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générale de notre recherche, se vérifie également dans le rapport entre Marie et les femmes dans ce continent, alors que sous d’autres cieux ce rapport a connu une floraison littéraire. Adingra Eugène227 et Ntima Kanza228 ont également fait ce constat en déplorant le manque d’écrits

spécifiquement consacrée à la Mère de Dieu dans la théologie africaine en général et dans les christologies en particulier, aussi bien chez les théologiens et théologiennes que chez les féministes. Plusieurs raisons peuvent justifier cette carence, notamment l’évolution progressive et lente des théologies féministes africaines et la volonté de ces dernières de se démarquer des autres théologies du même type.

3.1.1. La spécificité des mouvements théologiques féministes africains.

Pendant très longtemps, affirme Josée Ngalula, toutes les confessions chrétiennes présentes sur le continent africain ont privilégié la formation théologique des hommes, comme préparation au ministère pastoral. Les femmes engagées dans la pastorale recevaient seulement de courtes formations sur la doctrine chrétienne et la Bible229. Le statut de sujets théologiques

leur a été nié. Par conséquent, jadis, elles ont été des consommatrices passives d'une

227 E. ADINGRA, La place et le rôle de Marie dans l’Église-Famille de Dieu en Afrique, op.cit., p. 32.

228 NTIMA NKANZA, « La Theotokos dans les christologies africaines actuelles », dans Marianum, 68, 2006, p. 559.

229J. NGALULA, « Tendances de la théologie africaine des femmes et leur impact », Conférence donnée au Forum intercontinental Tsena Malàlaka et RomeroHaus Lucerne, le 24 janvier 2013, voir le lien

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interprétation théologique et de la proclamation de la foi exclusivement masculine provenant, pour la plupart, des membres du clergé230. La construction d’un discours théologique, qui

s’enracine dans une perspective féministe en Afrique, remonte à la fin des années 80, avec l’inauguration, par Mercy Amba Oduyoye, du Cercle des théologiennes africaines engagées231.

Ce Cercle se situe dans le sillage des autres mouvements féministes africains nés vers la fin des années 70. D’entrée de jeu, on trouve dans tous ces mouvements la volonté de marquer leur différence avec ceux de leurs collègues de l’Occident et de l’Amérique du Nord. Pour Fatou Sow, les premières féministes africaines ont revendiqué leur capacité à remettre en question les concepts dominants du féminisme occidental. Cette première revendication, du droit à la parole, est une volonté de rechercher à produire un discours sur elles-mêmes à cause de la différence des besoins et des priorités232. Anne-Béatrice Faye justifie ce souci de démarcation par le fait

que la théologie féministe est contextuelle et le féminisme, comme événement et comme récit, est diversité et pluralité. Dans cette optique, elle cherche à donner un poids analytique aux expériences des femmes de divers contextes et aux injustices dont elles souffrent, en particulier à cause du sexisme233.

230 M.-A. FERRER ECHAVARRI, « mémoire de l’approche de la théologie féministe », Conférence donnée le 28

juin 2011 à Dijon, voir le lien http://carleos.epv.uniovi.es/~faustino/teofem/e-f.htm, consulté le 13 février 2016.

231 I. NDONGALA MADUKU, « Féminisme, genre et théologie en Afrique », Axe 3 du programme de recherche

du Groupe de Théologies Africaines Subsahariennes (GTAS), voir le lien

http://www.gtas.umontreal.ca/recherche/axe3.html consulté le 11 février 2016.

232 SOW FATOU « Les défis d'une féministe en Afrique », dans Travail, genre et sociétés, vol.2, 20, 2008, p. 5-

22, idem, « Politiques néolibérales et alternatives féministes : l’apport des mouvements de femmes en Afrique », dans Actes du colloque du gtm, « Le genre au cœur de la mondialisation », 21-23 mars 2007, Paris, wwww. gtm. cnrs-bellevue. fr/ sitegtm/ Cl/Mond/2007/Sow.pdf,, SOW FATOU et BOP CODOU (dir.), Notre corps, notre

santé : la santé et la sexualité des femmes en Afrique subsaharienne, Paris, l’Harmattan, 2004.

233 A.-B. FAYE, « Les mouvements féministes africains interrogent le christianisme africain », dans L. SANTEDI

KINKUPU (dir.), La théologie et l’avenir des sociétés. Cinquante ans de l’École de Kinshasa, Paris, Karthala, 2010, p.249-270.

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Tout en reconnaissant quelques similitudes dans les causes communes des combats féministes sur la scène mondiale et ceux d’Afrique, les problématiques féministes en Afrique tournent autour de ce que les femmes vivent et dont elles veulent se libérer. Boni Tanella les résume bien dans sa publication. En effet, pour elle, les femmes en Afrique sont victimes de violences et de maux de toutes sortes. Elles sont objets de harcèlement sexuel, de violences corporelles ou verbales. Souvent battues, agressées et maintenues comme des mineures par des lois ou normes traditionnelles et étatiques élaborées à leur insu, elles sont parfois victimes de discrimination dans le monde du travail et dans les milieux universitaires où elles sont parfois obligées de céder leur corps pour avoir du travail ou réussir aux épreuves scolaires. Dans certaines institutions ou mouvements religieux qui exploitent la faiblesse, le dénuement, l’abandon et la pauvreté, les femmes sont les grandes perdantes. Certains pays qui appliquent la charia n’hésitent pas à les lapider pour raison d’adultère. Il faut ajouter à cette liste interminable l’esclavage moderne ainsi que la prostitution dont les femmes sont victimes234. La pensée de Boni Tanella est renchérie

par Josée Ngalula qui insiste sur la problématique du viol des femmes utilisée comme arme ou stratégie de guerre en Afrique. Leurs statistiques effrayantes et l’aspect massif et systématique de leurs atrocités en font une des préoccupations principales des combats féministes en Afrique235.

234 BONI TANELLA, Que vivent les femmes en Afrique ? Col. Tropiques, Paris, Karthala, 2011, p. 47-90.

235 J. NGALULA, « Femme, violence et réconciliation. Réflexions théologiques », dans P. POUCOUTA (dir.),

L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, Colloque international en préparation de la deuxième assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, Yaoundé, Presses de l’UCAC, 2009,

p.142-146, Idem, Dieu dénonce et condamne les violences faites aux femmes, Kinshasa, Éditions Mont Sinaï, 2005, J. NGALULA (dir.), Oser la défendre dans son inviolabilité, Actes de l’Atelier « Religion et violences faites aux

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3.1.2. Les figures d’inspiration biblique du combat féministe en Afrique

Dans la lutte pour la cause des femmes en Afrique, plusieurs figures bibliques féminines sont mises en exergue et la Vierge Marie n’est pas mise à part, elle occupe une place majeure parmi ces figures. L’attention est portée sur des femmes prophétesses et d’autres qui ont joué des rôles de grande envergure dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Pour l’A.T., Ngongo Kilongo Fatuma souligne celles qui ont réalisé une mission particulière en faveur de leur peuple. Leurs dons prophétiques, leur fidélité, leur esprit d’initiative et leur mépris du danger ont contribué, à des moments critiques, au salut d’Israël. Dans ce lot, elle cite les prophétesses Déborah, Houlda, Myriam et les autres femmes comme Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée236. Les quatre dernières figures sont aussi retenues par Marie-France Bayedila

Bawumina qui, dans le regard éthique qu’elle porte sur la généalogie féminine de Jésus, dégage des principes pour une éthique de la libération des femmes africaine aujourd’hui237.

Pour le N.T., les figures de Marie de Magdala, de la Samaritaine, de Marthe et de Marie sa sœur, sont propulsées au-devant de la scène en lien avec la mission des femmes aujourd’hui. On le voit chez Teresa Okure qui rattache ces figures à la dignité féminine dans la question missionnaire au troisième millénaire. Elle présente, à partir de Jean 20,11-18, Marie-Madeleine comme celle que Jésus a envoyée à ses disciples pour leur proclamer le message fondateur de sa mission accomplie. La Samaritaine est vue comme étant une apôtre qui porte la mission de Jésus, en préparant son peuple à l’accueil de l’action de Jésus chez les Samaritains (Jn 4, 28-30,

236 NGONGO KILONGO FATUMA, Les héroïnes sans couronne. Leadership des femmes dans les Églises de

Pentecôte en Afrique Centrale, Thèse de doctorat défendue à l’Université de Bâle, Genève, 2015, p.175-182.

237 M-F. BAYEDILA BAWUNINA, « Les mères de Jésus-Christ. Fondements pour une éthique de la féminité

créative en Afrique », dans KÄ MANA, J-P. NGOYI, Libérer la femme africaine. Pour une voie chrétienne du

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39-42). De même, les sœurs de Lazare, en particulier Marthe, sont présentées comme modèles d'amour et de service que Jésus lui-même adoptera quelques jours plus tard, lors de la dernière cène, montrant à ses disciples la perfection de son amour (Jn 13, 1-20). Ainsi pour Okure, la mission que Jésus a accordée à ces femmes nous convie à réexaminer la compréhension de la mission, notre attitude et nos relations des uns, des unes envers les autres comme fils et comme filles de Dieu, entre le Sud et le Nord, l’Ouest et l’Est. Cela met l’Église au défi de prendre au sérieux la contribution des femmes dans la mission au troisième millénaire (Jn 13, 1-20)238.

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