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Pour le Gauleiter Bürckel, « il ne reste qu'un seul parti qui nous est opposé... il s'est caché

dans les catacombes... Il doit être mis fin à cette barricade derrière les murs de l'Eglise... Nous devons maintenant être clairs... Pour nous ou contre nous810...».

La guerre marque cependant une pause dans la déstructuration de l‟Eglise. Le national- socialisme a la volonté en 1939 de ne pas entrer dans un conflit ouvert avec l‟Eglise catholique pour ne pas donner à l‟étranger l‟occasion de douter de cette union de tous les Allemands sur laquelle insiste toute la propagande nazie. Pour renforcer la cohésion nationale, Hitler défend que de nouvelles mesures soient prises contre les Eglises d‟Allemagne. « Il n’est pas opportun de se lancer

maintenant dans une lutte avec les Eglises, déclare-t-il en 1941 à Himmler. Le mieux est de laisser le christianisme mourir de mort naturelle. Une mort lente a quelque chose d’apaisant. Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science. La religion doit faire de plus en plus de concessions. Les mythes se délabrent peu à peu… Le seul moyen de se débarrasser du christianisme est de le laisser mourir à petit feu811 ». Pour Xavier de Montclos, l‟idéologie nazie «ne se traduit pas par une volonté immédiate d’anéantissement ; elle temporise… Il peut être utile de tolérer les Eglises, voire même de gagner leur confiance, pour assurer en définitive le triomphe de l’idéologie nazie812 ». Pour Edmond Vermeil, le nazisme « n’y va pas d’un seul coup. Il « grignote » les Eglises. Il met le temps et prend, selon les circonstances, quelques précautions. Le nazisme ne veut pas ruiner en une fois les Eglises chrétiennes mais tolérer leur existence sans leur laisser le moindre répit813 ». Et Xavier de Montclos de rajouter : « Le pouvoir nazi a du fait même de son caractère totalitaire une politique ecclésiastique contraignante : aucune force idéologique, aucun groupe social ne peut échapper à son emprise. Il est vrai que l’application de cette politique fut diverse et qu’Hitler n’en prévoyait le déploiement complet qu’au lendemain de la victoire finale

810Dr Lothar Wettstein, déjà cité, p. 342.

811Adolf Hitler, déjà cité, p. 60, 14 octobre 1941 et p. 7, 11 juillet 1941, « La solution idéale serait de laisser les

religions se consumer d’elles-mêmes, sans persécutions. »

812Xavier de Montclos, déjà cité, p. 13. 813Edmond Vermeil, déjà cité, p. 50.

dans une Europe entièrement dominée814 ». En fait, la persécution des Eglises continue, mais de

façon plus insidieuse et plus perverse.

Ainsi dans le Warthegau, la région polonaise annexée au Reich en 1939, le Gauleiter Greiser veut faire un « terrain d’expérience » et un « champ d’application de la philosophie

national-socialiste815.» En matière religieuse, il veut mettre en application un programme en treize

points, certainement rédigé par Martin Bormann, le chef de la Chancellerie et le secrétaire particulier du Führer. Il est intéressant d‟énumérer ces points qui sont finalement le programme antireligieux nazi mis en application, à savoir :

« 1- Il n’a plus d’Eglise au sens institutionnel mais seulement des associations.

2- La direction de ces associations n’est plus assurée par la hiérarchie mais par des comités directeurs.

3- Il n’y a plus aucune loi ou décret ecclésiastiques sur ce territoire.

4- Les associations ne peuvent plus entretenir de relations avec des groupes religieux extérieurs au Gau. Les liens avec le Vatican sont rompus.

5- Seules les personnes ayant atteint la majorité peuvent adhérer à ces associations en y adhérant par écrit. On ne naît pas membre de ces associations, on peut seulement le devenir à sa majorité. Aucune Eglise régionale, territoriale ou liée à une population déterminée n'est reconnue. En conséquence, toute personne arrivant de l'ancien Reich pour s'installer dans le Warthegau devra s'inscrire comme les autres si elle veut appartenir à une association.

6- Tous les sous-groupes confessionnels comme les associations de jeunesse sont interdits. 7- Défense aux Allemands et aux Polonais de se trouver ensemble dans les églises.

8- Enseignement religieux interdit dans les écoles.

9- Ressources financières : cotisations. Subventions et collectes interdites. 10- Les associations ne possèdent rien d‘autres que les lieux de culte. 11- Interdiction aux associations de s’occuper d’œuvres humanitaires. 12Ŕ Couvents et cloîtres fermés.

13Ŕ Il est interdit aux prêtres de l'extérieur d'exercer leur ministère dans le Warthegau : seuls les ecclésiastiques qui y résident peuvent donc avoir une activité au sein des associations. Ce ne peut être cependant leur principale occupation. Ils doivent exercer un métier816 ».

Tout est donc fait pour désarmer l‟Eglise, pour qu‟elle s‟essouffle naturellement.

Cette expérimentation est-elle la règle dans tous les territoires annexés ? Même si l‟Etat nazi est centralisateur, une certaine autonomie est laissée aux Gauleiters pour leur politique sur le terrain afin d‟atteindre les objectifs ordonnés par le Führer. L‟Etat nazi s‟appuie sur des expérimentations locales. Le ministre des Cultes ne parvient pas à étendre son autorité sur les nouveaux territoires en

814

Xavier de Montclos, Les Eglises face à la montée des périls 1933-1939, dans Actes du colloque de Lyon, 1978, p. 3.

815Discours du 25 octobre 1941.

particulier sur la Moselle. Hitler lui ordonne « d’observer la plus grande discrétion et pour

l’essentiel de remettre la conduite des affaires religieuses au Reichsstatthalter817

». Les mesures

antireligieuses perpétrées dans le Warthegau sont-elles reprises à son compte par le Gauleiter Bürckel en Moselle ? Selon Lothar Wettstein, celui-ci renonce dès le début à une telle tentative en Moselle818.

Pourtant, dès le 15 juin 1940, alors que la campagne de France n‟est pas achevée, mais que la victoire semble déjà acquise819, Bürckel établit son plan de germanisation adressé au Führer. L‟un des points soumis concerne la religion : «… La question confessionnelle fera pas mal de

difficultés… On pourra soulever la question si la déconfessionnalisation, l’étatisation des écoles devra être faite par étapes ou si on ne devrait pas plutôt créer immédiatement le fait accompli, c’est-à-dire si on ne doit pas introduire les règles comme pour le reste du Gau donc pour la Saarpfalz… Si on adopte ce règlement immédiatement on l’acceptera tout naturellement comme suite de l’annexion alors qu’au cas contraire, de très fortes oppositions se feraient sentir par la suite surtout de la part du clergé ce qui ne favoriserait pas l’assimilation politique comme telle… L’Etat et le parti exécutent la volonté du Créateur dans la vie politique sociale et économique. L’Eglise devra prier pour ce travail. Nous ne demandons et nous ne sollicitons pas plus ; mais aussi nous ne tolérerons pas qu’on jette l’anathème contre la communauté de notre Reich820

». A la

même époque, il adresse un courrier à Göring où il évoque notamment l‟Eglise et l‟école : « Une

attention toute particulière doit être attachée à la question religieuse. Il y a deux chemins : le chemin plus lent autant que l’Eglise s’occupe d’affaires de l’Etat ou bien trancher immédiatement la question. D’un autre côté, on créera des conditions scolaires pareilles à celles du Reich pour qu’il n’y ait plus aucune raison de frottements réciproques : l’Eglise s’occupe de la religion et le parti et l’Etat se réservent exclusivement la politique… Il faut régler ces choses immédiatement au début car on aura vite oublié821 ». Bürckel est donc partisan d‟adopter immédiatement des mesures

pour réduire l‟influence de l‟Eglise en les justifiant auprès de l‟opinion internationale comme étant des mesures qui s‟inscrivent dans celles de l‟annexion, sauf que l‟annexion est, au niveau du droit international, illégale. La justification demeure donc difficile. Et le 24 juillet 1940, Bürckel reçoit une note circulaire du Führer rappelant qu‟il « souhaite éviter toutes les mesures non absolument nécessaires qui risquent de détériorer les relations de l’Etat et du Parti avec l’Eglise822

». La volonté de Bürckel d‟introduire immédiatement les lois allemandes en Moselle en matière de religion est contrariée par les exigences d‟Hitler qui souhaite un certain apaisement conjoncturel.

817Entretien Lammers-Kerrl, 4 octobre 1940 cité par John.S. Conway, Die Nationalsozialistische Kirchenpolitik,

Munich, éditions Kaiser, 1969, p. 266. Hanns Kerrl (1887-1941) était ministre des Affaires religieuses dans le gouvernement nazi. Hans Lammers (1879-1962) était chef de la Chancellerie du IIIe Reich.

818Dr Lothar Wettstein, déjà cité, p. 469.

819Le 14 juin 1940, les Allemands défilent à Paris et lancent l‟opération Tiger dans la Trouée de la Sarre. 820

Jules Annéser, déjà cité, p. 14.

821Jules Annéser, déjà cité, p. 22. 822ADM 1W2, note du 24 juillet 1940.

Mais, le 25 septembre 1940, Bürckel reçoit l‟ordre de germaniser la Moselle dans un délai de dix ans. On l‟a vu, le clergé a été pendant la première annexion la seule force d‟encadrement et, en partie, un élément de résistance à la germanisation, du moins dans la zone francophone. Elle a montré entre les deux guerres sa capacité à s‟organiser et à s‟opposer à un Etat. Bürckel le sait : « Si

on voulait faire perdre aux Alsaciens-Lorrains lentement leurs habitudes, on leur donnerait la possibilité d’organiser la résistance et je rappelle avec quelle habileté ils surent le faire lorsque Herriot voulait introduire les lois laïques en Alsace-Lorraine823 ». Dans son discours du 21

septembre 1940 lors de son entrée triomphale à Metz, le Gauleiter déclare : « …la digne fonction Ŕ du prêtre- lui impose de s'écarter de la politique en toute circonstance, de renoncer à tous les

moyens qui jusqu'à présent servaient à la politique, en particulier les associations, groupements et influences économiques. Celui, parmi les ecclésiastiques, qui empruntera ce chemin tracé sera notre Kamerad... mais sa règle de vie exige qu'il prie pour que la protection de la providence s'étende sur tout ce que le Führer et ses aides entreprennent... » Encore une fois il clame que les

prêtres doivent désormais « ne se soucier que de l'au-delà, le présent restant entre les mains des

hommes les plus qualifiés, ceux que le Bon Dieu a envoyé à ce peuple824...». Bürckel reste donc

fidèle à ses idées mises en place en Sarre et en Autriche, à son opposition obsédante à la religion qui s‟immisce dans d‟autres sphères que la seule spiritualité. Aussi, pour Jean Chélini, « considérant les

Eglises comme les supports culturels les plus puissants du particularisme alsacienŔlorrain, et donc comme d’éventuels pôles de résistance, les nazis décident de briser l’organisation ecclésiastique particulièrement solide dans les trois départements annexés825 ». Bürckel est suivi dans ses plans

par son personnel politique. Par exemple, à Dieuze, le Bauernführer dit à l‟abbé Goldschmitt : « Nous transformerons vos églises en cinémas et en dancings et les curés sont pour nous du

matériel humain totalement superflu826 ». Le Kreisleiter de Sarrebourg indique dans un discours

que « le rôle du curé ne se réduit pas à la vie religieuse et à l’instruction religieuse, mais dans le

passé il déborda partout dans le domaine de la politique, de l’économie et des questions de la vie quotidienne. Le curé, d’après les propres aveux des prêtres est souvent le guide (« Führer ») de toute la commune. Le curé catholique est plutôt international et il penche vers la France827 ».

L‟adjudant-chef de la gendarmerie allemande de Donnelay tient ces propos : « Les curés sont des

matous noirs auxquels les Lorrains obéissent comme un troupeau de moutons… Il faut au contraire les fuir… Ils disparaîtront…». Le commissaire épiscopal, François Goldschmitt, intervient

violemment contre cette insulte en écrivant au général SS Dunckern et au Kreisleiter de Château- Salins. Le gendarme est finalement muté en Prusse6Orientale828.

823Lettre de Bürckel à Hermann Göring, 15 juin 1940, citée par Jules Annéser, déjà cité, p. 22. 824Metzer-Zeitung, 22 septembre 1940, pp. 1-2.

825Jean Chélini, L’Eglise sous Pie XII, la tourmente 1939-1945, Paris, Fayard, 1983, p. 176. 826

François Goldschmitt, Le Bon Dieu au KZ, chez l‟auteur, Rech, 1946, p. 3.

827Rapport du Kreisleiter de Sarrebourg 10 août 1940, cité par Jules Annéser, déjà cité, p. 98. 828François Goldschmitt, déjà cité, pp. 52-53.

Malgré la directive d‟Hitler de trouver un nouvel modus vivendi entre l‟Etat nazi et l‟Eglise en Moselle, sous couvert de germaniser et d‟appliquer la législation allemande Bürckel s‟attaque indirectement, sournoisement, malignement à l‟Eglise, une attaque noyée dans un ensemble législatif important et complexe, lui permettant d‟éviter la confrontation directe et donc de rallumer un Kulturkampf. La guerre dicte d‟autres priorités qu‟une guerre interne remise à plus tard car selon le Reichsführer SS Heindrich Himmler : « Nous n’aurons pas de repos avant d’avoir détruit le

christianisme829 ».

829

Conversation Heinrich Himmler Ŕ Ernst von Weizsäcker dans Ernst von Weizsäcker, Mémoires, Londres 1951 cité par Christian Bernadac dans Les sorciers du ciel, Paris, France-Empire, 1969, p. 9. Ernst von Weizsäcker (1882-1951) était diplomate dans le ministère Ribbentrop, et notamment ambassadeur au Saint-Siège en juin 1943.

Chapitre G : La germanisation participant à la