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Chapitre D : Une situation dégradée par les évènements

L‟attaque allemande du 10 mai 1940 sur le Benelux et la France complique un peu plus la situation en Moselle étant donné la proximité des assaillants. Mgr Heintz exprime immédiatement toute sa crainte redoublée : « Le vendredi 10 mai 1940 restera une date historique. Le crime qui

nous est destiné lève l’indignation dans l’avenir… Ce jour est celui où se déchaîne la guerre totale avec toute sa cruauté. C’était le début d’une grande épreuve, une grande épreuve avec une peine inexprimable pour la France, pour ses soldats, pour vous, pour tous les fils de leur patrie. A l’heure où je vous écris, la situation semble encore s’aggraver. Nous subissons des heures tragiques. Nous traversons une nuit sombre ». En même temps, il livre un message d‟espoir : « Dans cette obscurité brille une étoile de notre foi. Elle nous dit : « Le Seigneur est notre salut »… Comme dans ces jours de 1914, pendant la retraite avant la victoire de la Marne, nous voulons garder une confiance inébranlable. Confiance en la France… Confiance dans le Christ que les Français aiment malgré leurs erreurs et leurs fautes et dans l’église menacée de destruction par le paganisme hitlérien637 ».

Il n‟est plus possible, pour des raisons de sécurité, d‟organiser de grands rassemblements. Les processions religieuses, notamment la Fête-Dieu et la fête du Sacré-Cœur, habituellement organisées au mois de mai soit dans les rues, soit dans la cathédrale de Metz, sont annulées. Il est conseillé de faire des réunions paroissiales. « Nous voudrons compenser par une plus grande

ferveur d’âme ce qui manquera à l’éclat extérieur dont nous aimons à revêtir nos solennités… Faites un courageux effort pour assister à la sainte messe particulièrement la semaine… Récitez le chapelet en famille… Faites beaucoup prier vos enfants… Besognons et Dieu besognera638…». Les

confirmations prévues entre le 13 mai et le 12 juin 1940 avec la venue de l‟évêque639

sont reportées. La visite canonique prévue pendant l‟été 1940 est remise à de meilleurs jours640. Le Lorrain ne paraît plus que sur deux pages du 22 mai 1940 au 14 juin 1940 où il s‟arrête avec à la une le titre « Nous gardons la confiance, le jour de la résurrection viendra ». Son directeur politique, l‟abbé Hennequin, décède le 18 mai et son rédacteur en chef, Paul Durand, fuit la Moselle avant l‟arrivée des Allemands.

Lorsque les Allemands bombardent Frescaty, le 10 mai 1940, l‟établissement du Petit séminaire replié à Augny ferme. Les parents viennent chercher leurs jeunes641. Par peur des bombardements, des malades du couvent de Lettenbach sont mis en sécurité car les couvents à l‟intérieur sont combles avec les réfugiés du Nord et de Belgique642

. Le 18 mai 1940, des élèves du pensionnat d‟Oriocourt sont congédiés et l‟établissement est réquisitionné le 22 mai pour accueillir

637ADM 1W444, lettre circulaire aux prêtres et séminaristes mobilisés, mai 1940.

638Le Lorrain, 25 mai 1940, p. 2. Communications aux diocésains de Mgr Heintz, 24 mai 1940. 639Communications officielles de l’évêché de Metz, mars 1940, pp. 9-12.

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ADM29J1195, lettre du 9 juin 1940 Congrégation Sainte-Marie Réparatrice à la Hoube.

641Témoignage Victor Didelon, déjà cité.

des évacués643, car une seconde zone territoriale située juste à l‟arrière de la ligne Maginot est évacuée. Ainsi 92 732 habitants des arrondissements de Thionville-ouest et de Boulay ainsi que sept communes de l‟arrondissement de Sarreguemines, et donc presque autant de catholiques, sont embarqués vers le centre de la France644. Cinquante-deux prêtres les accompagnent essentiellement dans la Côte-d‟Or, le Puy-de-Dôme et la Vienne. C‟est ainsi que de nouvelles communautés religieuses féminines sont encore évacuées. Par exemple, l‟école ménagère de Thionville- Beauregard part à Nancy le 22 mai 1940. L‟hôpital de Thionville-Beauregard, la maison de la charité et clinique Sainte- Elisabeth de Thionville et la maison de la Charité de Guentrange se replient le 28 mai. A l‟inverse, des communautés mosellanes accueillent des sœurs en exode depuis le Luxembourg645.

La peur de la 5e colonne entraîne un contrôle plus sévère des Allemands. Ainsi, toutes les sœurs des congrégations sont recensées. Au 24 mai, l‟évêché en comptabilise 113 sur le département mosellan auxquelles il faut rajouter 13 sœurs venues du Luxembourg réfugiées en Moselle646. Alors que les personnes de nationalité allemande doivent être dirigées vers les régions à l‟intérieur de la France, les religieuses de nationalité allemande sont autorisées à rester dans leur communauté à condition de ne pas quitter la localité où elles habitent, de ne pas faire ou recevoir de visites et de ne pas envoyer ni recevoir de lettres qui soient compromettantes au vue de la défense nationale647. Malgré cette relative clémence, une sœur allemande de Talange de la congrégation de la Doctrine chrétienne de Nancy est arrêtée par la police le 19 mai et finalement libérée grâce à l‟intervention de l‟évêque648

. Le 19 mai 1940, un groupe de sept frères de l‟orphelinat de Guénange en promenade vers Uckange est contrôlé par la prévôté parce qu‟ils observent trop longuement un entonnoir créé par un bombardement. Ne pouvant pas tous fournir de papiers, ils sont soupçonnés d‟être des espions ou des parachutistes allemands et conduits à la prison de Thionville où ils sont reconnus et finalement immédiatement relâchés. La même mésaventure arrive à un autre frère chargé de récupérer un enfant dans sa famille à Uckange en longeant la voie ferrée. Reconnu par un gendarme, il peut finalement rentrer à l‟orphelinat649. Le curé de Haselbourg, né en Allemagne, est

643Anonyme, déjà cité, p. 23. 644Henri Hiegel, déjà cité, p. 62.

645ADM 29J1172. Les sœurs du Luxembourg ont été évacuées à Plappeville le 15 mai 1940. 646

ADM 29J1172 : sœurs du couvent Reinacker (Bas-Rhin), 1 sœur allemande à Phalsbourg ; sœurs de l‟école chrétienne Miséricorde : 1 à Metz ; sœurs de la Charité de Strasbourg : 3 à Lettenbach et 2 à Montigny ; sœurs des Pauvres de l‟Enfant Jésus à Plappeville : 6 ; sœurs St-Jean-de-Bassel : 2 ; sœurs de la Doctrine chrétienne Nancy : 1 à Talange, 1 au pensionnat de Château-Salins et 1 à Hagondange ; filles de la Charité de St-Vincent de Paul Bon Secours : 1 à St-Nicolas à Metz, 3 à l‟orphelinat St-Joseph Metz, rue Marchant, 1 à Belletanche et 1 à l‟hôpital des Mines à Algrange ; sœur du Très Saint-Sauveur à Oberbronn en Alsace : 1 en Moselle ; congrégation Niederbronn : 1 à Basse-Ham, 1 à Hayange, 2 à l‟hôpital d‟Ottange, 3 à l‟hôpital St-Joseph Phalsbourg; congrégation Ste-Chrétienne : 17 à Argancy (maison de retraite), 12 à Rémilly (maison de retraite), 4 à la Maison St-Vincent, 2 au séminaire Montigny, 1 au Grand séminaire Bévoye, 1 pensionnat St-Avold, 1 à la maison mère rue Dupont-des-Loges ; sœurs de la Providence de Peltre : 10 à Peltre, 3 au noviciat de Jouy-aux- Arches, 2 à la maison de retraite à Jouy, 1 à l‟école du village à Jouy ; Petites Sœurs des Pauvres : 7 ; filles de la Charité de St-Vincent-de-Paul : 4 ; sœurs de la Charité de Strasbourg à Gorze : 4 ; communauté Pépinville : 8, 1 à Uckange et 1 à Chazelles ; sœurs Cœur-de-Marie à Vic/Seille : 2.

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ADM 29J1172, lettre de l‟évêché, 24 mai 1940.

648ADM 29J1172.

encore arrêté le 29 mai 1940 par la sous-préfecture de Sarrebourg comme « suspect » suite aux plaintes du général Bonnet650. Après le 10 juin 1940 et la déclaration de la guerre de l‟Italie à la France, la question est posée concernant les rares sœurs d‟origine italienne, sans qu‟on ait donné de consignes particulières aux supérieures, car les événements se précipitent.

Le 14 juin, Metz est déclarée ville ouverte. L‟aumônier de l‟hôpital militaire de Legouest part avec la garnison et ne revient qu‟en 1945651

. Les Allemands défilent sur les Champs-Elysées à Paris et attaquent la ligne Maginot en Moselle dans le secteur de Sarralbe-Puttelange-lès- Farschviller où des églises sont détruites par l‟artillerie allemande et quelque fois par l‟artillerie française652. Au final, d‟après les descriptifs faits par les prêtres, l‟abbé Louis Thomas chargé de la reconstruction par l‟évêque en 1945 établit une liste de 11 édifices religieux considérés comme détruits à 100% en 1940, 13 entre 75 et 90%653 et donc inutilisables654.

Mais cette liste de 1945 nous paraît être un minimum car depuis 1940, certains édifices ont subi des travaux. A l‟inverse, des églises sont à nouveau endommagées en 1944-1945, sans qu‟il soit précisé la date des dégâts. Aussi avons-nous dû consulter tous les dossiers mais les questionnaires remplis par les curés sont plus ou moins précis. Souvent, seule la catégorie d‟état de l‟église est indiquée, sans autres indications. De plus, nous ne connaissons pas les critères qui ont prévalu pour déterminer le pourcentage de destruction. Ils paraissent pour le moins subjectifs, évalués par les curés qui donnent leurs sentiments plutôt que de s‟appuyer sur une grille d‟évaluation standardisée. Ainsi, à Vic/Seille, deux rapports sont établis. L‟un, plus précoce, élaboré par l‟administrateur de la paroisse, estime que l‟église est « inutilisable ». L‟autre est fait au retour du curé à l‟été 1945 qui déclare l‟église utilisable après travaux. Les deux constatent pourtant les mêmes dégâts : toiture ouverte par endroits, vitraux cassés655... Aussi quand on étudie les dossiers et les descriptifs, on s‟aperçoit que certaines églises sont déclarées « inutilisables » mais ne sont pas répertoriées détruites à plus de 75% par l‟abbé Thomas : Evrange, Loutzviller, Marienau, Marienthal, Montdidier, Nousseviller, Valette. De plus, d‟après la photothèque de l‟association Ascomémo qui dispose de photos allemandes prises à l‟été 1940, il nous paraît étonnant que d‟autres églises comme celles de Vahl-Ebersing ne figurent pas dans la liste au moins parmi les églises partiellement détruites et que des églises déclarées partiellement détruites comme celles de Behren-lès-Forbach, Hoste, Puttelange-lès-Farschviller, ne soient pas, en fait, déclarées totalement

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ADM29J1195, lettre congrégation Sainte-Marie Réparatrice à la Hoube, 9 juin 1940. 29J2076, lettre de l‟abbé Muller, 2 juin 1940.

651Anonyme, déjà cité, p. 26.

652C‟est le cas par exemple pour l‟église de Puttelange-lès-Farschviller ou le clocher d‟Ormersviller. Le clocher

d‟Ellviller est visé parce que les Allemands qui s‟y sont installés utilisent l‟horloge pour communiquer.

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Louis Thomas, « La grande pitié des églises sinistrées de la Moselle », dans Bulletin d’information de l’Union des

groupements mosellans des spoliés et sinistrés, juin 1953, pp. 3-6. Henri Hiegel, Ils disent Drôle de guerre ceux qui n’y étaient pas…, Sarreguemines, éditions Pierron, 1989, tome 2, p. 300. Le Lien, février 1941, p. 12. Ascomémo,

photothèque.

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Cinq catégories sont fixées : 1-totalement détruite, 2-partiellement détruite, inutilisable, 3-partiellement détériorée, utilisable après travaux importants, 4-partiellement détériorée, utilisable actuellement, 5-intacte.

détruites. A l‟inverse, les églises de Guntzviller, Rosbruck, Willerwald déclarées complètement détruites ne le sont pas sur les photos de 1940. Les intempéries, les combats de 1944 les ont-elles achevées656 ? A ces destructions d‟églises, il faut encore ajouter les destructions de presbytères comme à Escherange, Loutzviller, Zetting ou de chapelles comme à Ormersviller, Schweyen. De toute évidence, plusieurs dizaines d‟églises ont aussi le toit ou le clocher descendus, les vitraux brisés ou des trous d‟obus dans les murs nécessitant des réparations conséquentes.

Liste des églises endommagées en 1940 d’après l’abbé Louis Thomas

lieu date Partiellement

de 75 à 90% Totalement à 100% AUMETZ juin 1940 X BEHREN-LES- FORBACH 12 mai 1940 X BLIESBRUCK juin 1940 X BOURDONNAY 18 juin 1940 X BROUDERDORFF 19 juin 1940 X ELLVILLER juin 1940 X ESCHERANGE mai 1940 X FOULCREY 18 juin 1940 X FRAUENBERG juin 1940 X GUNTZVILLER 18 juin 1940 X GUEBENHOUSE juin 1940 X HOSTE-HAUT 14 juin 1940 X LIEDERSCHIEDT juin 1940 X MAXSTADT juin 1940 X MERTEN 18 février 1940 X MORSBACH mai-juin 1940 X PUTTELANGE- LES - FARSCHVILLER 5 juin 1940 14 juin 1940 X REMERING-LES- PUTTELANGE 5 juin 1940 X ROCHONVILLERS juin 1940 X ROSBRUCK 12 mai 1940 X ROUSSY-LE- VILLAGE juin 1940 X TROMBORN 10 mai 1940 X USSELSKIRCH 14 juin 1940 X VITTERSBOURG 15 juin 1940 X WILLERWALD 5 juin 1940 X

656Philippe Wilmouth et Philippe Keuer, La bataille du 14 juin 1940 dans la Trouée de la Sarre, imprimerie Klein,

Knutange, 2007. Une partie des photos de l‟Ascomémo sur ce secteur figure dans ce livre. Merci à Philippe Keuer, spécialiste du secteur de la Trouée de la Sarre, pour ses commentaires critiques de la liste de l‟abbé Thomas, juillet 2013.

Vahl-Ebersing, déclarée « non sinistrée ». (coll. AD 29J25628)

Willerwald déclarée « totalement détruite ». (coll. Ascomémo)

Marienthal déclarée non utilisable « détruite à moins de 75% ».

(coll. Ascomémo)

Behren-lès-Forbach déclarée « partiellement détruite ». (coll. Ascomémo)

Hoste déclarée « partiellement détruite ». (coll. Philippe Keuer)

Rosbruck déclarée « totalement détruite ». (coll. Ascomémo)

Puttelange-lès-Farschviller « détruite à plus de 75% ».

(peinture de Karl Ludwig Prinz, catalogue d’exposition « Zwischen Westwall und Maginotlinie » 1943, coll. Ascomémo)

A partir du 15 juin, les évacués réfugiés au pensionnat d‟Oriocourt et les sœurs s‟abritent à la cave à cause des bombardements657. A Gondrexange, les documents brûlent dans le presbytère658. Dans cette panique de juin 1940, des prêtres et des pensionnaires d‟établissements religieux fuient les Allemands. Des petits séminaristes et leurs professeurs quittent Vigneulles dans la nuit du 14 au 15 juin 1940 et arrivent à Lhommaizé (Vienne) le 8 juillet, soit après trois semaines d‟exode659. Le supérieur réussit à rejoindre sa famille à Baerendorf (Bas-Rhin)660. Sept frères quittent l‟orphelinat de Guénange pour se refugier pendant quinze jours à Planois (Vosges). Un autre part à bicyclette vers Epinal mais doit finalement rentrer à Guénange trois jours plus tard661. Les sœurs de Lettenbach quittent également le couvent. Paul Friang, curé de Bidestroff, et Jean Chatillon, professeur au collège Saint-Clément à Metz, fuient la Moselle le 16 pour s‟installer en Meurthe-et- Moselle. Le quotidien catholique Le Lorrain paraît une dernière fois le 14. La Lothringer

Volkszeitung sort encore le lendemain et annonce la tenue d‟une assemblée générale ordinaire de la

Coopérative d‟Editions et d‟Impression pour le 21 juin… qui ne pourra finalement pas avoir lieu. Le 16, deux vicaires de Nilvange sont tués près de Lunéville : les abbés Turck et Sandré.

Le 17 juin 1940, alors que le chef du gouvernement, le maréchal Philippe Pétain, appelle à cesser les combats, les Allemands arrivent au couvent de Saint-Jean-de-Bassel avec des blessés et des évacués de Languimberg où la bataille fait rage. Les sept sœurs infirmières se mettent à la disposition des blessés. A Gandrange, le curé et deux habitants accueillent les Allemands662.A 17 heures, les Allemands arrivent à Metz et accrochent un drapeau à croix gammée sur la cathédrale.

La défaite est cinglante. La signature de l‟armistice permet aux évacués de rentrer au pays. Le diocèse de Metz écartelé par les évacuations et la mobilisation va-t-il pouvoir se ressouder ?

657Anonyme, déjà cité, p. 23.

658ADM 29J2111, lettre à Mgr Schmit de l‟abbé Hoen, curé de Gondrexange. 659ADM 1W744, lettre de l‟abbé Louis, 3 août 1940.

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ADM 29J1675, lettre de l‟abbé Fourrer, supérieur du collège de Bitche replié à Vigneulles, 29 juillet 1940.

661Apollin-Georges, déjà cité p. 274.

Chapitre E : Sous l’autorité militaire allemande,