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3.3. La portée libératrice des dogmes marials en Amérique Latine

3.3.1. La maternité mariale et sa charge libératrice

La charge libératrice de la maternité mariale se découvre à travers ses fonctions. Cependant, pour mieux les appréhender, Antonio Gonzalez Dorado pense qu’il faut d’abord

403 Ibidem, p.133.

404 PUEBLA, Construire une civilisation de l’amour. Document final de la conférence générale de l’épiscopat

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situer le rôle de la maternité et de la famille dans un contexte machiste et oppressif. Pour lui, dans un environnement caractérisé par le machisme405 et par l’oppression406, la maternité et la

famille, interprétées dans la relation mère-fils ou fille, constituent une valeur apparemment positive. Ici la mère est le symbole du foyer, le giron amoureux et patient, dans lequel peuvent se retrouver toutes les vertus familiales. Elle incarne la fidélité, l’honnêteté en tous ses aspects, l’économie, l’ordre, le soin et l’attention. Face à la violence machiste et oppressive, la mère est celle qui finit généralement par comprendre et par pardonner aux enfants. Pour cet auteur, il est évident que la maternité vécue par les enfants dans une ambiance machiste et oppressive tend à l’idéalisation de la mère, pour qui on réserve dans son cœur une place extraordinaire, et en qui on reconnaît une autorité et des pouvoirs presque tout-puissants. La mère est aussi le refuge, l’auxiliatrice et l’aide. Elle est le refuge assuré pour celui qui est poursuivi, celui qui est vaincu et blessé407.

La pensée de Gonzalez Dorado contient une sorte d’idéalisation de la maternité. Une telle glorification peut avoir des conséquences sur la vie des femmes qui, selon Dominique Damant et Simon Lapierre, peuvent subir une grande pression pour qu’elles se conforment à cette image

405 Pour ce qui est du machisme en Amérique Latine, on peut lire E. STEVENS, « Marianismo : the Other Face of

Machismo in Latin America », dans A. Pescatello, Female and Male in Latin America, University of Pittsburg Press, 1973, p.89-101, cité par VIVEROS VIGOYA MARA, « Jusqu'à un certain point, ou la spécificité de la domination masculine en Amérique latine », dans Mouvements 1/2004(n°31),p.56-63 URL : www.cairn.info/revue- mouvements-2004-1-page-56.htm.

Voir aussi N. FULLER, « Reflexiones sobre el machismo en América Latina », dans T. Valdes y J. Olavaria (eds.),

Masculinidades y equidad de género en América latina, FLACSO/UNFPA, 1998, p. 258-268.

406 Au sujet de l’oppression en Amérique Latine, on peut se référer à G. GUTIÉRREZ, Dieu ou l’or des Indes

occidentales. Las Casas et la conscience chrétienne (1492-1992), col. « Théologies », Paris, Cerf, 1992, O.

DABÈNE, La région Amérique Latine. Indépendance et changement politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p.31ss, lire aussi F. AUBÈS, M.-M. GLADIEU, S. RUTÉS, Pouvoir et violence en Amérique Latine, col. Dictat espagnol, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p.11-16.

407 A. GONZÁLEZ DORADO, De María conquistadora a María liberadora. Mariología popular

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idéalisée408. Francine Descarries abonde dans le même sens et pense que le danger d’une telle

idéalisation est que la maternité se voit comme l’unique horizon des femmes et leur seule voie de réalisation. Pour elle, qui reprend certaines idées des mouvements des femmes des années 1970, il convient de privilégier les dimensions sociales de la maternité, le droit à la maternité volontaire, voire le droit d'exister sans être mère409.

En Amérique Latine, cette place accordée à la maternité a fait attribuer à la maternité mariale un rôle unitif. Cette fonction est visible dans les grandes célébrations festives de la Vierge où le peuple reconnaît que tous les fils et toutes les filles ont le droit d’entrer dans le sanctuaire et dans la fête, au-delà des différences politiques et sociales dans lesquelles ils peuvent être compromis, même mortellement. La mère de Jésus les réunit tous et toutes. Et en même temps, Marie acquiert la symbolisation de toute la collectivité, que ce soit d’un minuscule village ou d’une grande nation. En ces moments, Marie les réunit et les représente tous et toutes, au-delà de tout type de différences410. Ce pouvoir de réunion et de représentation des fils et filles que

possède la maternité de Marie, tel que perçu par le peuple latino-américain, uni à sa miséricorde et à sa force auxiliatrice, explique la foi des gens en la présence de la Vierge dans les moments de catastrophes collectives411.

408 D. DAMANT, S. LAPIERRE, « L’institution de la maternité », dans S. LAPIERRE, D. DAMANT (dir.),

Regards critiques sur la maternité dans divers contextes sociaux, Québec, Presse de l’Université du Québec, 2002,

p.8.

409 F. DESCARRIES, « La maternité au cœur des débats féministes », dans F. DESCARRIES, C. CORBEIL (dir.),

Espaces et temps de la maternité, Montréal, Les Éditions Remue-Ménage, p.23-50.

410A. GONZÁLEZ DORADO, De María conquistadora a María liberadora. Mariología popular latinoamericana,

op.cit., p. 85-86.

411D. MANUEL, Sermon predicado en el Templo de Capuchinas, cerca de la Colegiata de Nuestra Senora de Guadalupe, el dia 2 de julio, en la solemne funcion que celebro la Diocesis de Queretaro, con motivo de su novena peregrinacion, Queretaro, 1894, Imprenta de la Escuela de Artes, p.13, cité par A.DE FRAISSINETTE, « La Vierge

de Guadalupe et la formation de l’identité nationale mexicaine », voir le lien

http://www.sfem.free.fr/docs/conferences/conferences_2008/2008LourdesA_de_Fraissinette_PAMI.html Consulté

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Finalement, la maternité mariale joue une fonction émancipatrice qui se voit à travers les relations affectives et filiales qui existent entre la population latino-américaine et « Notre -Dame ». Ces relations concernent avant tout les opprimés – d’abord afro-américains et amérindiens, ensuite autochtones et métis. Marie devenant Mère des Opprimés, et Mère incorporée à leur famille, supporte-t-elle aussi les conséquences de l’oppression412.

Pour les personnes opprimées en Amérique Latine, la mère de Jésus est leur sécurité, leur consolation et leur espérance ; car ils pressentent en elle une capacité d’aide et même un déchaînement d’énergies libératrices insoupçonnées. La maternité est un témoignage d’amour et de vie, l’espoir de recevoir aide et libération. En effet, le peuple, s’il prend conscience de sa nouvelle situation d’« oppression-libération », tout en gardant sa foi, tendra spontanément vers la découverte de la Vierge comme « Notre Mère Libératrice »413, l’associant à son projet de

libération.

3.3.2. L’Assomption et l’Immaculée Conception comme couronnement de la

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