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1.3. Le rôle des lieux marials en Amérique Latine

1.3.2. Les sanctuaires marials comme lieu de prise de conscience

En Amérique Latine, certains sanctuaires marials sont dédiés à la lutte pour la libération des peuples opprimés, car ils ont été et sont encore des lieux où s’exprime la résistance d’un peuple quand les temps sont durs360. De ce fait, ils sont devenus des plates-formes de prise ou

d’éveil de conscience et d’interpellation par rapport à la situation vécue par le peuple. Parmi ces sanctuaires, on peut mentionner encore celui de Lujan en Argentine. En effet, les pèlerinages à ce sanctuaire ont pris une ampleur nationale et un caractère de résistance silencieuse pendant la décennie de la dictature militaire. Ils ont inspiré les Mères de la Plaza de Mayo, ces femmes qui ont perdu leurs fils et d'autres êtres aimés dans la vague d'arrêts illégaux, de tortures, et de disparitions parrainées par le gouvernement361. À propos de ces femmes, Marie -Thérèse Vallet

trace un parallélisme entre les souffrances de la Vierge Marie et la leur. Ainsi, affirme-t-elle, « Marie en pleurs », « Marie au calvaire » rejoint toutes ces femmes du continent qui n’en peuvent plus de pleurer silencieusement et dignement tous leurs enfants massacrés au cours des siècles362.

Rappelons que ces grands-mères qui forment l’ONG « Les Grands-mères de la place de Mai » (en espagnol : Abuelas de Plaza de Mayo) continuent de se battre aujourd’hui pour une justice indépendante, pour une transformation politique qui assure la paix, fondée sur le respect de la vie et de tous ses droits, à s’exprimer librement, à penser, à recevoir une instruction, des soins de santé et du travail. Leur mouvement persiste à rassembler sur la place de Mai tous ceux et toutes celles qui subissent des injustices, des violations de leurs droits humains et qui réclament, comme les Mères, une vie digne pour tous. Aujourd’hui, l’association a permis de rendre leur

360 M.-T. VALLET, « Marie, évangélisatrice des peuples amérindien », op.cit., p.339-350.

361 LINDA B. HALL, Mary, Mother and Warrior. The Virgin in Spain and the Americas, op. cit., p.169-206. 362 M-T. VALLET, « Marie, évangélisatrice des peuples amérindiens », op.cit., p.339-350.

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identité à 114 enfants sur les 500 cas estimés. En août 2014, Estela de Carlotto, leader de l’ONG, a retrouvé son petit-fils Guido disparu en pleine dictature argentine 36 ans auparavant. Entre 2008 et 2012, les grand-mères ont été proposées pour le prix Nobel de la paix à cinq reprises. En 2010, elles sont récompensées par le prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix institué par l’UNESCO363.

De même pour Notre-Dame d’Apparecida au Brésil ou Notre-Dame du Carmel au Mexique. Selon Richard Marin364, parmi les aspects qui se dégagent des fêtes mariales dédiées à ces

sanctuaires, il y a l’aspect sociopolitique de la célébration. Pour lui, « de par son organisation, l’attente qu’elle suscite et le message qu’elle transmet, la fête mariale est aussi un reflet du moment politique. Elle est à sa manière et selon des codes plus ou moins subtils, un acte politique ». L’auteur voit cela à travers les neuvaines précédant ces fêtes, qui se sont efforcées de donner de plus en plus de place, à partir de 1975, aux préoccupations des groupes populaires. Elles deviendront des occasions privilégiées de réflexion sociale et de conscientisation. Les thèmes choisis pour la prédication lors de ces neuvaines en 1979 et 1984 consolident bien ce qui précède : « Marie pensait à la situation et pris parti pour la libération » (1979) et « Marie, ton peuple a faim » (1984). Enfin, les rassemblements populaires de ces fêtes religieuses deviendront également une occasion privilégiée pour délivrer des messages sociopolitiques. L’auteur cite la chronique du très conservateur Diario en 1963 qui a insisté sur l’harmonie des

363 M. VANESSE, « Las Abuelas de Plaza de Mayo », voir le lien, http://www.voyages-patagonie.com/histoire-de-

l-argentine/las-abuelas-de-plaza-de-mayo.php consulté le 16 février 2016, lire aussi G. OUELLETTE, «Argentine, ADN et droits humains», voir le lien http://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/2014/07/14/argentine-adn-droits- humains consulté le 16 février 2016, A.VALENTI, « Argentine, les 500 bébés volés de la dictature » documentaire réalisé en 2012 et qui a reçu le Fipa d’Or en 2013 dans la catégorie reportages, S. SCHÜLER, Dictature : «Justice pour des bébés volés », Article publié le 04/04/2008, voir le lien

http://www1.rfi.fr/actufr/articles/100/article_64674.asp, consulté le 16 février 2016.

364R. MARIN, Dom Helder Camara, les puissants et les pauvres, col. Église/Société, Paris, Les Éditions Ouvrières

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classes que devait selon lui faciliter la neuvaine. Il mentionne encore le propos du Carme Romeu Perera qui déplorait un certain déclin de la fête dû à l’inflation, à l’insécurité et à la démagogie régnant dans l’administration publique. Il appelait alors de tous ses vœux « une nouvelle aurore » c’est-à-dire une amélioration de la situation, de manière à ce que chacun éprouve la sécurité et la stabilité. La chronique citée supra, une année plus tard en 1964, quand le coup d’état militaire renversa le pouvoir en place, présenta la fête de la Vierge du Carme qui suivit comme une fête d’action de grâce pour la libération du pays de la menace communiste. Quinze années plus tard en 1980, Frei Tito Prieur du Carme, qui dirigeait la procession, priera avec la foule pour demander au Seigneur qu’il y ait une meilleure répartition des revenus dans le pays…365

Conclusion

Ce chapitre nous a permis d’analyser l’aspect sociopolitique de la dévotion mariale en Amérique Latine. Nous l’avons fait à travers l’étude de la place que cette dévotion et la figure de la Vierge Marie ont occupée dans la vie et dans les projets des différents acteurs qui ont présidé à la destinée des pays de cette partie du continent américain. Le premier niveau de cet examen a concerné l’œuvre des conquérants, des colonisateurs et des missionnaires. Chez ces derniers, la démarche a révélé qu’ils ont associé Marie et son culte à leurs entreprises. Son rôle majeur était celui de protéger leur vie ainsi que leur réalisation. Certaines pratiques de la dévotion mariale réalisées par ces acteurs ont répondu à ce besoin. Cette façon de faire a eu néanmoins des conséquences néfastes chez les Indiens suite aux violences qui ont accompagné

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le travail des acteurs précités. L’on peut donc soutenir que la Vierge Marie et le culte marial ont été associés aux retombées (positives et négatives) des desseins des conquérants, des colonisateurs et des missionnaires. Dans un second niveau, l’étude a dévoilé que la démarche, empruntée par les premiers protagonistes, a été récupérée par d’autres, notamment les leaders des indépendances des pays de l’Amérique Latine. Eux aussi, à leur tour, ont placé leur lutte sous les auspices de la Vierge Marie et de la dévotion mariale. Ils ont posé des gestes soit pour eux-mêmes soit pour leurs patries au nom de la Vierge Marie.

Nous avons montré également comment, en dernier ressort et de nos jours, cette figure et son culte ont trouvé droit de cité au niveau de la base. Celle-ci, réunit au sein des communautés ecclésiales de base (CEB) ou d’autres lieux marials, prend conscience du visage prophétique que revêt la figure de la Vierge Marie en vue d’une libération.

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CHAPITRE DEUX

ANTHROPOLOGIE ET HERMÉNEUTIQUE DE LA

RÉFLEXION ET DES APPARITIONS MARIALES EN

AMÉRIQUE LATINE

2.1. L’anthropologie de la réflexion mariale en Amérique Latine.

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