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1.2. Marie en Amérique Latine : de la période des indépendances à nos jours

1.2.2. De l'établissement des oligarchies nationales (1825) jusqu'à nos jours

D’après George Couffinal, on peut distinguer quatre étapes dans le cheminement historique des pays de l’Amérique Latine après la période des indépendances. La première période est celle des États oligarchique et clientéliste qui se sont construits au 19ème siècle puis

339 C. BOFF, Mariologia sociale. Il significato delia vergine per la societa, op.cit., p.244. 340 Ibidem, p.245.

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durant une grande partie du 20ème siècle. La deuxième, celle des États protecteurs et

développementalistes, va des années 1930 jusqu’à la fin des années 1970. Le troisième moment concerne les États minimaux. Ceux-ci apparaissent dans les deux dernières décennies du 20ème

siècle. Et enfin les États régulateurs qui cherchent à se redéfinir au 21ème siècle avec de nouveaux

modes d’intervention, plus diversifiés et moins directs qu’autrefois, afin de répondre à des demandes inédites342.

Durant les quatre étapes après l'indépendance politique dans les différents pays de l'Amérique latine, la dévotion à Marie s'est développée en différentes directions, selon les adhérents et selon les organisateurs du développement d'une dévotion particulière. Celle-ci s'est exprimée dans la poursuite des besoins des adhérents et dans la défense de leurs intérêts. Les différents dirigeants ont continué à consacrer leur pays à la Vierge. Les petits dirigeants, civils et militaires, exprimaient généralement leur dévotion de façon à être vus par le peuple afin de gagner des votes. Ils ont donc utilisé l'image de Marie pour leurs intérêts individuels343.

Illustrons ce qui précède par des cas pris à travers certains pays notamment le Mexique, l’Argentine et la Colombie.

Au Mexique

Dans ce pays, durant la période de la révolution paysanne de 1910 à 1920, conduite par les généraux populaires Pancho Villa et Emiliano Zapata, le symbolisme guadalupéen fut repris : les paysans portaient sur les sombreros et sur les étendards l’image de la Morenita344. Pendant

342 G. COUFFIGNAL, « Amérique Latine : surprenant retour de l’État », voir le lien,

http://www.diploweb.com/Amerique-latine-le-surprenant.html , consulté le 26 février 2015. Lire aussi F.

CHEVALIER, L’Amérique Latine de l’indépendance à nos jours, col. L’histoire et ses problèmes, Paris, PUF, 1993, p.81-129.

343 I. GEBARA, M.-C. BINGEMER, Mary, Mother of God, Mother of the Poor, op.cit., p.135-144. 344 C’est la Vierge de Guadalupe qui est apparue à Juan Diego au Mexique en 1531.

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la période la plus féroce de la persécution anticléricale, dans les années 1926-1929, Elias Calles ordonna la fermeture de toutes les églises, avec la seule exception du sanctuaire de Guadalupe. De même lors de l’éclatement de l’insurrection des Cristeros, le cri de guerre sera « Vive Christ Roi » « Vive la Vierge de Guadalupe ». Au sommet de la répression religieuse en 1927, plus de deux cent mille personnes, en la fête de Christ Roi, se dirigèrent aux sanctuaires de Tepeyac, en acclamant le Christ et la Vierge345.

Après la révolution, soutient Hall346, l'État mexicain continua à se consolider en poussant plus

loin la Vierge de Guadalupe dans l'établissement de son symbole national et de sa position internationale. Ainsi en 1945, Pie XII parlait d'elle comme étant « la noble Mère indienne de Dieu » et comme « la Reine du Mexique et l'Impératrice des Amériques ». Cette reconnaissance par Rome n'a pas seulement renforcé son culte, mais aussi la fierté nationale mexicaine. La dévotion à la Guadalupe s'est répandue bien au-delà du Mexique, jusqu'aux États-Unis, en Amérique centrale, et en Europe.

En Argentine

En Argentine, le symbole politique de la Vierge de Lujan émergea fortement au 20e

siècle. Sa dévotion servit la politique de ce pays sur le plan des objectifs de l'unité nationale et de la cohésion comme le symbole de Copacabana en Bolivie et de la Guadalupe au Mexique. En fait, pour donner un sens de la nation, ces pays utilisaient un « langage sacré », des signes et des symboles centrés sur la dévotion à la Vierge, plutôt que sur un « texte écrit ». La Vierge de

345 C. BOFF, Mariologia sociale. il significato delia vergine per la societa, op.cit., p.248.

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Lujan, qui reçut le couronnement pontifical vers la fin du 19ème siècle, fut proclamée patronne

de l’Argentine, du Paraguay et de l’Uruguay en 1930 et son culte fut clairement associé à l’État argentin347.

Par ailleurs, en juin 1943, lors du coup d’état militaire, le général Rawson qui remplaça le président, organisa rapidement des cérémonies nommant Notre-Dame de Lujan patronne du pays. Le rôle de la Vierge de Lujan dans cette mission de centralisation et d'homogénéisation fut intensifié après le coup militaire. À ce moment, plusieurs officiers du gouvernement au pouvoir étaient des prêtres et de dévots laïcs catholiques. Juan Peron, qui deviendrait bientôt président de l'Argentine, insistait sur le lien entre « l'Évangile et l'épée ». Tout était dédié à la Vierge de Lujan : la police fédérale, les autoroutes, les chemins de fer, le Conseil national de l'Éducation, etc. On fit le lien entre la Vierge de Lujan et les héros historiques de l'Argentine. Après sa chute, en 1955, l'État d'Argentine renouvela son insistance pour la dévotion à la Vierge de Lujan et sa statue commença à apparaître dans les stations de police. Elle continuait à être associée au monde militaire. En 1960, le catholicisme était dans un processus de libéralisation, avec de nouvelles tendances dans plusieurs directions, incluant un plus grand activisme social. Le mouvement militaire répressif dont l'Argentine souffrit entre 1976 et 1983 continuait de promouvoir la dévotion à la Vierge de Lujan dans un effort de centralisation et d'homogénéisation348.

En Colombie et dans d’autres nations

Les traces de ce qui a été vécu dans les deux pays précités se retrouvent aussi en Colombie. Dans ce pays, argumente Pacheco, la Vierge fut présente dans la vie politique durant la période

347 Ibidem, p.169-206. 348 Idem.

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républicaine. Déjà au congrès de Cucuta (1821) qui donna la première Constitution au pays, depuis l’indépendance, un des députés demanda que la République constituée soit mise sous la protection spéciale de la Mère de Dieu. Durant cette période, l’auteur cite quelques généraux comme exemples de dévotion mariale. Parmi ceux-ci, il y a José Maria Obando qui portait toujours son scapulaire et avait même fait placer en son cabinet présidentiel une image de Notre Dame de la Luz. Il y a aussi Mosquera qui invoquait fréquemment la Vierge du Rosaire dans ses derniers jours. La Vierge Marie se serait manifestée aussi fréquemment durant cette période surtout pendant les guerres civiles349.

Quoi qu'il en soit, affirment Ivone Gebara et Maria Clara Bingemer, Marie a été la mère et la grande compagne de bien des luttes en Amérique latine. Beaucoup de mouvements de paysans du Brésil, de la Bolivie et du Pérou ont été stimulés par l'amour des gens pour la Vierge, qui luttait avec eux pour la libération. Un exemple important est la dévotion à La Purissima (l'Immaculée-Conception) au Nicaragua, quand les Sandinistes luttaient contre le régime Samoza. Il s’agissait clairement d’une expression de la foi du peuple et de leur attachement à Marie et, en de nombreuses régions du Nicaragua, une telle dévotion a donné de la force au peuple. Au Salvador, le même amour des gens pour Marie a conduit l'archevêque Oscar Romero à dire, « le vrai hommage qu'un chrétien peut rendre à la Vierge est, comme elle, de faire un effort pour incarner l'amour de Dieu dans les épreuves de notre histoire temporelle ». Cette incarnation s'est produite en beaucoup d'endroits en Amérique latine350.

349 J.M. PACHECO, « La dévotion mariale en Colombie », op.cit., p.409-416.

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