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É tat de manque

C. Rechute définitive et prises de consciences

3/ Le dernier acte

Alors qu'Octave recherchait un moyen de changer le système de manière bénéfique pour les individus victimes de la société de consommation, il se fourvoie et cède à la violence et au meurtre. Avec Charlie et Tamara, il décide de trouver « un représentant de l'actionnariat mondialisé » (14,99 € 195) et de s'expliquer avec lui. Octave ne parvient pas à changer les choses de l'intérieur, il fait donc le choix de s'en prendre à un individu extérieur que lui et ses amis nomment « responsable du malheur contemporain ». Charlie se compare à Bardamu, personnage de Louis-Ferdinand Céline qui parcourt le monde à la recherche d'un coupable. Faute de le trouver, le trio justicier choisit un bouc émissaire : une vieille dame riche et complètement refaite de Miami :

Il faut que vous sachiez qu'à partir d'aujourd'hui, ce genre de visites va devenir monnaie courante. Il est temps que les actionnaires des fonds de pension américains sachent qu'ils ne peuvent pas impunément détruire la vie de millions d'innocents sans rendre des comptes, un jour ou l'autre. (14,99 €197)

Les personnages finissent par avoir une vision manichéenne mais ils ne reconnaissent plus les fautifs. Cette question devient leur obsession et les ronge en profondeur :

Le crétin à mes côtés se nomme Octave, et lui aussi s'interroge sans cesse, comme vous pouvez le voir à son visage de gargouille tuberculeuse. Qui pourrit le monde? Qui sont les méchants? Les Serbes? La mafia russe? Les intégristes islamiques? Les cartels colombiens? Têtes de turc! (14,99 €198)

Cette volonté de trouver un coupable les éloigne de la vérité, la race humaine toute entière est fautive dans la dérive de la société mais dans le cas du roman de Beigbeder, « L'universel s'arrête là où le bouc émissaire commence. »139

. L'acharnement sur la vieille dame et l'expression citée « Têtes de turc! » montre bien la dérive des actions menées par le groupe d'Octave. Cette déviance est très dangereuse, en effet, il est inutile de rappeler pour quelles raisons les nazis lançaient leurs vindictes antisémites.

À force de combattre un ennemi invisible et un mal si enraciné, le trio de 14,99 € se rend à l'évidence. Le combat est devenu impossible, il leur faut s'attaquer à un adversaire bien concret. Pour cela, Charlie se lance dans des références filmographiques de jeunesse, comme si LA réponse se trouvait dans un film :

Vous savez, poursuit-il, quand j'étais petit, j'adorais les films de James Bond, et il y a toujours

le méchant qui voulait devenir le Maître du Monde, alors il entraînait son armée secrète, cachée dans une forteresse souterraine, et il menaçait toujours de faire sauter la planète avec des missiles nucléaires volés en Ouzbékistan. Vous vous souvenez de ces films, Madame Duchmolle? Eh bien, j'ai découvert tout récemment que James Bond, comme Louis-Ferdinand Céline, s'est fourré le doigt dans l'oeil. Le Maître du Monde, il n'est pas du tout comme ça, c'est rigolo, non? Le Maître du Monde, il a un peignoir minable, une maison nulle, une perruque bleue, un bandana dans la glotte, et en plus il ne sait même pas qu'il est le Maître du Monde! C'est vous Madame Wardmuche! Et vous savez qui on est, nous? 007! (14,99 €199)

Leur esprit est tellement obscurci qu'une fois qu'ils tiennent leur bouc émissaire, ils ne le lâchent plus. Charlie donne la mort et Octave devient complice de meurtre. Ainsi commence la descente aux enfers. Cet acte assassin les prive de toute rédemption et leur volonté de faire justice eux-mêmes les trahit. En cherchant à tout prix le responsable de leur malheur, ils en ont oublié que la faute leur revenait peut-être et que leur contribution à la société de consommation n'était que le reflet d'une folie généralisée. Le monde est seul responsable de son état, tel un serpent dévorant sa propre queue. La violence infligée à cette personne âgée n'est que le symbole de leur propre culpabilité. Charlie et Octave sont arrêtés pour meurtre et passent au tribunal :

On se serait cru dans une église : les codes, les rites solennels, les robes, il n'y a pas une grande différence entre un palais de justice et une messe à Notre-Dame. A une exception près : ils ne seraient pas pardonnés. (14,99 €268)

La condamnation à dix ans de prison sonne le glas des espoirs de résistance et de liberté d'Octave. La peine d'emprisonnement marquera la rechute définitive du personnage et signera sa défaite, un renversement dont il ne pourra pas se relever. La lutte laisse la place aux regrets et aux prises de conscience. Une phrase tirée de Las Vegas Parano de Hunter S. Thompson résume bien la situation inextricable :

Dans une société bloquée où tout le monde est coupable, le seul crime est de se faire prendre. Dans un univers de voleurs, le seul péché définitif est la stupidité. (14,99 €211)

La quête de notre antihéros a échoué et son plus grand regret n'est pas la défaite mais la perte de Sophie et de leur enfant. Les parents de cette dernière lui annoncent son suicide et l'amertume s'ajoute à sa chute :

Et tu te lamentes. Je ne l'aimais plus mais je l'aimerai toujours sauf que je ne l'ai pas assez aimée alors que je l'ai toujours aimée sans l'aimer comme il fallait l'aimer. Tu pleures encore à l'heure où tu écris ces lignes. (14,99 €249)

Les regrets se transforment en volonté inconsciente d'en finir avec cette vie sans finalité heureuse. Dans son paradis perdu, Marc met fin à ses jours en se laissant emporter par le courant, un rêve que nous a confessé Octave au début de son récit. Cette transposition souligne bien que l'humanisme est mort et qu'il n'y a « pas d'alternative au monde actuel » (14,99 € 275 et 277). Que l'on soit dans un paradis terrestre ou dans une cellule, le désir de

baisser les bras et d'en finir est le plus fort :

Partir pour de bon; cinq milliards d'années avant: rien; cinq milliards d'années après: rien; l'homme est un accident dans le vide intersidéral; pour arrêter de mourir il suffit d'arrêter de vivre. (14,99 €280)

D. De la littérature au cinéma : entre style d'écriture et choix de