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L‟évêque de Metz indique dans une homélie toute l‟importance de la tâche des prêtres- soldats au milieu de la troupe : «… Le prêtre est un type d’élite. Par décret divin, il a mission de

paître, de conduire, de régner sur le troupeau du Seigneur… Messieurs, aujourd’hui plus que jamais, les hommes de notre pays ont besoin de notre service, de notre sacrifice, c’est ainsi que nous régnerons sur leurs âmes474…».

Aussi, les prêtres mobilisés sont au service des catholiques mobilisés, d‟où qu‟ils viennent. Ils célèbrent la messe, entendent la confession des soldats et parfois des civils quand les prêtres de la paroisse sont absents475. Ils organisent la messe de minuit, les communions, des foyers de soldats, des groupes d‟amitié et les fêtes de Pâques. Ils disposent d‟un autel portatif distribué par

468La patrie.

469ADM 41J6, fonds Moppert, avocat d‟Antoni, page d‟un Almanach certainement de 1941. 470

Charles Roos est fusillé le 7 février 1940 à Champigneulles, près de Nancy. Tous les autres sont libérés en juin 1940 par les Allemands.

471François Roth, Robert Schuman, Paris, Fayard, 2008, p. 225. ADM 34J6, lettre de Sturmel, 28 septembre 1940 :

Schuman « a été le seul (souligné par Sturmel) parlementaire d’Alsace et de Lorraine qui pendant que nous étions

internés à Nancy s’est entremis en notre faveur avec calme et conviction. »

472Victor Antoni, Grenzlandschicksal-Grenzlandtragik, Sarrebruck, sans éditeur, 1957, p. 168.

L'expression est initialement utilisée lors d'une allocution radio diffusée par le général Emilio Mola, membre de l'état- major des forces nationalistes espagnoles en 1936 pendant la guerre d'Espagne parlant des partisans nationalistes cachés au sein du camp républicain. Par extension, l'expression désigne tout groupe de partisans infiltrés, généralement civils, prêts à œuvrer de l'intérieur pour favoriser activement la victoire des forces armées traditionnelles du même camp. Dès la déclaration de guerre et pendant la drôle de guerre, il s'est instauré un climat d'« espionnite ». On placarde des affiches de mise en garde, par exemple : « Se taire, c'est servir», on demande aux soldats de se méfier des « conversations de café », des « photographies de touristes» ou de supposés faux officiers. Voir à ce sujet, Jean-Louis Crémieux-Brihac, Les Français de l’an 40, Paris, Gallimard, 1990 (2 volumes).

474ADM 29J2087, homélie de Mgr Heintz du 1er juin 1940 au Grand séminaire de Metz qui prend Jeanne d‟Arc pour

exemple de sacrifié divin : « …La Sainte Patronne de la France elle aussi a eu à commander, à régner sur les hommes

de sa patrie et elle n’a connu qu’un moyen de s’acquitter de ce devoir : servir… La vie de Jeanne est faite de renoncement ; ce renoncement est tout fait d’Amour : tout prêtre doit en être là : Servire regnare est…. »

l’Association de Notre-Dame du Salut. Les carmélites de la rue des Trinitaires restées à Metz

proposent aux curés mobilisés l‟envoi de pain d‟autel476

. Les revues Miroir, Match et

L’Illustration477

consacrent des reportages photos à ces prêtres, notamment au moment de Noël 1939. Ces revues permettent de garder le contact entre les prêtres en service pour la défense de la patrie et leurs paroissiens et participent à l‟image positive du clergé478

.

Tous sont contents de pouvoir mener un apostolat auprès de ces soldats qui fréquentent en nombre les offices. Pour l‟abbé Emile Berrar, professeur au Grand séminaire, mobilisé au 44e BCP en Alsace, « le contact de tous les jours avec des camarades heureux de sentir un prêtre près d’eux,

l’action discrète possible par la vie en commun sont un véritable réconfort. Nous sommes tellement privilégiés comme prêtres de pouvoir tout emporter avec nous : messe, bréviaire et le bien à faire ici plus encore qu’ailleurs…». L‟abbé Joseph Pierre, vicaire de Sarralbe, maréchal des logis au 403e

RDCA, confirme la joie que leur procure cet apostolat : « Certes je regrette infiniment ma vie de

prêtre de temps de paix, mais d’autre part, je me réjouis du sort de prêtre-soldat qui m’est assigné actuellement. Que de leçons à retenir, que de renseignements à tirer de ces quelques mois de guerre de ce milieu tout nouveau dans lequel nous sommes plongés. Certes, il y a quelques têtes dures, quelques indifférents, mais à côté d’eux, que de bons jeunes gens que d’hommes de caractère que de belles âmes ! Un petit exemple : pendant la messe de minuit que j’ai dite dans un abri, décoré et illuminé pour la circonstance, six hommes sur huit de ma pièce se sont approchés de la table sainte. Oui, on aime encore le prêtre surtout si ce dernier sait se donner à tous en vrai camarade, en ami. Comme je n’ai dans ma pièce presque que des Alsaciens-Lorrains, ils s’adressent chaque fois à moi quand il s’agit d’écrire une lettre en français ». L‟abbé Damant trouve que la présence des prêtres

au milieu de la troupe est une chance : « Comme il y a de belles âmes parmi tout ce monde - 700

soldats -. Le tout est de les trouver et de les diriger. C’est une occasion unique pour certains de connaître le prêtre…». Leur présence permet à des hommes issus de régions déchristianisées de

renouer avec la religion. L‟abbé Joseph Lett de Malaucourt donne dans une lettre du 23 avril 1940 toute la mesure de l‟ampleur du travail à faire : « …Une chose me paraît tous les jours de plus en

plus certaine ; c’est que nous avons un travail immense à accomplir si nous voulons que cette guerre profite aux âmes et qu’elle hâte l’instauration du règne de Dieu parmi les hommes. A première vue, cela m’a paru même impossible vu que l’ignorance et surtout l’indifférence religieuse de la masse est tellement grande mais grâce à vos encouragements et à ma confiance inébranlable dans nos beaux mouvements de jeunesse catholique, je me suis remis au travail avec ténacité et persévérance… Et maintenant un cercle d’étude hebdomadaire fonctionne régulièrement où officiers, sous-officiers et simples soldats travaillent la main dans la main pour s’instruire et

476Le Lorrain, 24 septembre 1939, p. 3.

477Miroir, 8 octobre 1939 et 7 janvier 1940, Match, 4 janvier 1940 et 14 mars 1940, L’Illustration, 8 février 1940 et 9

mars 1940.

478

Témoignage oral de Roland Wilmouth, né en 1930 à Hagondange, septembre 2011. Il a été marqué par la photo de l‟abbé Auguste Lagrange, lieutenant au Hackenberg, publiée dans Match du 14 mars 1940. Il raconte qu‟à cette occasion, les Hagondangeois se sont arraché la revue pour voir leur prêtre en uniforme.

relever le niveau religieux, moral et même matériel du milieu où ils vivent. Une petite retraite pascale nous a permis d’obtenir qu’au moins 25% de l’effectif ait fait ses pâques. Mais là je suis fier de dire que ce sont nos Lorrains qui ont montré le plus de courage et de bonne volonté. Les lectures cinéma et surtout les revues pornographiques qui se vendent parmi la troupe est un chapitre très délicat... Ces revues sont funestes pour le moral des soldats...». Des prêtres estiment

faire œuvre de mission. Julien Freund, vicaire de Thionville, mobilisé au 42e DAT, écrit le 15 mai 1940 que « …le moment est venu de faire le sacrifice de sa vie pour la noble cause de la

conservation et l’extension du christianisme en France et dans le monde. C’est le leitmotiv de ma prière de tous les instants. Ce sera en son temps la condition de notre victoire certaine…». Ainsi,

des prêtres mosellans font quelques baptêmes de soldats.

Néanmoins, certains se plaignent de l‟isolement. Pourtant, le contact des séminaristes mobilisés avec les non-mobilisés est maintenu tant bien que mal. Fin septembre 1939, une première lettre circulaire leur est envoyée par le supérieur du Grand séminaire. L‟évêque leur transmet également un mot d‟encouragement. Le bulletin de liaison, La Mutte, reparaît irrégulièrement en 1940 après quatre mois d‟interruption. Il est envoyé aux séminaristes mobilisés479. Un prix spécial est accordé aux mobilisés pour l‟abonnement au journal Le Lorrain, 7 francs par mois au lieu de 10480. Des correspondances régulières arrivent au Grand séminaire jusque début juin 1940. Les lettres pastorales de Mgr Heintz en septembre-octobre 1939 et en février 1940 sont un réconfort, comme le souligne l‟abbé Dibourg, vicaire de Forbach : « Isolé, un peu perdu dans la masse

uniforme, la méditation de vos lettres redonne courage et confiance et me rappelle le rôle que je dois continuer à remplir malgré les difficultés auprès de mes compagnons de malheur481 ». Pour

garder le contact, Mgr Heintz envoie cinq lettres circulaires de septembre 1939 au 6 mai 1940 à ses prêtres soldats qu‟il qualifie d‟« apôtres ». Il ordonne plusieurs clercs dans des villages sur le front de Moselle482.

Mais l‟abbé Ferdinand Antoine, curé de Lucy mobilisé au 146e

RIF, le reconnaît : « Vivre

avec les soldats, partager leur vie, leurs repos et leurs difficultés est l’idéal pour le prêtre. Mais quand cette vie monotone et sédentaire se prolonge, il se crée un esprit de camaraderie qui peut- être sera pour eux un obstacle quand sera venu le moment de découvrir leurs faiblesses ! Malgré tout, nous restons confiants et voulons vivre auprès d’eux en prêtres avant que d’y vivre en soldats ! »

Plusieurs prêtres et religieux du diocèse sont décorés de la croix de guerre pour leurs actes de bravoure483. Le clergé subit des pertes parmi ses mobilisés. Huit d‟entre eux sont

479

Seulement 4 numéros d‟octobre 1939 à juin 1940.

480Le Lorrain, 20 septembre 1939, p. 3. L‟abonnement commence en octobre 1939. 481ADM 29J2110, lettres de prêtres mobilisés.

482Le Lorrain, 26 septembre 1939, p. 3, 4 octobre 1939, p.2, 18 octobre 1939, p. 3 : le 24 septembre 1939 un diacre

d‟Amiens ; le 1er

octobre, un mariste lyonnais ; le 18 octobre, 5 mobilisés cantonnés à Luppy.

483Communications officielles de l’évêché de Metz, février-juin 1940 : l‟abbé Emile Muller, étudiant à Paris, originaire

décédés brutalement : un dès le 19 septembre 1939 des suites d‟une chute à cause de l‟emballement d‟une voiture hippomobile ; deux des suites de maladie. les autres pendant les combats de mai-juin 1940484. Considérés comme des « héros » ou des « martyrs » par l‟institution catholique, leur mort participe à l‟image positive de l‟Eglise.