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réflexion mariale en Amérique Latine. Ses caractéristiques se (dévoilent) réalisent en termes de passage. Nous en retenons à ce niveau trois pour ce chapitre et réservons les deux autres à l’anthropologie féministe de la réflexion mariale.

2.1.1. De l’anthropologie dualiste vers l’anthropologie unificatrice

Cette vision veut éliminer le dualisme entre l’esprit et la matière, héritée de la pensée grecque, pour affirmer l’unité profonde de l’être humain à la fois matériel et spirituel. L'anthropologie unificatrice cherche à affirmer l'existence d'une seule histoire humaine et ne présente pas deux histoires côte à côte comme s'il y avait une histoire divine et une histoire humaine. Elle part de cette histoire avec ses réalités (bonnes ou mauvaises)366. Pour la théologie

mariale, les fondements de la théologie unificatrice restaurent le réalisme de l'existence humaine et l’amènent à entrer profondément dans le mystère de l'Incarnation. Concrètement en Amérique

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Latine, l’anthropologie unificatrice permet à la théologie mariale de se construire à partir des expériences quotidiennes du peuple, expériences faites de l'espace et du temps, de la vie et de la mort, de la joie et de la peine, de la construction et de la démolition et, en fin de compte, du conflit inhérent dans notre être et dans notre histoire367.

2.1.2. De l’anthropologie idéaliste à l’anthropologie réaliste

Cette anthropologie s’oppose à la conception idéaliste qui prétend que la vérité des êtres humains ne se trouve pas dans l'histoire, mais dans un monde au-delà de l'histoire. Cette dernière postule que l'histoire n'est qu'une transition, qu’un intervalle, peut-être un "vallée de larmes", qui prépare la manifestation de la vraie vie humaine. Une telle prise de position a de sérieuses conséquences pour l'histoire. Elle conduit à la domination par les minorités qui croient que les cieux les ont destinées à un rôle de guides de l'histoire et conduit à une sorte de soumission de la part des masses qui forment la majorité. Du point de vue idéaliste, seules les qualités supra- humaines, les vertus dignes d'imitation, la capacité pour une affection et un amour illimités sont perçues en Marie. Cette attitude ne se permet pas la moindre pensée critique afin de garder intacte leur image idéale de Marie.

Par contre, l’anthropologie réaliste tient compte de l’objectivité et de la subjectivité. Elle ne prétend pas être purement objective et idéaliste. Elle assume la possibilité d’une multiplicité d’interprétations, d’hypothèses et de théories sur plusieurs faits divers. Cette anthropologie donne à la mariologie un appui concret permettant de répondre à la réalité changeante de l’existence humaine. Elle permet aussi une nouvelle compréhension de la figure de Marie qui

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doit toujours entrer en dialogue avec le temps, l’espace, la culture, les problèmes, les personnes réelles qui sont en relation avec elle. C’est la vie d’aujourd’hui qui donne vie à la vie d’hier de Marie368.

2.1.3. De l’anthropologie unidimensionnelle vers l’anthropologie

pluridimensionnelle

Ce passage permet de quitter la vision qui présente les êtres humains et Dieu complètement différents et statiques pour aller vers celle qui considère les différentes dimensions de l’humanité selon son évolution dans l’histoire et les innombrables éléments qui l’ont marquée. En d’autres termes, l’anthropologie pluridimensionnelle tient compte de différentes dimensions de l’être humain, de son évolution historique influencée par différents facteurs : espace, temps, etc. La théologie mariale trouve dans cette anthropologie un fondement humain/divin qui lui permet d’observer avec justesse et profond respect, le phénomène humain, constructeur de l’histoire, créé et aimé par Dieu. Elle découvre également la possibilité d’élaborer une mariologie dans laquelle les différents aspects en relation avec Marie peuvent apparaître sans que l’un n’exclut l’autre369.

368 I. GEBARA, M.-C. BINGEMER, « Maria », op.cit., p.602, Idem, Mary, Mother of God, Mother of the Poor,

op.cit., p.6-8.

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2.2. Facteurs orientant l’herméneutique de la théologie mariale en

Amérique Latine

La réflexion mariale en lien avec la situation sociale se situe d’abord dans la lignée de la conférence de Medellin (1968) dont le thème principal porte sur « l’Église dans la transformation actuelle de l’Amérique Latine »370. Cette conférence a scruté les signes des temps

au sein de la réalité latino-américaine et y a réfléchi à la lumière de la Révélation et des orientations du Concile Vatican II. Elle a fait état de la situation précise de ce continent en dénonçant la pauvreté déshumanisante des masses, le sous-développement et les profondes inégalités sociales…Ainsi elle a mis en exergue des thèmes qui expriment la réalité de ce continent : la pauvreté, la justice, la paix, la pastorale d’ensemble…

Les conclusions de Medellin vont rimer avec la naissance de la théologie de la libération et avec les intuitions de la conférence de Puebla (1979). La théologie de la libération, se propose, en fait, de relire tout le mystère de la foi chrétienne dans une perspective libératrice. Clairement, la mariologie s'insère à l'intérieur de ce mystère de la foi371. Quant à la conférence de Puebla, elle

s’est ouverte à la dimension sociale de la dévotion mariale et, en certains cas, l'a approfondie. Le document final de Puebla déclare que le Magnificat est « le miroir de Marie », et le « point culminant » de la spiritualité des anawim et du mouvement prophétique en Israël (n° 297). Pour les évêques latino-américains, Marie est, en fin de compte, « le point définitif et le plus haut point de toute libération » (n° 333). Les prélats catholiques latino-américains ont insisté sur le

370 CONFÉRENCE GÉNÉRALE DE L’ÉPISCOPAT LATINO-AMÉRICAIN, L’Église dans la transformation

actuelle de l’Amérique Latine. Conclusion de Medellin, col. Documents des églises, Paris, Cerf, 1992.

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rôle « libre », « actif », et « créatif » de Marie dans l'histoire du salut, lui ont donné le titre de « grande protagoniste de l'histoire » (n° 293)372.

Partant de ce qui précède, l’herméneutique qui oriente la réflexion mariale est conditionnée par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, Ivone Gebara et Maria Clara Bingemer mentionnent l’oppression, la souffrance et d’autres fléaux qui marquent leur continent373. Yves Carrier,

analysant les homélies de Mgr Oscar Romero, montre que ce dernier compare les conditions de marginalité de la majorité des latino-américains à celles qu’a connues la Vierge Marie à travers la pauvreté, la souffrance, la fuite et l’exil. Sa révélation au plus pauvre est une indication à l’Église pour comprendre que le salut/libération doit passer par les pauvres, par leur accompagnement et le support constant de leur éducation et de leur développement.374

Outre ce qui précède, l’herméneutique de la théologie mariale prend en compte deux réalités : l’importance de ce qui n’est pas dit sur Marie dans le Nouveau Testament et la notion du royaume de Dieu pour parler de la mariologie. La première réalité prend pour présupposés qu’en dehors de ce qui est écrit sur Marie dans le Nouveau Testament, chaque époque se fait une image de Marie et de son action passée et présente. Cela écarte l’idée de soutenir que l’unique vérité sur Marie se trouve dans le peu que nous disent les textes néotestamentaires d’autant plus que ce qui n’est pas dit est aussi important que ce qui est dit. Et ce qui ne s’est pas dit ne veut pas dire que cela ne s’est pas réalisé375.

La prise en compte du concept de règne de Dieu dans la réflexion qui guide la théologie mariale dans la perspective de la libération est très importante. Son application va au-delà de la personne

372C. BOFF, « Toward a Social Mariology », dans D. IRARRAZABAL, S. ROSS, M.-T. WACKER (dir.), The

Many Faces of Mary, dans Concilium, vol.4, Long Lane, London, SCM Press, 2008, p.45-55.

373 I. GEBARA, M.-C. BINGEMER, Mary, Mother of God, Mother of the Poor, op.cit., p.30-32.

374 Y. CARRIER, Les exigences historiques du salut-libération. Analyse thématique des homélies de Mgr Oscar A. Romero, 1977-1980, op.cit., p. 195-208.

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de Jésus et affecte la totalité de son mouvement auquel participent tous les hommes et toutes les femmes d’une manière active. La prise en compte de ce mouvement permet alors de lire les faits de la vie de Marie à la lumière des différentes images qui parlent du règne de Dieu dans les Écritures. Elle (Marie) parle de Dieu et de son règne et de la divinité vécue par la femme ; elle parle du Fils de Dieu qui nait du peuple et de la femme ; elle parle de nombreux fils engendrés par l’Esprit de Dieu, qui ne naitront de la chair, ni du désir de l’homme, sinon de Dieu.

Une théologie mariale dans la perspective du règne de Dieu permet de découvrir aussi la « passion de Marie » pour les pauvres, « passion » pour la justice de Dieu, et avec elle, permet de récupérer la force de l’Esprit agissant chez les femmes de toutes les époques. Elle permet de récupérer la « mémoire dangereuse » ou subversive capable de changer les choses, de faire naître et croitre une solidarité universelle entre les femmes du passé, du présent et du futur. Dans cette perspective, Marie n’est pas seulement la charmante et douce mère de Jésus, elle est, plutôt, une travailleuse du règne de Dieu, membre active du mouvement des pauvres376.

2.3. Interprétation des apparitions mariales en Amérique Latine

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