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On peut distinguer trois caractéristiques de l’anthropologie féministe qui guident la réflexion mariale en Amérique Latine. La première est que son point de départ se situe dans la lignée de la vision du monde et de l’être humain selon la théologie de la libération au féminin. La deuxième caractéristique donne une nouvelle vision du monde et de l’humain selon la théologie féministe de la libération. La troisième caractéristique fait le passage de l’anthropologie centrée sur le mâle vers l’anthropologie centrée sur l’humain.

445Nous nous inspirons ici de sources suivantes : I.GEBARA, M.-C. BINGEMER, Mary, Mother of God, Mother of the Poor, Maryknoll, New York, Orbis Books, 1989, Idem, « Maria », dans I. ELLACURA et J. SOBRINO

(dir.), Mysterium liberationis, conceptos fundamentales de la teologia de la liberacion, t.1, Salvador, UCA, 1990, p.601-618, I. GEBARA, « Théologie de la libération au féminin et théologie féministe de la libération », dans F. HOUTART (dir.), Théologie de la libération, Paris, Montréal, l'Harmattan, 2000, p.230, Idem, « Enjeux et nouveau défis d’une approche féministe de la théologie de la libération », dans l’Autre parole, 56, 1992, p.27, voir le lien

http://www.lautreparole.org/articles/1358, consulté le 16 février 2015, M.-T. PORCILE SANTISO, La femme, espace de Salut. Mission de la femme dans l’Église. Une perspective anthropologique, col. Théologies, Paris, Cerf,

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4.1.1. La vision du monde et de l’être humain selon la théologie de la

libération au féminin.

Selon Ivone Gebara446, parler de la théologie de la libération au féminin, c’est faire

allusion à une théologie élaborée par les femmes tout en gardant les mêmes références et la même méthode d’analyse employées par les hommes. Ici, le féminin se rend présent, sort de l’inclusion indifférenciée par rapport au masculin normatif. Cette théologie évoque la présence active des femmes théologiennes qui abordent des sujets qui touchent aux réalités spécifiques des femmes. Celles-ci s'ouvrent un espace et commencent à féminiser les concepts théologiques, à percevoir le côté féminin de la Trinité, le choix par Jésus de disciples tant chez les femmes que chez les hommes, le leadership exercé par des femmes dans l'Église primitive447.

Cependant, la conception de l’être humain et du monde, dans cette théologie, n’est pas différente du modèle traditionnel qui situe le salut dans le schéma de l’histoire unique, presqu’uniquement masculine. Ce salut, « construit » au masculin, arrive de façon indirecte à faire entrer le féminin. Cette perspective conserve la supériorité du masculin dans l’histoire humaine et dans la Révélation de Dieu à l’intérieur de l’histoire humaine. Elle garde la même structure qui identifie la Révélation de Dieu à une structure philosophique de pensée et à certains privilèges du genre

446 I. GEBARA, « Théologie de la libération au féminin et théologie féministe de la libération », op.cit., p.230. 447 Idem, « Enjeux et nouveau défis d’une approche féministe de la théologie de la libération », op.cit., p.27, lire

également P. DAVIAU (dir.), Pour libérer la théologie. Variations autour de la pensée féministe d’Ivone Gebara, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 2002, p.99-111.

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masculin. La différence de genre et les analyses qui en découlent ne sont pas considérées comme une clé pour mieux comprendre les rapports humains448.

4.1.2. La vision du monde et de l’être humain selon la théologie féministe de

la libération

Cette vision du monde et de l’être humain va au-delà de celle prônée par la théologie de la libération au féminin. Elle a pour point de départ la déconstruction des concepts théologiques et philosophiques traditionnels. Rappelons que ces concepts sont caractérisés par la culture patriarcale qui leur a donné naissance, culture qui a interprété l’homme comme étant plus proche de la raison que la femme et, à cause de cela, plus proche d’une certaine conception dominante de la divinité. Les femmes, dont l’existence est plus dépendante des hommes, sont plus éloignées de la divinité patriarcale. Ainsi, elles sont considérées plus proche de la terre : plus matière, plus chair, plus nature449.

La théologie féministe de la libération livre une nouvelle vision du monde et de l’être humain. Ce nouvel entendement du monde et de l’être humain est basé sur une cosmologie qui plonge ses racines dans une conception « processuelle » de la vie. Le monde et l’être humain sont compris comme fruits d’une évolution dont le judaïsme et le christianisme sont des moments interprétatifs dans une histoire longue et complexe. Cette perspective féministe essaie de considérer la réalité humaine comme plurielle. Dans cette pluralité, l’humain est constitué de femmes et d’hommes en relation, des êtres situés dans l’espace, dans le temps et dans les cultures

448 I. GEBARA, « Théologie de la libération au féminin et théologie féministe de la libération », op.cit., p.230. 449 Ibidem, p.231-235.

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différentes. L’humain toujours en relation avec les autres êtres, vit dans et par cette relation. C’est à partir du vécu concret que les femmes essayent d’amorcer une compréhension de l’être humain, bâtie sur une conception plus relationnelle, plus dynamique et plus historique. Dans cette perspective, une critique du patriarcalisme en théologie est amorcée par la théologie féministe. Elle touche les contenus de la tradition et la manière dont elle continue à être affirmée comme venant de Dieu. Cette déconstruction des contenus théologiques traditionnels montre leur dépendance patriarcale dans la façon d’exprimer les valeurs humaines450.

4.1.3. D'une anthropologie centrée sur l’homme à une anthropologie centrée

sur l'humain

L’anthropologie traditionnelle était centrée sur l’homme (le mâle). Elle découle d’une théologie qui projette les traits culturels du mâle sur Dieu. Cette théologie (écrite sur des modèles culturels centrés sur l’homme) a profondément pénétré les valeurs des mondes oriental et occidental, faussant la façon dont la vie est expérimentée. Elle a, par conséquent, aggravé la soumission des femmes face aux hommes, une soumission supposément basée sur un droit divin. L'anthropologie traditionnelle a donc caché la part jouée par les femmes dans les grands événements historiques, ou a réduit cette activité, la subordonnant à l'activité des hommes, même si, en différentes occasions, des femmes ont brisé ces vieilles chaînes et sont devenues les modèles d'un nouvel ordre social.

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Par contre, la vision centrée sur l'humain présente l'humanité, homme et femme, comme étant le centre de l'histoire. C'est l'humanité (homme-et-femme) et l'histoire, inter-reliés l'un à l'autre et reliés à la divinité, qui construit l'histoire. Le mâle n'est pas le seul médiateur, mais simplement un médiateur dans la relation entre Dieu et l'humanité. C’est une anthropologie de l’association, de la réciprocité dans la relation homme-femme dans laquelle l’être humain se situe en toute liberté et égalité de relation face au monde et aux autres, qu’il soit homme ou femme451.

La perspective centrée sur l'humain est fondée sur une lumière nouvelle : « l'expression mâle de l'humanité n'est pas privilégiée au détriment de l'expression femelle. Une anthropologie centrée sur l'humain essaie de comprendre la révélation du divin à travers l'humain et elle accepte les conséquences historiques et théologiques d'une telle option »452. La première grande

conséquence est la relativisation des modèles culturels centrés sur le mâle. Une anthropologie centrée sur l'humain est la seule qui nous permettra de présenter une théologie mariale qui peut redécouvrir l'activité historique des femmes en faveur du Royaume et qui, en conséquence, peut rendre justice à Marie, aux femmes, aux hommes et, en fin de compte, à l'humanité créée à l'image et à la ressemblance de Dieu453.

451 M.-T. PORCILE SANTISO, La femme, espace de Salut. Mission de la femme dans l’Église. Une perspective

anthropologique, col. Théologies, Paris, Cerf, 1999, p.87-88.

452 I. GEBARA, M.-C. BINGEMER, Mary, Mother of God, Mother of the Poor, op.cit., p.6-12. 453 Idem.

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