• Aucun résultat trouvé

L’herméneutique faite des dogmes marials en Amérique Latine montre que certains d’entre eux participent à l’élaboration d’une nouvelle anthropologie. C’est le cas de la maternité, de la virginité et de l’Assomption. Élucidons comment chacun d’eux prend part à cette élaboration.

3.2.1. La maternité mariale comme objet de la nouvelle anthropologie

Les points de départ de la participation de la maternité mariale dans l’élaboration d’une nouvelle anthropologie en Amérique Latine sont les déclarations des Conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451) qui mettent en avant-plan deux mystères : le mystère de la Theotokos

147

(Mère de Dieu) et celui de l’union de deux natures, humaine et divine, dans l’unique sujet qu’est le Verbe Incarné. La nouvelle vision anthropologique, qui ressort dans le fait de reconnaître Marie comme Mère d’un Fils qui a deux natures, est profondément intégrée et unitaire. Le mystère de l’incarnation de Jésus, Fils de Dieu, en Marie de Nazareth nous enseigne que la personne humaine n’est pas bipartite entre un corps de matière et d’imperfection et un esprit de grandeur et de transcendance. Au contraire c’est seulement dans la fragilité, dans la pauvreté, dans les limites de la chair humaine que l’on peut expérimenter et adorer la grandeur de l’Esprit392. Dieu a assumé l’histoire humaine de l’intérieur, vivant lui-même ses luttes et ses

triomphes, ses défaites et ses victoires, ses insécurités et ses joies. Marie est figure et symbole du peuple qui croit et qui expérimente cette venue de Dieu qui maintenant appartient à la race humaine393.

3.2.2. La virginité mariale et son apport à la nouvelle anthropologie

Pour comprendre la façon dont la virginité mariale contribue à la mise en œuvre d’une autre anthropologie, Ivone Gebara et Maria Clara Bingemer proposent d’abord de la libérer de tout réductionnisme biologique et psychologique. Parce que pensent-elles,

en toute certitude, les évangiles ne veulent pas nous donner une description détaillée, pour satisfaire notre curiosité malsaine, sur les particularités génétiques et biologiques qui entourent la conception et la naissance de Jésus. Mais ils veulent, en consonance avec tout l’ensemble de leurs récits, mettre sous nos yeux un signe qui interpelle notre foi, échappant à notre compréhension394.

392 I.GEBARA, M.-C. BINGEMER, Maria, Mujer profética, op.cit., p.50-51, voir aussi Maria, Mujer profética.

Ensayo teologico a partir de la mujer y de América Latina, op.cit., p.112-113

393 Ibidem, « Maria », op.cit., p.609.

394I.GEBARA, M.-C. BINGEMER, Maria, Mujer profética, op.cit., p. 52, Maria, Mujer profética. Ensayo

148

Ainsi affranchie de toute simplification exagérée, la virginité de Marie illumine la question anthropologique dans la mesure où elle présente une pluralité des valeurs. Parmi celles-ci, Clodovis Boff mentionne l’autonomie psychologique et spirituelle d'une personne, l’affirmation de la liberté humaine face à l'esclavage de la chair, la relativisation du sexe en vue d'un amour- agapè et d'une fécondité métabiologique; le témoignage du Spiritus creator, qui peut tirer la vie de l'impuissance humaine; l’incorruptibilité éthique en politique; et, finalement, un appel écologique dans le sens de prendre soin de l'intégrité de la création, évitant toute forme de violation395.

Outre ce qui précède, du point de vue de l’anthropologie théologique, la virginité de Marie renvoie à une profonde expérience vitale, celle d’indiquer l’identité de l’être humain devant Dieu. Ainsi la créature humaine apparait « comme un terrain vierge et inexploré où tout peut arriver »396. Et tout ce qui pourra arriver devra amener cette créature humaine là où Marie est

arrivée : à porter, modelé dans ses entrailles, Dieu lui-même. La virginité de Marie fécondée par l’Esprit du Très-Haut correspond à la vocation de tout être humain, appelé à être « revêtu de la force du Très-Haut » (Lc 24,49), « conformé avec le Christ » (Phil 3,10), « temple de l’Esprit Saint » (1 Cor 6,19)397.

395 C. BOFF, « Toward a Social Mariology », op.cit., p.45-55.

396 I. GEBARA, M-C. BINGEMER, « Maria », op.cit., p.610, Maria, Mujer profética. Ensayo teologico a partir

de la mujer y de América Latina, op.cit., p.115-122

397 Idem, Maria, Mujer profética, op.cit., p.53, Maria, Mujer profética. Ensayo teologico a partir de la mujer y de

149

3.2.3. L’Assomption et son éclairage à la nouvelle anthropologie

Comme pour les dogmes précédents, l’Assomption, elle aussi, éclaire la question anthropologique. Elle le fait à partir de la portée capitale de l’expression « corps et âme » contenue dans le texte de la définition de ce dogme. En effet, ce texte déclare que « l’immaculée mère de Dieu, toujours Vierge, après le cours de sa vie terrestre, fut élevée en corps et en âme à la gloire céleste »398. Cette expression montre que le sujet de l’Assomption n’est pas le corps ou

l’âme de Marie de Nazareth, mais Marie dans la totalité de son être humain399. La glorification

de Marie est totalisante et complète, y compris « son enracinement terrestre, son poids matériel et charnel, sa relation cosmique et historique »400.

Cette réalité nous met en face de l’anthropologie subjacente au texte, qui se présente en dépassant le dualisme tant de fois présent dans la mariologie traditionnelle401, mais aussi celui

entre l’esprit et la matière héritée de la pensée hellénistique. Contrairement à la mariologie traditionnelle, Marie n’est pas vue par la constitution apostolique comme une âme provisoirement enveloppée d’un corps de mort, mais comme une personne, un corps animé par le souffle divin, pénétré par la grâce de Dieu jusqu’en ses derniers recoins. Sa corporéité est pleinement assumée par Dieu et élevée à la gloire402.

Par rapport aux humains et particulièrement à ceux et celles qui croient à l’Assomption de Marie, cette mise ensemble « corps et âme » nous révèle que nous ne sommes pas une âme prisonnière

398 PIE XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1950, n°44.

399 A. GONZÁLEZ DORADO, De María conquistadora a María liberadora. Mariología popular

latinoamericana, col. Presencia Teológica, Sal Terrae, Santander 1988, p.77-78. Il s’agit de notre propre traduction.

400 L. BOFF, El rostro materno de Dios, Madrid, Paulinas, 1985, p.180.

401 I. GEBARA, M-C. BINGEMER, Maria, Mujer profética. Ensayo teologico a partir de la mujer y de América

Latina, op.cit., p.132, idem, Mujer profética, op.cit., p.57.

150

dans un corps, et ce corps à son tour ne constitue pas un obstacle à notre pleine relation avec les êtres humains et à notre union avec Dieu. Au contraire,

à la résurrection, notre corporéité, qui aura constitué durant notre vie terrestre une condition de force et de fragilité, est réchappée et transfigurée dans l’absolu de Dieu. Ce que nous croyons et espérons est déjà pleine réalité en Marie. Celle qui a été le lieu de l’incarnation de Dieu lui-même ouvre le chemin, après son propre Fils, pour que nous ayons tous plein accès à l’heureuse réalité que Dieu a préparée pour tous ceux qui l’aiment (1 Cor 2,9)403.

Par ailleurs, l’anthropologie unifiée et intégratrice éclairée par le dogme de l’Assomption ouvre des horizons nouveaux et pleins d’espérance au destin final des êtres humains. C’est ce que soutient Puebla :

L’Assomption nous montre le sens et le destin du corps sanctifié par la grâce. Dans le corps glorieux de Marie, la création matérielle commence à avoir part au corps ressuscité du Christ. Marie, dans la gloire, représente l’intégrité humaine, corps et âme, qui maintenant règne en intercédant pour les hommes [les humains], pèlerins dans l’histoire. Ces vérités et ces mystères éclairent un continent où la profanation de l’homme [l’humain] est une constante et où beaucoup d’hommes se réfugient dans un fanatisme passif404.

3.3. La portée libératrice des dogmes marials en Amérique Latine

Outline

Documents relatifs