• Aucun résultat trouvé

Toucher le fond pour être sauvé

goût de paradisgoût de paradis

A. Prise de pouvoir et redécouverte de la liberté

2/ Toucher le fond pour être sauvé

Le but ultime de toutes les addictions des personnages de Palahniuk est d'être sauvé, d'être libéré de cette société qui les emprisonne et qui les prive d'élévation. Que ce soit avec les groupes de soutien, avec le Fight Club ou avec le Projet Chaos, les personnages croient qu'en touchant le fond, ils pourront être sauvés : « Plus vous tombez bas, plus haut vous pourrez voler. Plus vous vous échappez loin, plus Dieu veut vous rattraper. » (FC 204). Cette volonté de retrouver une liberté depuis longtemps perdue se fait progressivement. Le narrateur tombe petit à petit au fond du gouffre pour mieux pouvoir renaître de ses cendres.

sorte de quiétude, voire de désinvolture; loin des doutes et des peurs que la société engendre : « Rien n'était résolu quand le combat était fini, mais plus rien n'avait d'importance. » (FC 75). Le Fight Club devient un microcosme où des hommes se rencontrent pour se libérer et se débarrasser des inquiétudes du macrocosme qu'est la société. Il symbolise leur lieu de vie et quand les combats sont finis, leur seule préoccupation est d'y retourner. Ils finissent même par avoir de l'amour et de la compassion pour les personnes exclues de leur petit monde et n'ayant pas reçu « la lumière » :

Moi, avec mes yeux défoncés à coups de poing et mon sang séché en grosses taches noires et croûtées sur mon pantalon, je dis SALUT à tous ceux que je rencontre au travail. SALUT! Regardez-moi. SALUT! Je suis tellement ZEN. Ça, c'est du SANG. Ça ce n'est RIEN. Salut. Tout est rien, et c'est tellement super d'avoir reçu la LUMIERE. Comme moi. (FC 90)

La vérité est que j'aime mon patron. Qui plus est, j'ai été touché par la lumière, je sais, maintenant. Vous comprenez, comportement style Bouddah, uniquement. (FC 98)

Même une semaine après le fight club, vous n'avez aucun problème à rouler au-dessous de la limite de vitesse. Peut-être bien que vous aurez évacué de la merde noire, blessures internes, deux jours durant, mais vous êtes tellement maître de vous, si cool. Vous êtes entouré de voitures qui roulent. Des voitures vous collent au pare-chocs. Vous aurez droit à des doigts d'honneur de la part d'autres conducteurs. Des êtres totalement inconnus vous haïssent. Il n'y a là absolument rien de personnel. Après le fight club, vous êtes totalement décontracté, c'est simple, tout vous indiffère. (FC 199 et 200).

Les effets des clubs de combat équivalent à ceux d'une drogue, les personnages deviennent de véritables hippies adoptant le précepte peace and love, ou encore la doctrine bouddhiste du zen. Les membres du Fight Club se retrouvent en décalage complet avec la société où les individus sont amers, égoïstes et froids car ils n'ont pas évacué leur violence intérieure. Alors que le narrateur faisait partie intégrante de cette société, il remarque maintenant un décalage curieux voire incompréhensible avec son ancien foyer : « Des êtres totalement inconnus vous haïssent. Il n'y a là absolument rien de personnel. ». La vision du narrateur est dorénavant perçue de l'extérieur et non plus de l'intérieur, cette focalisation rend son ancien état social encore plus absurde. Le personnage de Chuck Palahniuk se trouve dans un nouvel état d'esprit, grâce à son recul par le fight club, il possède la « Vision de Béatitude, Sat Chit Anada, la Félicité de l'Avoir-Conscience »101

.

Une fois le fond atteint, les personnages regagnent leur liberté et deviennent des individus à part entière :

Vous voyez un mec qui débarque au fight club pour la première fois et son cul, c'est rien qu'une miche de pain blanc. Vous revoyez le même mec six mois plus tard, et il donne l'impression d'avoir été taillé dans du bois massif. Ce mec a en lui la confiance d'entreprendre n'importe quoi. (FC 72)

Le fight club permet la construction physique et psychologique de ses membres. Au lieu d'être sophistiqués, voire féminins, les protagonistes redeviennent masculins et virils Ce

changement souligne un machisme triomphant, une revanche sur la société qui les a littéralement travestis. Non seulement ces hommes retrouvent leur individualité, mais ils reprennent confiance en eux et peuvent ainsi avancer. Tandis que la société les délaisse et les garde sous pression afin de mieux les soumettre, les personnages choisissent de se créer un monde parallèle qui aura pour seul et unique but l'émancipation de l'homme. Palahniuk permet à ses personnages de bannir une société corrompue qui a perdu de vue ce but humaniste : « La plupart des mecs au fight club sont là à cause de quelque chose qu'ils ont trop la trouille de combattre. Après quelques combats, on a beaucoup moins peur. » (FC 77). Cette citation évoque une phrase de Jean Cocteau, tiré de Opium : « La peur donnant des ailes au courage. »102

. En effet, tous ces hommes parviennent à transformer leur peur en courage et peuvent ainsi se libérer de l'emprise du conformisme.

Une fois leur liberté retrouvée, la dernière étape des membres du Projet Chaos consiste à entreprendre quelque chose grâce à leur confiance nouvellement acquise. Les personnages ont des rêves de gloire et souhaitent marquer leur prise de pouvoir à travers l'auto-anéantissement :

Je suis en train de rompre mon attachement à tout pouvoir, toute possession physique, murmura Tyler, parce ce ne sera qu'à travers ma propre destruction que je découvrirai le pouvoir supérieur de mon esprit. (FC 156)

Comme le disait Andy Warhol, nous avons tous droit à un quart d'heure de célébrité. Les membres des clubs de combat prennent ce précepte au pied de la lettre et leur rêve de gloire se transforme en folie des grandeurs :

Ce môme a été un dieu dix minutes durant. (FC 67)

Cela atteindrait une dimension héroïque. Le serveur Robin des Bois se fait le Champion des Démunis. (FC 164 et 165)

Lorsque Tyler a inventé le Projet Chaos, Tyler a dit que le but du Projet Chaos n'avait rien à voir avec les autres individus. Tyler ne se souciait pas de savoir si d'autres se faisaient blesser ou pas. Le but était d'enseigner à chaque homme du projet qu'il avait le pouvoir de commander à l'histoire. Nous, chacun de nous, pouvons prendre les commandes du monde. (FC 174 et 175)

Ce soir, je vais à l'Armory Bar et la foule s'écarte façon zip lorsque j'entre. Pour toutes les personnes présentes, je suis Tyler Durden le Grand et le Puissant. Dieu et père. (FC 280)

La volonté d'émancipation des personnages tournent vite à l'abus de pouvoir. Les comparaisons à Dieu et à Alexandre le Grand font de Tyler, et du narrateur par conséquent, un mégalomane compulsif. Ses idées de grandeur et son orgueil excessif l'éloignent un peu plus de son but humaniste de départ. Alors qu'au début, il voulait sauver l'être humain, il nous dit qu'après coup, il se moque des pertes occasionnées. Le pouvoir exercé par Tyler sur les membres du Projet Chaos influe sur son besoin d'en accumuler encore plus et ainsi,

de prendre sa revanche sur cette société qui a toujours privé l'individu de tout pouvoir. Tyler rêve d'une réalité au goût de paradis, seulement c'est uniquement lui qui en dessinerait le paysage. De plus, son ego le pousse à souhaiter la vie éternelle et à devenir une véritable légende : « Ce n'est pas vraiment ça, la mort dit Tyler. Nous deviendrons légende. Nous ne vieillirons jamais. » (FC 12), « Croyez en moi, et vous mourrez, pour l'éternité. » (FC 210). Le Projet Chaos devient une nouvelle religion et Tyler, figure christique, promet à ses fidèles la vie après la mort. Ceux qui autrefois étaient de simples membres d'un club de combat endossent dorénavant le rôle de martyr au nom de Tyler le Grand.