• Aucun résultat trouvé

Robert Schuman dans Le Journal évoque les problèmes de l‟évacuation. Il cite en premier lieu la difficulté de la langue, car « une population dont l’idiome usuel est presque exclusivement

germanique se trouve transférée dans une région où ces accents en pleine guerre allemande risquent de déconcerter ceux qui éloignés de toute frontière ont un instinct aigu de l’unité nationale576…». En effet, les paroisses évacuées se situent toutes dans la zone linguistique de langue

allemande et la plupart des paroissiens ne parlent qu‟un patois germanique. L‟abbé Gelmeider de Koenigsmacker indique ainsi que « trois quarts de mes paroissiens ne savent pas un mot de

français, voilà pourquoi je leur prêche en allemand577 ». Aussi, dans les églises fréquentées par les Mosellans, très souvent, on prêche dans les deux langues, français et allemand ; cette dernière le plus souvent à la fin de l‟office quand il est commun. Parfois, pour éviter le prêche dans les deux langues, un office spécial pour les Mosellans est proposé. Dans le cahier tenu par le curé Ribérat de Sigogne (Charente), on trouve trace des messes dites pour les Mosellans en allemand à 9 h et pour les Charentais à 10 h 30578. « J’ai dû changer l’heure de la Grand messe, parce que Monsieur le

doyen n’a pas voulu qu’on prêche dans les deux langues pendant cette messe. J’ai prêché alors après la messe mais la plupart des réfugiés ont quitté l’église après la messe. J’ai alors supprimé le

573

Jean-Eric Iung, déjà cité, p. 102. ADM 29J1730, lettre de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, Paris, 19 novembre 1939. ADM 29J2110, lettre collective des aumôniers mosellans dans le Pas-de-Calais, 11 février 1940. Dans un rapport sur la situation des écoles, il est indiqué que sur 4 395 enfants, 1 654 ne peuvent pas s‟inscrire dans une école libre. Mais comme l‟indique l‟abbé Hoffmann, ces chiffres fluctuent en fonction des arrivées et des départs des mineurs.

574

ADM 29J2075, lettre du père Camille Jung, capucin de Waldwisse, aumônier des mineurs de Saint-Etienne, 24 novembre 1939. ADM 29J2108, lettre du RP Camille Jung, 29 avril 1940. ADM 29J2110, rapport sur la situation scolaire dans le Pas-de-Calais par l‟abbé Adam, 29 décembre 1939.

575ADM 29J2110, rapport sur la situation scolaire dans le Pas-de-Calais par l‟abbé Adam, 29 décembre 1939. 576

Article cité par Le Lorrain, 18 novembre 1939, p. 1.

577ADM 29J2107, lettre abbé Gelmeider de Koenigsmacker, 18 septembre.1939. 578Rémy Seiwert et Gérard Henner, déjà cité, p. 23.

sermon après cette Grand messe et remplacé par une Grand messe spéciale pour les réfugiés seuls. Le résultat n’était pas beaucoup meilleur : une soixantaine de présents579

». Mais, il semble qu‟il y ait eu très peu d‟offices spécifiques aux Mosellans car les prêtres locaux qui ne cherchent forcément pas à les intégrer s‟y opposent. Les missels en allemand manquent également580

.

Les pratiquants souffrent de ne pouvoir se confesser en langue allemande par manque de prêtres mosellans ou alsaciens. Quand le curé n‟est pas mosellan ou alsacien, «les enfants suivent le

catéchisme de la paroisse. Ils sont un peu déroutés par le fait qu’ils sont obligés d’apprendre le catéchisme en français. Dans l’ensemble, ils y mettent beaucoup de bonne volonté581…». Des

prêtres se plaignent du manque de catéchismes en allemand alors que les enfants ne comprennent pas assez bien le français. « Garçons et filles se mettent résolument à l’étude du catéchisme

national. Nous en faisons l’explication en français pour ménager les susceptibilités des autochtones. Cependant nos enfants ont bien du mal à comprendre et il faut très souvent recourir à l’allemand, surtout pour les tout petits582…». Aussi, il est demandé que le catéchisme soit traduit :

« Quant au catéchisme national, il serait bon, pour le temps de la transition, d’avoir le texte dans les deux langues. Les parents le désirent également afin de pouvoir aider leurs enfants dans l’étude du catéchisme comme ils avaient l’habitude de le faire583 ».

Mais ces gens qui parlent la langue de l‟ennemi suscitent la suspicion des populations accueillantes. Dans une lettre circulaire adressée aux ministres du culte évacués, le problème de la langue est soulevé. Elle est accusée d‟être la cause principale de la tension entre les habitants du Sud-Ouest et les Mosellans : « la population du Sud-Ouest qui entend parler les évacués sans

comprendre ce qu’ils disent peut s’imaginer qu’ils médisent584

». En février 1940, l‟abbé Muller de

Waldweistroff souligne l‟incompréhension des deux communautés : « On ne peut pas comprendre

que nos gens ne savent pas tous le français. Le mot boche a été entendu plus d’une fois ». A priori,

il n‟y a pas que des mots. « Quand on nous regarde nous réfugiés comme des boches et quand on

nous dit « Vous autres boches » et quand on nous traite comme des boches ce ne sont pas les réfugiés qui en sont coupables585 ». (abbé Schwartz de Seingbousse à Ronce-les-Bains en Charente) Quand en plus, les prêtres mosellans ne s‟adaptent pas aux règles locales, la stigmatisation s‟argumente : «… Les curés de Kalhouse et Guebenhouse ne se conforment ni aux habitudes

diocésaines pour sonnerie et heure des messes (ainsi à Benest en Charente c’est un enfer), ni aux

579ADM 29J1129, lettre de l‟abbé Kiffer évacué à Aubeterre/Dronne (Charente), 2 avril 1940.

580ADM 29J2075, lettre du curé de Koenigsmacker à Mgr Heintz, 16 mars 1940, qui signale à l‟évêque l‟arrivée de

missels.

581ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Pallot, curé de Clessy, 18 novembre 1939. Soixante-quinze habitants d‟Hilsprich,

mineurs, séjournent dans cette commune.

582ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Halter de Stiring-Wendel, 22 novembre 1939.

583ADM 29J2107, fonds Mgr Schmitt, lettre du curé de Schorbach replié à Gensac-la-Pallue (Charente), 24 octobre

1939.

584ADM 29J1131, lettre circulaire non datée, non signée.

avis pour la semaine religieuse concernant les enterrements, quêtes, etc… Alors on les traite d’Allemands et pourtant ils n’en sont pas. Un brin d’adaptation ne ferait pas de mal586…».

Aussi, il y a peu d‟échanges entre les autochtones et les Mosellans. « Nos curés mosellans

ne faisaient pas assez pour ne pas dire rien pour regagner les indigènes à la sainte religion. Aucun mot en français dans plusieurs églises. On dit que les indigènes n’assistent pas. C’est vrai, mais ils disent qu’ils ne comprennent rien de notre messe et ceux qui sont venus quand même ont été choqués que l’on ne leur a même pas lu l’évangile en français… Ils regardent les curés comme des « neutralistes, des autonomistes. » Quand le français est utilisé, des indigènes assistent aux offices

et y participent même car « la foi n’est pas éteinte, seulement endormie, mais il faut se donner la

peine de la réveiller587 ». Mais les Mosellans ne s‟intéressent pas aux œuvres existantes dans les

paroisses qui les hébergent « car ils sont regardés comme des étrangers. » (abbé Bruganel d‟Ellviller) Inversement, les évacués acceptent mal qu‟un curé non alsacien-mosellan s‟occupent d‟eux, notamment à cause de la barrière de la langue. «… Malgré nos efforts, nous nous sommes

bien rendus compte que nous ne pouvions remplacer un curé qui soit de chez eux et pour eux ».

(abbé Gangre, curé de Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire, 14 novembre1939). Aussi, « nous

constatons une baisse sensible de la belle ferveur de nos réfugiés. Peu à peu, ils subissent l’influence mauvaise de nos milieux déchristianisés. Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas l’emprise nécessaire pour assurer leur difficile persévérance. Notre ignorance de la langue en est le plus grand obstacle ». (abbé Joseph Gaillard, 21 novembre 1939)588.

Aussi, on encourage les réfugiés et les prêtres à utiliser le plus possible la langue française589. Dans le deuxième numéro du journal Le Lien590, l‟abbé Goldschmitt invite les réfugiés à parler français en présence des Charentais, de ne pas chanter en allemand dans les rues. Lui-même prêche en français en présence des Charentais, puis quand ceux-ci ont quitté l‟église à la fin de la messe, il traduit le sermon en allemand pour ses paroissiens mosellans. En même temps, il explique que les prêtres mosellans, bien que bilingues désirent parler avec leurs compatriotes dans leur langue usuelle, le dialecte francique pour les Mosellans et le dialecte alémanique pour les Alsaciens car ce parler est millénaire. Parallèlement, il recommande à ses compatriotes âgés d‟apprendre chaque jour quelques mots en « français, notre langue nationale » et propose quelques mots usuels à apprendre591.

L‟animosité envers les évacués atteint son paroxysme avec l‟arrestation de suspects, dont certains prêtres.

586ADM 29J1195, lettre de l‟abbé Heynes réugié à Champagne-Mouton.(Charente), 19 mars 1940. 587ADM 29J2110, lettre d‟un oblat réfugié en Charente-Inférieure, non signée, 15 janvier 1940. 588ADM 29J2075, lettres de prêtres à l‟évêque Mgr Heintz.

589ADM 229J1131, lettre circulaire non datée, non signée. 590

Le Lien, janvier 1940, p. 1. Article Die Evakuierten und die französische Sprache.

591Le Lien, février 1940, p. 1 et mai 1940, p. 3. Article Lernen wir jeden Tag so ein bisschen Französisch. Quelques

C2-6 Suspects

Le décret du 19 novembre 1939 crée le régime « des individus dangereux pour la défense

nationale ou pour la sécurité publique ». Aucune définition du mot « dangereux » n‟est donnée. Il

frappe préventivement sur décision préfectorale sans débat contradictoire592. Or, l‟évolution défavorable du conflit, l‟ambiance délétère, la peur de la 5e

colonne conduisent à suspecter notamment certains ecclésiastiques de complicité avec l‟ennemi. Une lettre circulaire à tous les prêtres d‟Alsace-Moselle souligne la détérioration de l‟ambiance : « Depuis quelques semaines… la

bonne entente… a subi un regrettable accroc. La nervosité générale due à la situation militaire a provoqué une certaine méfiance chez les uns et un peu de ressentiment chez les autres… La différence de langue y est pour beaucoup… La préfecture de la Dordogne par exemple a pris la louable initiative d’adresser un appel aux maires du département pour les inviter à user de toutes leurs influences pour faire comprendre à leurs administrés qu’il convient plus que jamais de garder son sang-froid et son jugement sain et pour les mettre en garde contre la grande erreur de penser que ceux qui se servent d’un dialecte à racine germanique doivent être animés de sentiments tièdes à l’égard de la France… Nous invitons les ministres du culte à se servir d’une manière plus méthodique et plus intensive de la langue nationale, notamment dans leurs rapports avec la jeunesse. Nous les prions également de réserver une plus large place à cette langue dans les cérémonies religieuses publiques… Plus que jamais, il faut que la nation soit unie, sans fissure et sans défaillance593 ». Pourtant, l‟abbé Adam, curé de Russange, connu pour être un ardent défenseur de l‟école mosellane bilingue et donc soupçonné d‟en vouloir aux Français, est visé par un acte de censure pour avoir rappelé les promesses de maintien des traditions d‟Alsace-Lorraine dans les terres d‟accueil de Camille Chautemps, vice-président du Conseil chargé des affaires d‟Alsace-Lorraine594

. Le préfet de Charente reproche au curé Alphonse Hoellinger de Wiesviller son franc-parler, sa critique de l‟action gouvernementale et l‟attitude de ses hôtes595. Le curé de Kappelkinger évoque également cette suspicion : «… Au moment-ci, il ne fait pas bon en Charente :

le mot « boche » est à l’ordre du jour... Ce qu’il y a de terrible c’est que les communistes profitent des circonstances pour nous reprocher tous les malheurs qui touchent la France en se basant sur certaines arrestations de prêtres. C’est tout simplement une avalanche de reproches et de suspicions qui déferlent sur nous. Malgré tout, je tiens bon dans mon secteur plus animé que jamais596 ». Le chanoine Gaston Louis, député de la Moselle, réfugié à Mansle (Charente),

592Le Lorrain, 5 décembre 1939, p. 1.

593ADM 29J1131, lettre circulaire, non datée, non signée. 594

Jean-Eric Iung, déjà cité, p. 107.

595ADC 9M9-10, enquêtes sur les suspects.

intervient auprès des préfets et des conseillers généraux pour défendre ses collègues : « Cependant

quand il y a des griefs fondés, il n’y a guère moyens d’insister597 ».

Le traditionalisme religieux, l‟influence auprès de la population très pratiquante et l‟implication de prêtres dans la vie civile les désignent par les milieux communistes comme des contradicteurs à combattre. Ainsi, le secrétaire des mineurs mosellans CGT prépare un dossier sur des aumôniers lorrains qui « feraient auprès des réfugiés une propagande autonomiste et

antinationale598 ». La critique est sévère et globale. Les relents du « problème alsacien » des années

1924-29 mis en lumière par les procès de Colmar et de Besançon remontent à la surface. Les prêtres mosellans régionalistes engagés y sont associés. Ainsi le préfet de Cognac écrit au préfet de Charente : « Je tiens les prêtres mosellans, a priori, pour suspects au point de vue national599…». On retire des paroisses à quelques prêtres600. Certains prêtres sont inscrits sur le carnet B601. Deux prêtres sont tout particulièrement surveillés : les abbés Louis Pinck et François Goldschmitt.

Dans l‟affaire Joseph Brauner, directeur des archives à Strasbourg, et Joseph Oster, directeur des hospices de Strasbourg, inculpés d‟espionnage le 9 septembre 1939, une perquisition a lieu chez l‟abbé Louis Pinck à Hambach. Aucun document intéressant l‟affaire n‟est saisi. L‟abbé est alors interrogé sur son lieu de refuge à Lisieux (Calvados) 602, les 23 et 24 janvier 1940. « L’abbé Pinck a

reconnu que les services de la propagande allemande se sont emparés de ses ouvrages dans un but de propagande pangermaniste et prétend avoir protesté contre ce fait et de l’abus qui en a été fait par les services du Reich603 ». Une nouvelle perquisition a lieu le 8 mars 1940 qui aboutit à la saisie

de documents attestant que l‟abbé Pinck a bien reçu des sommes très importantes de la fondation Toepfer. Le rapport conclut que « l’abbé Pinck a toujours été un agent à la solde du Reich aussi

bien sous le régime de Weimar que sous le régime hitlérien et d’autre part que les Allemands ont ajouté à ses études soi-disant folkloriques et scientifiques une importance des plus considérables comme constituant un appoint précieux à l’action culturelle et politique déployée par les dirigeants du Reich en vue de la réalisation du Grossdeutschland604 ». L‟abbé Pinck est à nouveau interrogé à

Lisieux le 13 mars 1940. Sa maladie déjà fort avancée empêche son arrestation605.

597ADM 29J2114, lettre du chanoine Gaston Louis, 5 juin 1940. Il aurait ainsi évité l‟internement de l‟abbé Ammer. 598ADPC M5310, lettre du sous-préfet de Béthune, 18 avril 1940.

599

Cité par Marcel Neu, déjà cité, p. 163.

600ADM 29J2114, lettre du chanoine Gaston Louis, 5 juin 1940. Le chanoine Louis cite le cas de l‟abbé Jean Ammer,

curé de Launstroff, évacué à Saint-Maurice-des-Lions (Charente) et de Pierre Bach, curé de Woustviller, évacué à Balzac (Charente).

601

Le carnet B est l'instrument principal de surveillance des « suspects », français ou étrangers, sous la Troisième République. Il est créé en 1886 par le général Boulanger, pour lutter contre les activités d'espionnage. Géré par le ministère de l'Intérieur, il est progressivement étendu à tous les individus pouvant troubler l'ordre public ou antimilitaristes qui pourraient s'opposer à la mobilisation nationale. La circulaire du 15 février 1922 subdivise le fichier en trois groupes : les étrangers, les Français suspects d‟espionnage et les Français qui représentent réellement un danger pour l‟ordre intérieur.

602L‟abbé Pinck est évacué avec Hambach à Salles-d‟Angles (Charente) le 1er septembre 1939. Puis, après les premiers

signes d‟une grave maladie, il se réfugie à Lisieux, rejoint par sa sœur, religieuse à Saint-Jean-de-Bassel.

603

ADM 285W192, lettre du commissaire spécial Lutzelhouse, 27 janvier 1940.

604ADM 285W192, rapport du commissaire spécial Paul Kleine, 9 mars 1940. 605Henri Hiegel, déjà cité, p. 260.

Le 20 janvier 1940, l‟abbé Goldschmitt de Rech réfugié à Mansle est interrogé par le commissaire Becker sur ses relations avec l‟abbé Scherer, président de l‟Association des catholiques allemands à l‟étranger. Goldschmitt ne nie pas que Scherer l‟a aidé pour Le Colportage avec des conditions avantageuses et a fait imprimer un recueil de chants et prières pour le diocèse de Metz. Mais on lui reproche aussi de prêcher en allemand. On le qualifie de « demi-Prussien ». Pourtant dans Le Lien, Goldschmitt se place du côté français. Il déclare que « dans cette guerre

provoquée par Hitler, les Lorrains combattent pour Dieu, pour l’Eglise, pour leur patrie, la Lorraine et pour leur grande patrie, la France606 ». Il ironise sur les leaders du parti nazi607. En mai 1940, dans un article sur la dévotion à la Vierge Marie, il lui demande de sauver la France608. Mais on l‟accuse apparemment faussement d‟avoir empoché une somme de 2 000 francs destinée à un hôpital et de s‟être emparé de colis envoyés de Moselle. Fin mai, un instituteur de Mansle raconte à la police que l‟abbé prend les mesures des ponts sur la Charente et qu‟il attend tous les soirs au cimetière des parachutistes allemands609. L‟abbé Goldschmitt est arrêté le 28 mai 1940 car jugé

« dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique », sans qu‟on en sache exactement le

motif. L‟abbé Golschmitt écrit initialement ne rien savoir des raisons de son arrestation : « peut-être

la suite de mes relations avec les éditions allemandes de Scherer ?... Peut-être la suite de la rédaction du Lien ? » Puis il émet une hypothèse : son opposition au maire anticlérical lorsque ce

dernier a voulu chasser des réfugiés belges sous une pluie battante que Goldschmitt a finalement logés au presbytère610. L‟abbé est conduit à la prison d‟Angoulême, puis interné au camp de Sablou à Fanlac (Dordogne)611 jusqu‟au 5 juillet612 malgré les interventions de Mgrs Louis, Schmit et de Mgr Megnin, évêque d‟Angoulême. Sa sœur expédie encore le numéro 10 du Lien. Après l‟armistice, les services secrets allemands ne recherchent pas l‟abbé pour le libérer à l‟instar des

Nanziger ou des Allemands antinazis réfugiés en France. Ni ami, ni ennemi, il rentre à Rech fin

septembre 1940 avec ses paroissiens dans l‟indifférence des autorités allemandes. Mais, étonnement, son frère Joseph, mariste, n‟a pas l‟autorisation des Allemands de rentrer en Moselle613.

Ces cas demeurent exceptionnels : deux sur 318 prêtres mosellans évacués. De même, parmi les 461 personnes jugées suspectes des secteurs de Sarrebourg-Phalsbourg et surtout Saverne-

606Le Lien n°2, janvier1940, p. 4. Article “Wir Evakuierten und Frankreich, unser Vaterland”. 607Le Lien, février 1940 et mars 1940.

608Le Lien, mai 1940, p. 1. 609

François Goldschmitt, déjà cité, n°3, p. 12 et Paul Marque, La Ligne Maginot aquatique, Sarreguemines, éditions Pierron, 1989, p. 170.

610ADM 29J2073, lettres de l‟abbé Goldschmitt à Mgr Heintz, mai-juin 1940.

611ADM 29J2073, lettre de l‟abbé Goldschmitt à Mgr Heintz, juin 1940 : il y aurait « 300 détenus dont 250

communistes».

612ADM 29J2108, lettre de l‟abbé Unterreiner, archiprêtre de Sarralbe, évacué à Vars (Charente).

Strasbourg internées par les autorités françaises le 23 mai 1940 au fort d‟Arches et à Saint-Dié (Vosges), on ne relève que deux prêtres catholiques, au demeurant alsaciens614.

Ces suspicions sont l‟aboutissement de l‟ambiance générale et de cette incompréhension entre deux communautés, l‟une indifférente, l‟autre fervente pratiquante et… dialectophone. Mais l‟ambiance se dégrade avec l‟attaque allemande vers la France où la 5e

colonne est dénoncée sans retenue. Ainsi, Mgr Schmit reçoit une lettre le 22 mai 1940 d‟un « groupe de paroissiens patriotes » de Saint-Cyr-La-Rivière (Essonne) dénonçant un prêtre d‟origine allemande naturalisé hollandais supposé être du diocèse de Metz, mais qui ne l‟est pas. On soupçonne ce prêtre d‟être un espion allemand, un admirateur d‟Hitler615

. Début juin, après une conférence à la préfecture de Périgueux sur les rumeurs de 5e colonne dans les rangs alsaciens-mosellans, Charles Altorffer publie une circulaire aux ministres du Culte pour les inviter à veiller sur leurs ouailles ainsi qu‟une autre circulaire au sujet de la langue616. L‟ambiance est délétère et malsaine.

A l‟inverse, il faut noter qu‟en juin 1940, le père Joseph Brunner, curé de Saint-Georges, évacué à Hénin-Beaumont (Pas-de Calais), est nommé maire intérimaire par l‟ensemble des conseillers municipaux en l‟absence du premier magistrat parti en exode617