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Après le plébiscite sarrois en janvier 1935, Hitler charge Bürckel de négocier avec les diocèses de Trèves et de Spire un modus vivendi, un accord raisonnable, permettant une coexistence pacifique entre l‟Etat nazi et l‟Eglise. Selon Lothar Wettstein804, « Bürckel s'est alors découvert une

nouvelle mission : les rapports entre la NSDAP et l'état-major du parti pour régler tous les problèmes avec les Eglises chrétiennes et aboutir à un concordat sarrois spécifique avec, dans une optique plus lointaine, un nouveau concordat du Reich à l'image de celui de la Sarre, conçu sous la forme de devoirs et de tâches de l'Eglise, dont il deviendrait lui-même le spécialiste et le pacificateur entre Etat et Eglise, et ainsi devenir un homme puissant dans la hiérarchie du parti ».

800Edmond Vermeil, Hitler et le christianisme, Paris, Gallimard, 1939, pp. 53-56. 801François Goldschmitt, déjà cité, p. 38. Circulaire secrète de Martin Bormann. 802

Le Lorrain, 14 août 1939, p. 3.

803Par exemple, le Gauleiter d‟Alsace, Robert Wagner, qui a eu la même feuille de route que Bürckel n‟applique pas

exactement les mêmes mesures qu‟en Moselle. Wagner a une politique d‟éducation forcée alors que Bürckel a privilégié l‟épuration des éléments non germanisables. Voir à ce sujet Philippe Wilmouth, Moselle-Alsace, mémoires parallèles, Metz, éditions Serge Domini, 2012.

804Dr Lothar Wettstein, déjà cité, pp. 307-347 et ADM 2W3, dossier sur l‟affaire Bürckel-Mgr Sebastian, La Croix, 4

L‟accord soumis aux évêques implique une mise sous tutelle de l‟Eglise. Le parti et l'Etat doivent être les seuls maîtres de l'éducation politique, de l'éducation physique, de la formation professionnelle. Les organisations confessionnelles doivent être dissoutes et leurs activités reprises par les organisations du parti. Ecclésiastiques et autres représentants religieux et leurs organisations correspondantes doivent s'en tenir à leur seul rôle en matière de prédication, d'activité pastorale et d'enseignement religieux et s'abstenir de toute agression contre le parti ou l'Etat, de façon officielle ou officieuse. Les temps réservés au culte sont à convenir entre la direction du parti et l'administration de la paroisse. Les agressions contre les confessions chrétiennes sont expressément interdites. Les devoirs de l'Eglise et des organisations confessionnelles doivent se circonscrire aux seuls domaines relevant de la vie religieuse à l'exclusion de tout ce qui est de la compétence du parti et de l'Etat. Les évêques de Trèves et de Spire rejettent la proposition d'accord en raison de la présentation unilatérale des droits de l'Etat et du parti « sans prise en considération suffisante des

droits auxquels l'Eglise, force de la loi naturelle et du droit de Dieu, ne pouvait renoncer ». L‟échec

de ces négociations révèle la vraie nature de Bürckel qui attaque alors désormais frontalement l‟Eglise.

En effet, jusque-là, il a laissé subsister l'organisation scolaire en Sarre comme par le passé et a renoncé à toute action démonstrative pour l'introduction de l'école populaire d‟autant plus qu‟Hitler lors de la campagne électorale en Sarre a garanti le maintien des écoles confessionnelles. Cependant, Bürckel donne instruction d'accrocher le portrait du Führer dans toutes les salles de classe à la place des crucifix. A Frankenholz (Sarre), dans la région du charbon, cela déclenche immédiatement une grève de l'école de la part des parents. Elle est suivie de représailles contre les parents récalcitrants : quatorze mineurs de Frankenholz sont licenciés et des parents punis de lourdes amendes. L'évêque de Spire, Mgr Sebastian. proteste contre cette « action des croix » et ces représailles par plusieurs lettres adressées à Bürckel qui voit dans ces protestations une critique injustifiée de sa personne parce qu'il a ordonné de placer « le portrait du Führer dans le champ

visuel des enfants », mais aussi parce qu'il avait ordonné « de ranger la croix à une place plus adaptée à sa fonction ». Pourtant, en signe d‟apaisement, il décide de lever les amendes prononcées

dans l'affaire de la grève de l'école, de libérer les quatorze interpellés et de renoncer à toutes les poursuites judiciaires. Mais, il ne se résigne pas. Dans une grande réunion avec les enseignants sarrois organisée le 19 mars 1937 à Kaiserslautern (Palatinat), il annonce un référendum populaire sur la transformation des écoles confessionnelles en écoles populaires : « La séparation des écoles

selon leur confession est le mémorial vivant de la malheureuse guerre de Trente Ans qui a divisé notre peuple et a été la cause de troubles pendant des siècles. C'est la cicatrice de cette guerre, au nom de cette maudite vieille haine, que porte aujourd'hui notre jeunesse ». Il indique que le but

suprême de l'Etat est la communauté du peuple : « La condition préliminaire pour la

Volksgemeinschaft, la communauté du peuple, est la Jugendgemeinschaft, la communauté de la jeunesse, et préalablement, il doit y avoir la Schulegemeinschaft, la communauté de l'école. L'école

n'appartient à personne d'autre qu'à l'Etat. C'est la raison pour laquelle il tombe sous le sens que l'école publique doit être instituée en Allemagne et elle le sera ». Pour Bürckel, le résultat de ce

référendum est une question de prestige. Il utilise tous les moyens pour obtenir le résultat qu‟il souhaite : menaces de violences, falsification de votes, licenciements, retrait d'aide du

Winterhilfswerk (WHW), le secours d'hiver, mesures disciplinaires contre le corps enseignant,

peines punitives contre les ecclésiastiques locaux qui militent pour le maintien de l'école confessionnelle... Le résultat du référendum qui aboutit à 97% de vote pour une école laïque publique est pour Bürckel un triomphe. Pour Mgr Sebastian, par contre, c‟est une âpre déception. Les évêques de Trèves et de Spire ordonnent alors le silence des cloches le dimanche de Pâques et la tenue de seules messes basses, sans orgue, ni chants. Le 23 mars 1937, symboliquement à Frankenholz, l'école publique est inaugurée en grande pompe par le parti et l'Etat. Désormais, en Sarre, les locaux réservés à l'enseignement religieux sont réaffectés, la publication dans la presse locale des horaires des offices religieux est interdite au motif que des prêtres catholiques ont excité les fidèles depuis leur chaire, le lundi de Pentecôte. Des religieux sont entendus par la Gestapo et souvent mis en état d'arrestation. Mais Mgr Sebastian ne s'avoue pas vaincu et s‟oppose à l'éviction de l'Eglise catholique des écoles publiques.

Bürckel s'estime alors agressé par l'attitude de Mgr Sebastian et n'hésite pas à lui coller l'étiquette de « manque de fiabilité nationale » et de qualifier l'Eglise catholique d'institution « dépassée ». Il saisit toutes les occasions pour humilier publiquement l'évêque. A l'occasion d'un événement catholique en Hollande le 18 juillet 1937, alors que l'évêque projette de s‟y rendre, la

Gestapo retient son passeport, obligeant le ministère des Cultes du Reich à intervenir jugeant cette

décision nuisible. Les répressions de Bürckel contre l'évêque amènent une solidarité des chanoines du diocèse de Spire. Bürckel porte alors plainte en diffamation contre le doyen Schröder qui est condamné à une amende de 200 RM. Mgr Sebastian est cité comme témoin. Bürckel reproche à l‟évêque d'avoir envoyé, en janvier, une carte dans laquelle il le traite de « menteur », « crapule » et

« diffamateur805 ». Mgr Sebastian doit péniblement admettre le fait. Bürckel accuse encore l'évêque

d‟avoir transmis à une puissance ennemie un dossier concernant la politique intérieure et, de ce fait, il est passible de poursuites pour haute trahison806. Cette grave accusation déclenche une violente campagne de dénigrement contre Mgr Sebastian en Sarre-Palatinat et à l‟extérieur. Bürckel poursuit en procès l'évêque de Spire pour diffamation, haute trahison et violation du concordat. La sévère réaction du Vatican qui accuse Bürckel de contrevérités, de violation de l'article 4 du concordat du

Reich et d'atteinte au secret de la correspondance reste sans suite. Bürckel parvient à compromettre

publiquement l'évêque. Mais il n‟arrive pas à briser les relations entre les fidèles et Mgr Sebastian.

805En violation caractérisée du concordat, Bürckel met secrètement sous surveillance le courrier de l'évêque. La Gestapo

parvient à en prendre des photocopies - immédiatement soumises à Bürckel - avant de le laisser poursuivre son acheminement.

806

Ascomémo : article de presse non daté, non identifié. Il s‟agit d‟une lettre datée du 15 avril 1935 de l'évêque au cardinal secrétaire d'Etat Pacelli au Vatican dans laquelle il l'informe de la situation politique en Sarre après le vote du 13 janvier 1935. Ce rapport aurait été publié dans L'Osservatore Romano, quotidien pontifical.

Au contraire, une large majorité des catholiques sarrois reste solidaire de son évêque. Et quand celui-ci apparait publiquement, il est l'objet d'ovations, au grand dam de Bürckel.

La campagne de Bürckel contre l'évêque Mgr Sebastian est incessante et culmine en août 1937. Ce mois-là, l'évêque fête son 75e anniversaire, son jubilé d'or de prêtrise et le 20e anniversaire de son élévation à l'épiscopat de Spire. Il est convenu d'appeler à Spire séparément les différents participants : le pèlerinage général de la jeunesse féminine le dimanche 2 mai 1937, celui des femmes à l'Assomption, le dimanche 15 août 1937, et celui des hommes à la fête du Christ-Roi, le dimanche précédant la Toussaint. La messe de jubilé devait être célébrée le 15 août 1937, jour pour jour, cinquante ans après la première messe de l‟évêque. Au premier pèlerinage, le 2 mai 1937, 12 000 jeunes filles font le voyage à Spire. Pour le pèlerinage des femmes, plus de 25 000 se sont inscrites. Quand Bürckel apprend les préparatifs et le nombre de participants pour le 15 août 1937, il appelle à une gigantesque manifestation à Spire. Il veut réunir plus de 35 000 hommes en uniforme et plus de 10 000 civils. Les fonctionnaires des services publics et avant tout les employés du Gau sont, par ordre de mission, priés de participer au défilé. Les trains spéciaux de la

Reichsbahn réservés et payés pour les femmes catholiques sont purement et simplement

réquisitionnés pour les membres du parti. De même, tous les cars et autres véhicules sont retenus pour les organisations du parti, à tel point que les femmes n'ont plus la possibilité de prendre part à la fête religieuse de Spire. Mais, le samedi, l'évêque et le chapitre de la cathédrale décident de déplacer la fête à la fondation bénédictine à Neuburg près de Heidelberg. D'une part, ils ne veulent pas laisser le parti gâcher la fête et, d'autre part, ils veulent éviter les violentes bagarres qui sont à redouter. Déçu par l‟absence de l‟évêque à Spire, Bürckel lance à ses contre-manifestants : «... Nous

sommes de l'avis que ce vieux monsieur n'est plus qu'un homme de grand âge dont les actes et les mots ne pèsent plus lourd dans la balance après une si longue carrière...».

A partir de l'automne 1937, le ton de Bürckel se fait plus modéré. Bürckel déclare qu‟il ne peut pas se « permettre une guerre confessionnelle dans cette région frontalière. J’ai besoin d’une

harmonie de l’ensemble de la population ». Il invite chacun, à son poste, d'agir de telle sorte qu'une

cohabitation paisible puisse se maintenir, « que chaque aiguilleur surveille ses rails et ses trains,

une voie ferrée mène vers l'Etat, une autre mène vers le ciel ».