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3.4. Dogmes et question des femmes en Amérique Latine

3.4.1. La maternité mariale et sa portée libératrice pour les femmes latino-américaines

Le point de départ de cette perspective est la critique de certaines lectures qui privilégient de façon trop exclusive la maternité mariale disant aux femmes qu’elles doivent avant tout être de bonnes mères de famille sans prétendre à un rôle officiel dans la société et dans l’Église. Ces interprétations, faites dans un contexte machiste et oppressif, considèrent la maternité comme l’accomplissement de tout le projet des femmes dans la vie422. Elles réduisent les femmes à cette

fonction en négligeant leur personnalité et leur liberté pourtant bien manifestée, chez Marie, par

421 PUEBLA, Construire une civilisation de l’amour. Document final de la conférence générale de l’épiscopat

latino-américain sur le présent et l’avenir de l’évangélisation, n°281, 452.

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l’Évangile de l’Annonciation423. Elles n’approfondissent pas la dimension de la personnalité

féminine, ni sa responsabilité sociale, ni les plurifonctionnalités positives que les femmes peuvent exercer dans la société de façon similaire à celles des hommes. La valeur des femmes reste limitée au secteur sexuel-familial de mère ou de vierge424.

Cette perspective se poursuit par la prise de conscience selon laquelle bibliquement et historiquement Marie, avant d’être mère, a été femme ; et que ce fut précisément le fait d’être femme qui a rendu possible, dans l’histoire du salut, la réalisation de la mission que Dieu lui a confiée 425. Cette mission historique, que Dieu lui a conférée, trouve son expression dans la

maternité messianique. Celle-ci, transcendant le foyer, inaugure une époque eschatologique de l’histoire et fait de Marie le symbole, que nous fournit la foi, de la libération de la femme opprimée dans le contexte d’un univers machiste coupable, en lui restituant sa dignité et sa dimension spécifiquement sociales, tant dans la communauté religieuse que profane426.

Ainsi, la maternité mariale est-elle un signe qui montre que la Vierge Marie a fait aussi l’histoire en jouant un rôle prépondérant dans la mission du salut427. Cela atteste que le masculin n’est pas

la seule couleur de l’histoire. Le masculin n’est pas non plus l’unique auteur de cette histoire, même si la surface des évènements retentit d’exploits guerriers ou économiques428. Ainsi à cause

de la fonction de celle qui a réalisé la première mise au monde de toutes les mises au monde

423 J. BRADY, « La femme et Marie », Symposium de Dayton, dans University of Dayton Review 11, 1975, p.34,

cité par R. LAURENTIN, « Marie dans la perspective du féminisme américain », dans P. BÉTÉROUS et al, La

figure de Marie lumière sur la femme, Études mariales, Paris, O.E.I.L, 1988, p.92.

424 A. GONZÁLEZ DORADO, De María conquistadora a María liberadora. Mariología popular

latinoamericana, op.cit., p.63-73.

425 Idem.

426 Ibidem, p.67-70.

427 D. IRARRAZAVAL, « Mary in Latin American Christianity », op.cit., p.95-105.

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chrétiennes, les femmes peuvent se placer dans un rapport généalogique avec Marie429. Pour

Maria Del Carmen Servitje Montull, Marie peut dire aux femmes d'aujourd'hui, qu'aucune essence ni aucune biologie ne sont déterminées au point qu'elles ne peuvent être changées ou réinterprétées par la culture, par le projet personnel de quelqu'un, ou par ses relations personnelles et ses décisions libres430. Diego Irarrazaval pense qu’admirer Marie implique une

plénitude de vie pour toutes les femmes (et tous les hommes) et que quand, aujourd'hui, les communautés s'attachent à la Mère de Dieu, elles proclament que les femmes, de toutes les générations, sont appelées à la libération431.

La maternité mariale éclaire aussi la potentialité maternelle de la femme en lui donnant une dimension nouvelle et définitivement très ample. En elle, se révèle ainsi un aspect inédit et inexploré du mystère de Dieu lui-même incarné dans son sein : Dieu, qui est – lui-même – la vie, et la vie en plénitude ; qui se compare lui-même dans la révélation biblique à la femme qui donne naissance (Is 66,13 ; 42,14), qui nourrit le fils de ses entrailles et qu’il n’oublie pas (Is 49,15)432.

429 D. COUTURE, « Marie aujourd’hui. Point de vue de théologie spirituelle et féministe », dans P. DAVIAU (dir.),

Parler de Marie d’hier à aujourd’hui, Ottawa, Novalis, 2004, p.165.

430 MARIA DEL CARMEN SERVITJE MONTULL, « Mary of Guadalupe, icon of liberation or image of

oppression? » dans M. PILAR AQUINO et M.-J. ROSADO-NUNES (dir.), Feminist Intercultural Theology. Latina

explorations for a just world, New York, Orbis Books, Maryknoll, 2007, p.245. Nous précisons qu’il s’agit ici de

notre propre traduction.

431 D. IRARRAZAVAL, « Mary in Latin American Christianity », op.cit., p.95-105.

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3.4.2. La virginité mariale et son potentiel libérateur pour les femmes

La virginité mariale porte également une autre signification dans son rapport à la question des femmes. Cette signification part de la remise en question de son exaltation reproduite par une certaine tradition. Celle-ci est désapprouvée parce qu’elle a fait en sorte que les femmes soient des souffre-douleurs de l’anthropologie et de la conception chrétienne de la sexualité qui se sont exprimées dans l’opposition entre Ève et Marie. À Ève, femme sexuée, on a opposé comme contre modèle la femme non-sexuée, Marie. Ève et ses filles, considérées comme femmes-corps, pouvaient être purifiées par la sanctification du corps de Marie Vierge et Mère433. Ainsi, comme l’affirme Élisabeth Johnson, « l’image de la virginité de Marie a

empêché que les femmes intègrent leur propre sexualité à la réalisation de la plénitude434».

Tout en plaçant la virginité au-delà de son aspect anatomique, sa nouvelle compréhension la situe comme une capacité d’autonomie435. En plus, elle la conçoit comme une réalité

relationnelle. Elle signifie que la femme est une personne libérée, assujettie à aucun être humain. La virginité est alors perçue comme étant la capacité de se définir soi-même, et cela n'a rien à faire avec le fait que quelqu'un soit sexuellement actif ou pas. Elle vient symboliser le renversement de l'ordre patriarcal et donner un signe que la féminité entière et libérée est possible436. Anne Carr renforce ce qui précède en affirmant que c’est à partir du statut de Marie

que la virginité peut constituer un symbolisme, un signe prophétique du nouveau devenir des

433 E. PARMENTIER, Les filles prodigieuses. Défis des théologies féministes, Col. Lieux théologiques 32, Genève,

Labor et fides, 1998, p.30-31.

434 E. JOHNSON, « Marian Tradition and reality of Women », dans Horizons, vol.12, n°.1, 1985. Il s’agit de notre

propre traduction.

435 M.-T. PORCILE SANTISO, La femme, espace de Salut. Mission de la femme dans l’Église. Une perspective

anthropologique, col. Théologies, Paris, Cerf, 1999, p.85-86, voir aussi, SALLY CUNNEEN, À la recherche de Marie. La femme et le symbole, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p.265-267.

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femmes. Pour elle, la doctrine de la naissance virginale de Marie peut signifier « qu’une femme n’a pas besoin d’être totalement définie par ses relations avec les hommes, que la virginité peut être un symbole d’autonomie féminine intégrale »437.

Outre ce qui précède, la doctrine de la virginité de Marie nous dit que les femmes sont des êtres chez qui Dieu a ouvert un espace. Il les fait ouvertures, espaces de liberté pour accueillir, protéger, nourrir et conserver ; espaces discrets et secrets pour couvrir le mystère ; espaces disponibles et vierges, prêt pour héberger toutes les possibilités, tous les horizons de la vie. Ainsi, loin de limiter et de réduire les femmes à la stérilité, loin de nier leur sexualité, le dogme de la virginité de Marie les déclare pour toujours espaces affirmatifs où l’Esprit du Très-Haut peut se poser et établir sa demeure438.

3.4.3. Assomption et Immaculée Conception prélude de la réhabilitation du

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