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Les premières mesures prises par l‟autorité allemande sont clémentes, voire tolérantes. La cathédrale de Metz n‟est pas fermée contrairement à la cathédrale de Strasbourg dès juin 1940676. Elle reste lieu de culte pendant toute la guerre. Les inscriptions du chemin de croix, le monument en marbre blanc de Mgr Dupont des Loges677, le buste de Bossuet678 ne sont pas enlevés679. Pourtant, ces deux illustres personnes ont été des défenseurs de la culture française. Or, dans Metz, le parc des statues de la ville est défrancisé680. Par contre, sur ordre du Stadtkommissar Imbt, les moustaches du prophète Daniel à l‟effigie de l‟empereur Guillaume II681

sont rasées le 5 août 1940682, sans que les motivations de cette mutilation ne soient expliquées683. Mais, Guillaume II, exilé en Hollande, est considéré comme le responsable de l‟effondrement de l‟Empire allemand en 1918. De plus, déçu par le non rétablissement de la monarchie en Allemagne par Hitler, Guillaume II est finalement farouchement antinazi684. Voulait-on ainsi gommer du paysage toute référence à un empereur, symbole de la défaite et hostile au nouveau régime685 ?

Mgr Heintz garde une certaine liberté prudente. Pas question de partir, de céder la place, prenant en modèle Mgr Dupont des Loges, l‟évêque resté à Metz après l‟annexion de 1871 et jusqu‟à sa mort en 1886. Il faut tenir bon et la consigne est « que tout ce qui peut rester, reste686

! ».

On voit Mgr Heintz dans les rues de Metz. Il prononce encore des sermons en allemand le 23 juin 1940 à Montigny, le 30 juin à Metz-Queuleu et le 14 juillet à Metz-Sablon687, sans jamais évoquer la situation politique, ne se référant qu‟à des textes saints. Toutefois, une prise de parole pour la fête nationale française demeure symbolique. Le 7 juillet 1940, la première communion et le soir même la confirmation à Metz sont encore présidées par l‟évêque. Ce même jour, il ordonne deux

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Hitler visite la cathédrale de Strasbourg le 28 juin 1940. Un simple avis affiché sur la porte de la cathédrale signifie que, sur ordre du Führer, l‟édifice est fermé aux services religieux.

677Mgr Dupont des Loges (1804-1886), évêque de Metz a été député protestataire au Reichsland où il défend la cause

française.

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Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), archidiacre de Sarrebourg en 1652, puis de Metz en 1654, précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV, membre de l‟Académie française, évêque de Meaux à partir de 1681. Auteur prolifique, il est l‟un des classiques étudiés dans l‟école de la République française. Même si Bossuet a eu dans certains de ses sermons des paroles très dures vis-à-vis des juifs. Voir à ce sujet Jules Isaac, Jésus et Israël, Paris, éditions Fasquelle, 1959, pp. 369-370. Il paraît peu probable que sa position contre les « déicides » ait été la raison pour laquelle la statue de Bossuet fut laissée en place.

679Jules Annéser, déjà cité, p. 65. 680

Ainsi disparaissent les statues du maréchal Fabert, du maréchal Ney, du Poilu, du général La Fayette…

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Le portail de la cathédrale Saint-Etienne néoclassique de Blondel datant de 1764 est détruit en 1898 et remplacé par un portail néogothique inauguré en 1903 par Guillaume II. Une statue à son effigie trône toujours à droite du portail, désormais sans ses moustaches.

682Jules Annéser, déjà cité, p. 72 et Henri Hiegel, déjà cité, p. 106. 683

Rien dans la presse à ce sujet.

684Voir Christian Baechler, Guillaume II d’Allemagne, Paris, Fayard, 2003. Après la nuit de Cristal, Guillaume II

déclare, malgré son antisémitisme reconnu : « Pour la première fois, j’ai honte d’être Allemand. »

685Guillaume II meurt en Hollande le 4 juin 1941. Les nazis ne cherchent pas à le rapatrier en Allemagne alors que

l‟occupation de la Hollande à partir de mai 1940 facilitait l‟opération.

686Lettre de Mgr Heintz 29 novembre 1944, citée par Antoine Sutter, déjà cité, p. 30. 687ADM 29J2082.

prêtres688. Le 9 juillet, Mgr Heintz visite le camp de prisonniers de guerre de Sarrebourg689 où les Alsaciens et Mosellans, dont des prêtres mobilisés, passent pour être libérés comme

deutschstämmig, appartenant à la communauté allemande. Mi-juillet, il visite la commune sinistrée

de Gondrexange690. Mais, l‟activité bienveillante de l‟évêque cache l‟inactivité forcée de l‟évêché où, à l‟entrée, un écriteau en français indique que « le bureau est passagèrement fermé691

».

Par contre, étonnement, alors qu‟elle avait paru une dernière fois le 15 juin, la Lothringer

Zeitung692 avec son sous-titre français La Libre Lorraine reparaît le 19 juin 1940 (n°140) sur une page recto-verso693 à l‟initiative du journaliste de politique étrangère, Alfred Helbron694 qui en devient le rédacteur-gérant. Avec l‟édition « pirate695» du quotidien un temps bilingue Le

Républicain Lorrain-Metzer Freies Journal, c‟est le seul journal local qui paraît pendant la

deuxième quinzaine de juin alors que les Allemands sont déjà là. Pas question d‟autoriser Le

Lorrain, de langue française et francophile ! Pourquoi autoriser la Lothringer Zeitung ? Certes, le

journal a toujours été un défenseur de la langue et de la culture allemande et il publie, pour la plus grande satisfaction de l‟occupant, en langue allemande pendant cette période de transition, sauf une fois pour quelques avis municipaux bilingues. Mais la raison est certainement plus pragmatique. Le personnel et les rotatives sont toujours présents. Le journal permet aux Allemands d‟annoncer les derniers combats en Alsace, l‟entrée des troupes allemandes à Lyon, l‟ouverture du cinéma Palace et Rex à Metz, la signature de l‟armistice, les premiers concerts de la Hitler-Jugend (HJ) à Metz696, le discours d‟Hitler au Reichstag, le début de la bataille d‟Angleterre, le changement des noms de rues à Metz, mais aussi les premiers avis du général Kirchheim, commandant la 169eID, ou de la

municipalité provisoire concernant le comportement à avoir avec la troupe allemande, le rationnement, le change… On peut y lire également un compte rendu de l‟entrée des troupes à Metz ou une chronique historique sur les communes de l‟est du département. Dans le numéro du 19 juin, on trouve une dernière fois des informations sur les évacués mosellans. Dans la manchette du journal, il publie en allemand l‟extrait du discours du maréchal Pétain : « Je fais don de ma

personne et j’appelle à cesser le combat. » Alors que c‟est sa vocation initiale, aucune information

religieuse à l‟exception du décès du chanoine Zwickel et des heures des offices religieux,

688Amtliche Mitteilungen des Bischöflichen Ordinariats Metz, octobre 1940, p. 53. 689ADM 29J2110, lettre du curé de Sarrebourg, 19 juillet 1940.

690ADM 29J2073, lettre de l‟abbé Hoen, curé de Gondrexange, 23 juillet 1940. 691ADM 1W441, rapport du SD, 31 juillet 1940.

692Valérie Gressel, Bibliographie de la presse française politique et d’information générale des origines à 1944 en

Moselle, Paris, BNF, 2009, p.79. La collection de la BNF n‟a que trois numéros de 1940 ; celle des AD57 s‟arrête au 30

avril 1940 ; celle d‟Ascomémo est incomplète mais va jusqu‟au 31 juillet 1940 ; la BDM A53b, la bibliothèque du diocèse de Metz est la seule qui possède la collection complète de ce journal.

693Le n°168 qui évoque le discours du Führer au Reichstag est le seul numéro publié sur 4 pages.

694Nous n‟avons trouvé aucun jugement des chambres civiques mosellanes ou du tribunal militaire de Metz concernant

Helbron. Il n‟aurait donc pas été inquiété par l‟épuration. ADM 29J1734. Par contre, l‟abbé Valentiny, ancien directeur politique de la Lothringer Volkszeitung, explique, comme pour se dédouaner, que Helbron lui avait été imposé avant guerre. François Roth déjà cité, p. 174, signale pourtant qu‟Helbron et Valentiny sont des amis de collège. ADM 29J1734, rapport sur la presse, non daté. Il y est indiqué qu‟Alfred Helbron devient rédacteur au NSZ Westmark, ce qui est une erreur.

695A l‟initiative du journaliste Alfred Erpelding, et non pas de Victor Demange, du 16 au 30 juin 1940. 696Le 21 juillet 1940.

notamment pour la troupe allemande. Le quotidien abandonne son sous-titre français le 2 juillet 1940697 et paraît encore tout le mois de juillet698 passant aussi d‟un prix en francs, 50 centimes, à un prix en allemand, 3 Pfennig. Alfred Helbron annonce la fusion de la Lothringer Volkszeitung et de la Neue Metzer Zeitung699 pour constituer la Metzer Zeitung qui paraît à partir du 1er août 1940. Il s‟en explique : « Après plusieurs et dures batailles pour la conservation de la nationalité allemande

dans le Lothringen, il est l’heure du réarrangement, de la reconstruction et la construction active de notre peuple lorrain700 ». Il reprend donc les thèmes autonomistes et pense que l‟annexion est

une chance. La disparition du journal serait donc un acte volontaire induit par l‟autorité allemande. Mgr Heintz parle lui d‟interdiction, ce qui, selon lui, prouve «la méfiance de l’administration

allemande701 ». Mais cet avis de l‟évêque donné en 1945 semble être davantage un argument de

défense pour expliquer le maintien du journal pendant un mois et demi par les Allemands. Car c‟est bien pour éviter la multiplication des titres que la Lothringer Volkszeitung disparaît d‟autant plus qu‟en même temps que la Metzer-Zeitung apparaît une édition messine du quotidien politique sarrois-palatin Deutsche Front. Alfred Helbron continue à publier des articles dans la Metzer-

Zeitung dans la rubrique Lothringer Land. Le directeur politique de la Lothringer Volkszeitung,

l‟abbé Valentiny, est promu par Mgr Heintz chanoine honoraire de la cathédrale de Metz le 11 août 1940 à la place du chanoine Dorvaux décédé. C‟est la dernière nomination du prélat avant son expulsion. Par la suite, Valentiny accepte l‟administration provisoire de la paroisse de Metz- Queuleu702. En août 1940, au moment de l‟installation d‟une administration civile, ne reste plus comme presse catholique en Moselle que l‟hebdomadaire Metzer Katholisches Volksblatt, à contenu strictement religieux comme ce fut le cas déjà avant guerre. En 1914, dans le cadre de la germanisation devenue systématique, l‟autorité militaire allemande avait interdit les journaux français et donc Le Lorrain, mais la Lothringer Volkstimme en langue allemande a continué à paraître pendant toute la guerre. En 1940, ce n‟est pas seulement la langue qui motive l‟interdiction des journaux mais bien aussi l‟influence que peut avoir l‟Eglise politique à travers la presse.

Pendant cette période transitoire, la vie reprend cependant le dessus.

Sur ordre de l‟autorité militaire, l‟école qui se termine mi-juillet doit se faire désormais en allemand, mais le curé peut continuer le catéchisme en français à l‟église703. Le 26 juin 1940, le lycée Saint-Clément à Metz rouvre mais le collège reste fermé. Seule la bibliothèque et certaines pièces sont réservées pour les affaires personnelles des pères. Toute la communauté s‟installe dans le petit collège. Les classes sont converties en chambres ; la salle d‟étude des externes devient une

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Le journal ne paraît pas le 1er juillet 1940.

698L‟édition pirate du Républicain Lorrain cesse le 30 juin 1940. 699Neue Metzer Zeitung paraît du 1er au 31 juillet 1940.

700Lothringer Volkszeitung, 31 juillet 1940, page 1.

701ADM 29J1734, note de Mgr Heintz sur l‟abbé Valentiny

702Bulletin Confrérie de Marie Immaculée du diocèse de Metz, 1962, p. 23. 703ADM 29J2073, lettre du curé Roupp de Mainvillers, 1er juillet 1940.

chapelle704. Le dimanche 30 juin, le curé de Mainvillers n‟est pas autorisé à célébrer la messe car un office militaire est déjà prévu à l‟église pour les soldats des deux confessions705. A l‟inverse, un office est autorisé par l‟autorité militaire aux prisonniers de guerre français, notamment à la caserne de Rohrbach-lès-Bitche, à condition cependant que personne d‟autre n‟assiste à cette messe706. A Elvange, deux prêtres infirmiers du diocèse d‟Augsbourg s‟occupent du service paroissial… Le 7 juillet, les biens appartenant à l‟Etat et à l‟Eglise sont recensés. Le 8 juillet, les Schupos du Polizei

Bataillon 63 installent leur cantonnement au collège de Saint-Clément à Metz et au couvent de

Peltre.

Effectifs du Polizei-Bataillon 63 installés dans les couvents messins août 1940707

Lieux Unités Officiers Administratifs Policiers

Couvent Peltre Section radio 10

Section MG 1 25 Couvent Saint- Clément Metz Section radio 15 1ère Cie 2 1 146 3e Cie 2 1 146

Le 22 juillet 1940, au couvent de Saint-Jean-de-Bassel, 12 candidates sont encore postulantes à la vêture religieuse, 20 novices à la première profession et 21 sœurs à la profession perpétuelle708. L‟orphelinat de Guénange fonctionne fin juillet 1940 avec 14 petits et 42 grands. A part la cordonnerie et la reliure qui fonctionnent avec six jeunes, tous travaillent à la ferme et au jardin709.

Même si la germanisation induit des mesures qui nuisent à l‟influence de l‟Eglise, cette cohabitation entre l‟autorité militaire allemande et l‟Eglise de Moselle est supportable, au vu des mesures annexionnistes brutales qui s‟abattent sur la population. Elle nécessite cependant une réelle réadaptation, voire une résignation silencieuse pour ne pas provoquer les foudres des nouveaux maîtres. Mais, pour l‟instant, aucun signe de répression contre l‟Eglise n‟est perceptible. Il ne faut pas que l‟image des nouveaux maîtres soit négative pour que les nombreux Mosellans évacués dans le Sud-Ouest osent rentrer dans leur Heimat, leur pays.

704Christian Jouffroy, déjà cité, p. 150.

705ADM 29J2073, lettre du curé Roupp de Mainvillers, 1er juillet 1940.

706ADM 29J2110, lettre de l‟abbé Chatelain de Petit-Réderching, 4 octobre 1940. 707

BAB, R70 rapport du Polizei-Bataillon 63 château de Crépy, 21 août 1940.

708ADM 29J1185.