Quant aux dogmes de l’Immaculée conception et de l’Assomption, ils concourent à la réhabilitation de leur dignité corporelle.

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CHAPITRE QUATRE

LA FIGURE DE MARIE ET LA DÉVOTION MARIALE

DANS LE COMBAT FÉMINISTE EN AMÉRIQUE

LATINE

4.1. Anthropologie féministe de la réflexion mariale dans le

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