• Aucun résultat trouvé

Dès le 27 juin 1940, le maire provisoire de Metz, le Mosellan Nicolas Houpert842, signifie à l‟évêque que dorénavant les prêches de toutes confessions doivent se faire en allemand843

ce qui provoque une réaction vive de Mgr Heintz : « le principe majeur des catholiques est la

prédication... Au cours de ce siècle, le diocèse de Metz avait déjà été coupé en deux parties selon la langue. L’interdiction de la prédication serait considérée par le peuple catholique comme une pression puissante. Il faudrait prendre en considération pour une éventuelle nouvelle ordonnance que pendant les vingt dernières années, il n’a été enseigné à l’école primaire que le français. La plupart des paroisses de la ville de Metz avait un office avec un prêche allemand sans que les autorités françaises ne s’y opposent. Même dans les départements d’accueil des évacués, les paroissiens ont pu écouter les prêches en allemand. Il y a huit semaines encore, l’évêque de Metz a

837ADM 40J1, chroniques de l‟abbé Meyer, déjà cité.

838Ce sont les curés qui sont chargés de remplir les Ahnenpass, les livrets d‟ascendance, pour justifier de l‟aryanité des

individus et de leur non-filiation juive.

839Ascomémo, fiche d‟engagement 1940. 840

ADM 1W797.

841François Goldschmitt, Alsaciens et Lorrains à Dachau, tome 2, Rech, chez l‟auteur, 1945, p. 64.

842Il était employé auxiliaire de la recette municipale de Metz. Il est l‟un des cinq Mosellans dits de « la Conspiration de

la Brasserie du Fauve » qui accueillent les Allemands le 17 juin 1940 et prennent des fonctions dans la première administration communale de Metz avant d‟être évincés par une administration strictement allemande avec à sa tête Richard Imbt.

pendant son voyage auprès des communautés évacuées parlé la Muttersprache Ŕ la langue

maternelle- . Il demande aux autorités militaires que l’on puisse prêcher en français et il cherche

un compromis pour laisser la possibilité à ses diocésains d’assister à des offices ou à donner l’éducation religieuse dans leur Muttersprache, leur langue maternelle844

». L‟évêque semble avoir

été persuasif puisque l‟ordonnance prise pour prêcher uniquement en allemand est annulée. On peut donc encore prêcher en français pendant l‟été 1940. Mais très vite, l‟allemand va être imposé.

Dans un premier temps, il ne semble pas y avoir eu une directive générale pour toute la Moselle concernant l‟usage de l‟allemand pour les prêches. Par exemple, le 12 juillet 1940, l‟Ortskommandantur de Knutange interdit l‟usage du français pour les sermons, mais cette mesure n‟est pas prise par les localités voisines. L‟abbé de Knutange en réfère à Mgr Heintz et lui demande quelle est alors l‟attitude à tenir845 sans qu‟on ne connaisse sa réponse. Le 3 août 1940, l‟évêque adresse une supplique au cardinal-secrétaire d‟Etat au Saint-Siège à Rome, Luigi Maglione, lui demandant son intervention pour qu‟on puisse continuer à prêcher et à faire le catéchisme en Moselle en français sans restriction846. Sans suite. Aussi, localement, les pressions sont fortes. Par exemple, le 6 septembre 1940, l‟abbé Jacquemin de Moyeuvre reçoit du Stadtkommissar une lettre lui interdisant des prédications et des prêches en français dans l‟église. Le 9, l‟abbé se permet de demander des précisions sur la possibilité ou non de faire des prédications en italien pour la communauté transalpine, la possibilité ou non de faire une messe pour les enfants avec des prières et des chants français847. En guise de réponse, l‟abbé Jacquemin est expulsé le 16 août. A Metz, les curés sont convoqués en mairie le 12 septembre 1940. Le commissaire Daubt leur demande de ne plus employer que l‟allemand dans les églises. L‟abbé Valentiny répond en ces termes : « Mais vous

êtes moins généreux que la France. La France nous a toujours permis au cours des vingt-deux années depuis l’armistice de 1918 de prêcher en allemand. Si donc vous prenez à nos concitoyens messins leur sermon en français, ils seront moins favorisés que les Noirs d’Afrique qui eux peuvent entendre la parole de Dieu dans leur langue848 ». Des arguments qui ne convainquent pas car à

partir du 22 septembre 1940, sur ordre des autorités allemandes, il n‟est plus possible de prêcher dans les églises paroissiales messines qu‟en langue allemande. Cet avis en langue allemande doit être placardé sur la porte des églises et le prêtre doit signifier cette consigne, en allemand, à ses paroissiens. Les prêtres de la paroisse de Metz se réunissent et indiquent aux autorités que « si un

curé ne peut pas prêcher en français, cela n’est pas compréhensible pour les croyants. En effet, les gens qui ont été à l’école française depuis 22 ans ne comprennent pas l’allemand et ils ne peuvent pas comprendre les prêches. » Alors si les prêtres s‟engagent à parler progressivement allemand, les

autorités allemandes ne s‟opposent pas au fait que le français soit encore utilisé un temps car « si le

844ADM 29J2073, lettre de l‟évêché, 28 juin 1940.

845ADM 29J2038, lettre de l‟abbé Vechenauski, 14 juillet 1940. 846

ADM 29J2107, lettre, 22 octobre 1940.

847Ascomémo, lettres du Stadtkommissar, 6 septembre 1940 et de l‟abbé Jacquemin, 9 septembre 1940. 848Le Courrier de Metz, témoignage du chanoine Henri Herrig, 15 octobre 1952, p. 3.

français est immédiatement supprimé en dehors des prédications, cela éloignerait la masse des catholiques849 ».

A partir de l‟automne, l‟usage de la langue allemande dans les églises devient cependant obligatoire. Ainsi, en octobre 1940, après intervention du Landkommissar de Thionville auprès de l‟administration centrale à Sarrebruck lui signalant que des prêtres continuent à prêcher en français, le Gauleiter Bürckel signe une ordonnance obligeant les prêtres à prêcher en allemand et les publications de l‟Eglise et leurs imprimés à paraître en allemand850

. L‟abbé Christiany, archiprêtre de Lorquin, l‟interpelle alors : « la population du canton est presque entièrement de langue

française. La grande majorité ne comprendrait rien à l’allemand… Un curé a commencé à prêcher en allemand. Le fou-rire a pris les enfants d’abord, puis toute l’église. Le curé a dû continuer en français. Dans une autre paroisse, on a dit le chapelet en allemand. Le dimanche suivant, plus de la moitié des gens manquaient. On n’y dit plus de chapelet du tout ». Il demande une dérogation pour

l‟emploi partiel du français au cours des offices auprès de Mgr Schmit851

.Elle lui est refusée. Un Kleines Gesang und Gebetbuch, un livret de chants et de prières, en allemand est commandé par Mgr Louis, publié par les orphelins de Guénange et diffusé dans le diocèse à partir du 1er octobre 1940852. Les prêches en français sont définitivement interdits à partir du 1er novembre 1940. La germanisation de la langue dans la prédication devient donc bien une arme pour l‟apostasie dès lors que les paroissiens sont dans l‟impossibilité de comprendre les prêches ou les chants et, par conséquent, dès lors que cette incompréhension fait déserter les églises. Certains utilisent alors le latin mais Bürckel s‟y oppose : «… Ayant posé la question s’il était permis à un

curé possédant la langue allemande de prêcher en latin, ne pouvant plus prêcher en langue française, un non catégorique fut la réponse853…». Désormais, dans toutes les églises en Moselle,

les prêtres doivent prêcher et chanter en allemand non seulement dans les paroisses où on parle habituellement l‟allemand mais aussi dans les paroisses où l‟on parle le français. Le catéchisme doit également se faire en allemand854. On peut ajouter aussi que dans les couvents et monastères, rapidement, la lecture de table se fait en langue allemande « pour éviter toutes représailles855 ».

Aussi Mgr Louis peut faire ce constat en novembre 1941 : « Précédemment nous avons

invité les prêtres à utiliser la langue allemande en chaire et pour les cours de religion. De louables efforts ont été faits en ce sens. Dans toutes les églises de Lorraine, les prédications se font en allemand et l’on prie, l’on chante en allemand dans les paroisses germanophones mais aussi dans les paroisses autrefois francophones. Nous demandons aux prêtres de persévérer dorénavant dans

849Amtliche Mitteilungen Diozese Metz, octobre 1941, p. 85. 850

ADM 1W6, lettre du Landrat de Thionville, 4 octobre 1940, et ordonnance de Bürckel.

851ADM 29J2107, lettre du 22 octobre 1940. 852Ascomémo, 1Eg.

853Metzer Zeitung 1er août 1941, p. 1 : discours de Bürckel du 30 juillet 1941 à l‟Hôtel des Mines à Metz. 854

Amtliche Mitteilungen Diozese Metz, décembre 1941.

855Sœur Marie-José Gruber, déjà citée, pp. 135-142 et ACSJB, Annales de la congrégation des sœurs de St-Jean-de-

l’usage de l’allemand tant pour les sermons que pour l’enseignement856

». Ne nous y trompons pas.

L‟évêché ne participe pas à la germanisation, mais aspire à la paix, à une concorde lui permettant de poursuivre les prédications. Déroger à l‟ordre d‟utiliser exclusivement la langue allemande peut être réprimé. Il ne faut pas donner des motifs à une éventuelle répression pour pouvoir rester auprès des paroissiens et ne pas les abandonner aux nazis. Tous les prêtres mosellans ne suivent pas ce précepte. Ils subiront les foudres nazies et donneront des arguments à une épuration.