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1.1. Aperçu historique de la théologie africaine contemporaine

1.1.1. Étapes essentielles de l’histoire de la théologie africaine

On admet généralement trois étapes dans l’histoire tumultueuse de la théologie africaine contemporaine : sa naissance qui comprend aussi bien quelques éléments précurseurs que

78 G. TCHONANG, « Brève histoire de la théologie africaine », dans Revue des sciences religieuses, vol. 84, 2,

2010, p.175-190.

79 A. KABASELE MUKENGE, « La théologie africaine à l’aube d’un nouveau siècle », voir le lien

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d'autres déterminants, notamment l’ouvrage collectif « Des prêtres noirs s’interrogent »80

(1956), la période où cette théologie se cherche avec les débats de principe (1960-1977), et le moment de son élaboration effective et de sa vulgarisation81 (1977-à nos jours). Décortiquons

chacune de ces étapes.

1.1.1.1. Naissance de la théologie africaine

On peut distinguer deux phases dans la naissance de la théologie africaine : les éléments annonciateurs, et sa naissance proprement dite. Parmi les éléments avant-coureurs, nombre d’auteurs voient, dans les mouvements d'idées qui ont précédé les indépendances africaines, les premiers pas qui ont annoncé l’aube des discours théologiques spécifiquement africains82. Parmi

ces mouvements, il y a avant tout, la négritude avec ses ténors : Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas qui se sont occupés principalement du problème de la destruction de la culture africaine, en pensant la négritude comme une confession de foi par rapport au destin de l’Afrique83. Ce mouvement, complexe, dénonce le colonialisme, rejette la

domination occidentale, et défend les valeurs noires et la prise de conscience par les nègres de leur situation84. On reconnaît à la négritude le mérite d’avoir laissé des traces dans la façon de

proclamer le message évangélique au continent noir, en incitant toute une génération à se retourner vers sa tradition propre85. La négritude, avec sa connotation politique et

80 COLLECTIF, Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Présences Africaines, 1956.

81 E. KAOBO SUMAIDI, Christologie africaine (1956-2000). Histoire et enjeux, col. Églises d’Afrique, Paris,

L’Harmattan, 2008, p.19.

82 Ibidem, p.20-21.

83 B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2008, p.49-56.

84 C. D’ALLISON, « Qu’est-ce que la négritude ? », voir le lien

http://www.unc.edu/depts/europe/francophone/negritude/fren/introduction.htm, consulté le 06/11/2014.

85 B. BUJO, J. ILUNGA MUNGA, Théologie africaine au XXIème siècle. Quelques figures, vol. I, Fribourg,

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anticolonialiste, sera suivie par d’autres penseurs qui ont critiqué les méthodes missionnaires. C’est le cas du camerounais Mongo Beti, dans son roman « Le pauvre Christ de Bomba86» où il

qualifie de façade le christianisme prêché par les missionnaires, d’étranger à la sensibilité et à la tradition africaines87.

L’action des auteurs qu’on qualifierait de « profanes », c’est-à-dire de non-théologiens, sera prolongée par des théologiens et des théologiennes qui ont commencé à remettre en question la théologie que les missionnaires leur transmettaient. Dans cette optique, on considère le missionnaire belge Placide Tempels comme le premier théologien à avoir amorcé un tournant théologique capital avec l’apparition de son ouvrage « La philosophie bantoue »88. Cet ouvrage

est le premier à reconnaître à un peuple africain, les Baluba du Congo, un « système philosophique développé »89. Ce qui crée une rupture au regard de la connotation hellénistique

dans laquelle on avait enfermé jusque-là la philosophie. Tempels a préconisé l'idée qu’il fallait comprendre correctement l’héritage culturel africain, si l’on voulait proclamer l’Évangile en profondeur dans le contexte de ce continent. En analysant les éléments fondamentaux de la tradition africaine, il est parvenu à décortiquer les structures de la pensée et de la religion des noirs90.

Parlant de la phase qui a réellement vu naître la théologie africaine, les historiens et les historiennes de la théologie africaine reconnaissent dans l’ouvrage collectif « Des prêtres noirs s’interrogent » son acte de naissance,91 ainsi que le « premier témoignage d'une prise de

86 MONGO BETI, Le pauvre Christ de Bomba, Paris, Présence africaine, 1956. 87 B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, op.cit., p.49-56.

88 P. TEMPELS, La philosophie bantoue, Paris, Présence africaine, 1956.

89 B. SOULEYMANE DIAGNE, « Revisiter la Philosophie bantoue. L’idée d’une grammaire philosophique »,

dans Politique africaine, n°77, mars 2000, p.44.

90 B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, op.cit., p. 56-59.

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conscience collective et d'un engagement apostolique commun, à partir des préoccupations spécifiques communes aux Africains »92. Cette œuvre commune, de treize prêtres noirs

(africains et haïtiens) trentenaires d’âge, a permis à ceux-ci de se prononcer sur la foi chrétienne qui leur avait été enseignée. Ces prêtres ont considéré d’abord que le christianisme, tel qu’il leur a été transmis dans le système de pensée occidentale, n’a pas tenu compte de la culture et de la dignité des nègres qui en étaient les destinataires. En s’opposant à la manière dont les missionnaires européens ont transmis la foi, ces premiers théologiens ont cherché des traditions religieuses et culturelles africaines pour comprendre et expliquer la foi chrétienne93.

Malgré certaines limites, ces théologiens et théologiennes africains de première génération ont posé le fondement de la théologie proprement africaine qui aura un impact immense sur l’avenir du christianisme en Afrique noire94.

1.1.1.2. Débats de principe sur la théologie africaine (1960-1977)

La véritable discussion systématique sur la possibilité d’une théologie africaine a commencé dans un cadre universitaire vers les années 1960. Elle opposait un groupe d’étudiants (dont Tharcisse Tshibangu) du « Cercle Théologique » de la faculté de théologie catholique de l’Université Lovanium de Kinshasa à leur professeur, Alfred Vanneste95. Deux positions

s’affrontaient dans ce débat. D’abord celle des étudiants qui soutenaient la possibilité théorique d’avoir une théologie de couleur africaine. Ces étudiants, dont Tharcisse Tshibangu, affirmaient

92 T. NDJATE, De la logique de l'existence négro-africaine à l'appel du mystère chrétien pour une exploitation

théologique du concept tetela, Tübingen, Katholisch Theologische Fakultat, 1984, p.68.

93 E. KAOBO SUMAIDI, Christologie africaine (1956-2000). Histoire et enjeux, op.cit., p.21-23. 94 B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, op.cit., p.60-64.

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que dans la culture africaine, il existe un système de pensée propre aux Africains et aux Africaines, utilisable, dans une certaine mesure, comme « pierres d’attente »96 théologique

pouvant servir de base à une compréhension de la révélation chrétienne. D’où il ressort qu'« une théologie de couleur africaine paraît possible »97 toujours selon Tshibangu. Cette africanisation,

d’après lui, concernerait à la fois la hiérarchie ecclésiale, les dirigeants laïques, les structures paroissiales et pastorales, les rites liturgiques et paraliturgiques, et enfin de compte « l’esprit même du christianisme »98.

Dans la deuxième position, Alfred Vanneste, tout en défendant sa conception d’une « vraie théologie »99, se fit l'avocat d’une "théologisation" capable de valoir dans toutes les cultures et

pour toutes les races, si l’on tient en particulier le christianisme comme une religion universelle. Il montre sa sensibilité au fait que la théologie, comme les autres disciplines, a vocation de rester universelle. Pour lui, la tâche la plus urgente de la théologie en Afrique est celle de s’efforcer avant tout « d’être une vraie théologie et de prendre part à la vie théologique universelle »100.

Ce débat s’est enrichi grâce à plusieurs autres discussions, notamment la position de Stunder101,

celle de la quatrième Semaine Théologique de Kinshasa en 1968102, celle d’autres productions

théologiques africaines et surtout grâce à l’apport du Concile Vatican II. En effet, l’ouverture

96 Il se développera par la suite tout un courant de la théologie « des pierres d’attente ». Celle-ci exprime, selon

Francis Appiah Kubi, l’exigence de trouver des points d’insertion de l’annonce chrétienne, des pierres d’attente, dans les croyances africaines, des rites, des symboles, des gestes, des institutions traditionnelles africaines éventuellement compatibles avec les données de la foi chrétienne. Cela, afin de donner au christianisme un visage africain. F. APPIAH KUBI, Église, famille de Dieu. Un chemin pour les Églises d’Afrique, col. Chrétiens en liberté/Questions disputées, Paris, Karthala, 2008, p.59.

97 T. TSHIBANGU, « Vers une théologie de couleur africaine ? », dans RCA, t.5, 4, 1960, p.344.

98 B. BUJO, J. ILUNGA MUYA, Théologie africaine au XXIème siècle : quelques figures, op.cit., p.173-184. 99 A. VANNESTE, « D’abord une vraie théologie », dans RCA, t.5, 4,1960, p.346.

100 B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, op.cit., p.60-64.

101 B. STUNDER, « Encore la théologie africaine », dans RCA, t.6, 2, 1961, p.105-129.

102 V. MULAGO, « Le problème de théologie africaine revu à la lumière de Vatican II », dans Renouveau de

l’Église et nouvelles Églises. Actes de la IVème Semaine Théologique de Kinshasa, Kinshasa, FTCK, 1968, p.115-

152. Voir aussi A. VANNESTE, « Dans quel sens faut-il parler de la théologie africaine ? », dans RTA, t.5 1968, p.487-523.

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du Concile aux autres religions va permettre d’étudier de façon moins apologétique les Religions traditionnelles africaines, aussi bien du côté catholique que protestant103. Ces religions seront

vues comme sources de la culture africaine ou partenaires indispensables du dialogue avec le christianisme104.

1.1.1.3. De l’élaboration effective de la théologie africaine à sa maturation (1977- à nos jours)

Après avoir cherché sa légitimation, cette théologie est entrée dans sa phase d’élaboration effective. Deux périodes peuvent être distinguées ici : celle qui va de la fin du colloque d’Accra jusqu’à l’annonce du Synode sur l’Afrique (1978-1989), et celle de la poursuite des réflexions théologiques postsynodales (1989- à nos jours). Le colloque d’Accra (1977) sera à l’origine de la création de l’Association œcuménique des théologiens africains (AOTA) dont le moyen d’expression sera le Bulletin de théologie africaine (BTA). Ce colloque va déterminer les grandes orientations à suivre pour l’élaboration d’un travail théologique africain. Parmi ces orientations, on peut noter la perspective œcuménique, inculturée et libératrice105. Il va souligner cinq sources de la théologie africaine, en l’occurrence la Bible et

l’héritage chrétien, les religions traditionnelles, l’anthropologie africaine, les Églises indépendantes et les autres réalités africaines. L’une des préoccupations majeures de cette rencontre sera l’émergence des théologiens et théologiennes africains. Ce colloque ainsi que la

103 E. KAOBO SUMAIDI, Christologie africaine (1956-2000). Histoire et enjeux, op.cit., p. 27-29.

104 V. MULAGO, « La conception de Dieu dans la tradition bantu », dans RCA, t. 22, 1967, p.272-299 ; voir aussi

P. KANYAMA CHUMBI, « Réflexion théologique sur la religion de nos ancêtres », dans RCA, t. 24, 1969, p.421- 455 ; O. BIMWENI KWESHI, « Le Dieu de nos ancêtres », dans RCA, t.28, 1970, p.137-151.

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thèse du théologien congolais Oscar Bimwenyi Kweshi106 ont permis de mettre fin au débat sur

la possibilité d’une théologie africaine107.

Les intuitions du colloque d’Accra seront davantage approfondies par des évêques, des prêtres, des personnes consacrées, des théologiens et théologiennes et des laïcs lors de la convocation de l’Assemblée Spéciale du Synode africain (1989) dont la tâche principale sera de faire une évaluation de l’évangélisation en Afrique108.

Outre la culture qui a pris un grand espace dans les réflexions théologiques africaines durant les années 60 et 70, les problèmes sociaux et politiques s’invitent dans le champ de la théologie africaine. Des voix s’élèvent, en effet, pour dénoncer les pièges d’une certaine démarche théologique qui n’a pour point de départ que la culture et qui ignore les autres problèmes sociaux du continent africain109.

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