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A5 Les catholiques mosellans et la perception du nazisme

Il est difficile de savoir quelle perception les catholiques mosellans pouvaient avoir de l‟Allemagne nazie. La presse demeure presque le seul indicateur308

Les Mosellans sont « en première ligne309 » et ont des relations particulières avec leurs voisins car ce sont « des fils de l’annexion et qu’ils connaissent les méthodes et la mentalité du

voisin pour les avoir subies pendant leur jeunesse, tant avant 1914 que pendant les 52 mois de guerre310 ». La Moselle est spectatrice de la montée du nazisme en Sarre, où quelques démonstrations sont orchestrées dans des communes frontalières. Des familles mixtes germano- françaises n‟hésitent pas à passer la frontière pour visiter un des leurs, particulièrement en Sarre. L‟abbé Goldschmitt, à cause de ses voyages fréquents en Allemagne, est surveillé par les services secrets allemands et français. En juillet 1936, il est approché par des agents allemands à Sarrebruck. A partir de ce moment-là, il ne retourne plus en Allemagne, d‟autant plus que le commissaire spécial Antoine Becker de Strasbourg l‟aurait informé qu‟il figurerait sur un livre noir du IIIe

Reich à cause de ses positions orales et écrites contre le national-socialisme311. Pour Jean-daniel Durand, « il apparaît nettement, au travers de l'étude de la presse mosellane et des sources archivistiques,

que la propagande et l'influenceallemandes dans le département, ne furent que minimes et que dans sa très grande majorité, la population se sent française et souhaite le rester. Il n’y a pas d'arrestation pro-nazie, très peu de manifestations ou d'incidents pangermains. Les Allemands majoritairement des Sarrois, vivant dans le département, n'ont pas d'activités politiques notoires et n'exercent aucune inlluence sur leurs collègues français312 ».

Une opération de séduction des nazis envers les catholiques surtout étrangers est organisée à Trèves où la sainte tunique du Christ313 est exposée du 23 juillet au 10 septembre 1933. L‟abbé Goldschmitt est chargé d‟organiser le pèlerinage des Mosellans314

. Dans son compte rendu, Goldschmitt écrit : « Nos pèlerins au début s’approchaient avec une certaine inquiétude des

307La Tempête, 8 janvier 1939, p.1.

308Voir sur ce sujet Jean Daniel Durand, L‟opinion mosellane face à la politique allemande janvier 1933-septembre

1939, thèse de doctorat, université de Metz, sous la direction de Jean-Claude Delbreil, 1998. Laurence Andriès, L'image

de Hitler dans la presse mosellane de 1938 à 1939, mémoire de maîtise, université de Metz, 1989.

309Le Lorrain, 19 mars 1933, p. 1.

310Le Lorrain, 25 février 1935, p. 1, texte de Paul Durand.

311François Goldschmitt, Tragédie vécue par la population de l’Est sous l’occupation nazie, Rech, chez l‟auteur, 1948,

p. 13.

312Jean-Daniel Durand, déjà cité, p. 649.

313Pierre-Xavier Nicolay, déjà cité, p. 402. Deux pèlerinages de Mosellans avaient déjà été organisés en 1844 avec

16 000 pèlerins conduits par Mgr Dupont-des-Loges et en 1891. Jusqu‟en 1933, 87 190 Mosellans se sont rendus à Trèves pour vénérer la sainte Robe.

314Voir à ce sujet, François Goldschmitt, Die Wallfahrt der lothringer Pilger zum Hl. Rock in Trier, Trèves, éditions

fonctionnaires en uniforme nazi car nos esprits avaient été braqués d’avance et un peu à la légère contre ces hitlériens tout particulièrement. Mais très vite notre appréhension se trouva chassée par l’amabilité de l’accueil. Nous étions accueillis comme des frères par des frères315

». Le 13 août,

l‟abbé Pinck prêche à l‟église Saint-Maximin de Trèves devant les pèlerins du pays de Bitche et exprime sa satisfaction disant qu‟au lieu d‟avoir trouvé à la gare des SA et des SS en armes, « les

pèlerins en réalité avaient rencontré des hommes secourables qui affichaient ostensiblement leurs opinions politiques en portant une chemise brune316 ». Plusieurs trains sont accueillis en gare de

Perl par la musique SA. Le nombre total des pèlerins du nord-est de la France acheminés par 75 trains spéciaux s‟élève à 67 758. Il faut y ajouter ceux venus en autobus ou en voitures particulières, à vélo ou en trains ordinaires. Au total, le nombre de pèlerins venus du diocèse de Metz est évalué à 190 000 dont 125 000 dialectophones, 20 francophones et 45 000 bilingues317, soit près d‟un tiers des habitants du département. Les autorités religieuses et civiles font aux pèlerins des réceptions grandioses. Aussi pour la plupart d‟entre eux, les accusations contre le nouveau régime leur apparaissent comme des mensonges318. Cette naïveté est entretenue initialement par la presse catholique de langue allemande. Faisant le bilan de l‟année 1933, la Lothringer Volkszeitung place en premier le pèlerinage de la sainte tunique à Trèves avant l‟arrivée au pouvoir d‟Hitler319, témoignant ainsi d‟une certaine crédulité par rapport au nazisme. La signature du concordat le 20 juillet 1933 entre l‟Allemagne et le Saint-Siège rassure, voire même est prise en exemple pour la France. Il faut attendre le rattachement de la Sarre à l‟Allemagne, les premières mesures antichrétiennes des nazis et les condamnations pontificales, notamment l‟encyclique de Pie XI Mit

brennender Sorge en 1937 pour que des commentaires critiques apparaissent dans le quotidien

catholique de langue allemande…

Par contre, Le Lorrain320, depuis toujours farouchement antiallemand, publie de nombreux éditoriaux de réflexion sur le nazisme s‟efforçant d‟expliquer son idéologie. Son directeur, Charles Ritz, est clairvoyant sur l‟autoritarisme, voire le totalitarisme de l‟Etat nazi, bien plus « lucide, selon François Roth, que ceux que publient dans les journaux parisiens des plumes autorisées voire

illustres321 ». Le Lorrain condamne ainsi la théorie de la race : « Nous sommes convaincus que toute théorie raciale est fausse, qu’il n’existe pas de race pure, ni de races tranchées322

». Il dénonce un

nouveau Kulturkampf, les agressions contre l‟Eglise allemande323. Jusqu‟en 1938, il espère l‟effondrement de l‟axe Rome-Berlin ce qui aurait pu, selon l‟abbé Ritz, contribuer au maintien de

315

Cité par Henri Hiegel et Louis Serpe, « François Goldschmitt, son combat singulier de prêtre et de Lorrain », dans revue Le Pays d’Albe n°24, Sarralbe, 1993, p. 33.

316Wallfahrtsblatt zur Ausstellung des Hl. Rockes im hohen Dom zu Trier im hl. Jahre,1933, p. 101. 317Henri Hiegel et Louis Serpe, déjà cité, p. 36.

318

Henri Hiegel, La drôle de guerre en Moselle, tome 1, Sarreguemines, éditions Pierron, 1983, p. 65.

319Lothringer Volkszeitung, 5 janvier 1934, p. 1.

320Jean-Jacques Hocquel, Le nazisme dans Le Lorrain 1930-1935, mémoire de maîtrise sous la direction de François

Roth, université de Nancy II, 1990.

321

François Roth, déjà cité, p. 117.

322Le Lorrain, 14 avril 1934, p. 1, article signé de Jean Revire.

la paix. Après la signature du pacte d‟Acier en mai 1939, Le Lorrain dénonce la vassalisation de l‟Italie à l‟Allemagne.

Par contre, nous n‟avons pas trouvé de texte de l‟épiscopat mosellan concernant le nazisme, ni de Mgr Pelt, ni de Mgr Heintz datant d‟avant-guerre. Certes l‟encyclique de Pie XI est relayée dans une Lettre pastorale et les critiques figurant dans les journaux catholiques sont avalisés par les évêques, mais, malgré la proximité, aucun commentaire direct, aucune critique n‟ont été, a priori , formulées par les évêques du diocèse de Metz sur les évènements du IIIe Reich. Leurs préoccupations locales s‟évertuant à défendre le statut religieux, leur anticommunisme viscéral les ont-ils muselés ? Il faut attendre 1945 pour trouver un texte de Mgr Heintz sur le nazisme : «…

Après que le pape a parlé si nettement en 1937 dans l’Encyclique « Mit Brennender Sorge », peut-il y avoir un évêque qui ne réprouve cette doctrine et les excès auxquels elle a entraîné les Allemands ?… Je sais reconnaître comme mes compatriotes du reste tout ce qui mérite d’être loué chez les catholiques allemands et leur épiscopat, je n’en ai pas moins toujours nettement réprouvé tout ce qui est blâmable dans la pensée allemande, dans le pangermanisme, dans le nazisme, dans les théories et pratiques dues à l’hégémonie de la Prusse en Allemagne et discerné le grave danger qui en résulte pour la civilisation chrétienne… La philosophie de Kant à Nietzsche a causé des ravages dans les intelligences et des conséquences désastreuses en ce qui concerne la vie religieuse, les principes de la morale et du droit et par conséquent aussi la vie sociale et internationale324…». Une condamnation tardive a postériori.

Ce silence est également constaté chez les hommes politiques locaux, et notamment chez Robert Schuman. Aucun discours, aucune manifestation pour dénoncer le régime nazi, les persécutions, les ambitions hégémoniques du Reich,… Il n'y a pas eu de grands mouvements populaires de protestation contre le nazisme, organisés, initiés, motivés par les personnalités politiques mosellanes proches de l‟Eglise325

.

Pourtant, plus qu‟ailleurs, la Moselle, et certainement l‟Alsace, sont bien informées des réalités du nazisme. Si certains envient ce nouvel ordre alors que l‟internationale bolchévique effraie, d‟autres pointent les antagonismes entre nazisme et christianisme.

Par exemple, à Sarreguemines, André Grappe326, professeur de philosophie au lycée, tient une conférence le 27 mars 1933 sur le thème « Hitler et Bergson, ou le mysticisme de la croix

gammée et de la croix latine327 ». Il démontre que « l’idéologie hitlérienne » est fondée sur « la notion d’inégalité et d’antagonisme des races » et que « c’est la croyance à la nécessité morale,

324ADM 29J2073, lettre de Mgr Heintz à l‟évêque d‟Arras, 16 janvier 1945.

325Le mouvement « Paix et Liberté » lié au comité Amsterdam-Pleyel est présent en Moselle avec pour secrétaire

départemental Jean Burger, mais il est proche du parti communiste.

326Voir à sujet Jean-Noël Grandhomme, André Grappe du Haut-Doubs à Strasbourg, un destin dans le siècle, P.U. de

Strasbourg, 1999. Né en 1898 dans le Haut-Doubs, ancien combattant de la Grande Guerre, installé à Strasbourg en 1919, agrégé de philosophie en 1923, professeur au lycée de Sarreguemines et au collège des mines de Sarrebruck jusqu‟en 1934, puis au lycée Kléber à Strasbourg jusqu‟en 1939, puis d‟Haguenau en 1939-1940. Replié à Pontarlier, il s‟installe en 1941 à Besançon. Il décède en 2001.

pour les races réputées supérieures, d’imposer leur domination au monde pour y faire régner la culture ». Il rajoute : « Le Dieu qu’Hitler invoque, n’est-ce pas celui qui a choisi une race parmi toutes les races et qui lui a confié, à elle seule, la mission de civiliser le monde ? N’est-ce pas le Dieu d’un peuple élu et le Dieu des armées, donc, le Dieu national du paganisme ». Or le Dieu

chrétien est le Dieu d‟amour. Il conclut en se demandant qui va l‟emporter « de la croix gammée ou

de la croix latine ; de la voix du tribun qui devant une foule en délire, galvanisée par les accents guerriers des fanfares et le défilé des drapeaux, clame ses paroles de haine, amplifiées par les haut- parleurs sur toutes les places publiques et dans tous les foyers ou de celle du penseur solitaire, qui ayant retrouvé par la seule force de sa méditation, la divine morale du Christ et de tous les vrais prophètes, confie à la seule magie du verbe, ses pensées d’amour et de paix328

? » Une partie de la

population bien informée n‟est donc pas dupe quant aux intentions d‟Hitler, et ce précocement. Mais cette conscience du nazisme et la critique lucide de certains milieux intellectuels sont-elles partagées par tous les catholiques mosellans ?

Toujours est-il que les catholiques mosellans à l‟instar de son évêque n‟aspirent qu‟à la paix et à l‟ordre. Ainsi après les accords du traité de Munich du 30 septembre 1938, Mgr Heintz adresse toute sa « gratitude aux hommes d’Etat qui se sont efforcés au prix d’un rude labeur d’écarter une

calamité dont les suites ruineuses eussent été incalculables ; aux pays qui ont eu le courage, pour sauvegarder la paix, d’accomplir des sacrifices douloureux, dont nous souhaitons qu’ils soient récompensés dans l’avenir par la Providence. Dieu a daigné… épargner à l’Europe ce fléau redouté… Nous désirions la paix ; Dieu nous a écoutés… La paix est une création continue… La paix, suivant le mot de saint Augustin, est la tranquillité de l’ordre. C’est cet ordre qui est une création continue ; non seulement l’ordre extérieur dans les rapports des hommes entre eux, des citoyens d’un même pays entre eux ; mais l’ordre intérieur, celui qui doit régner dans l’âme de chacun d’eux. Or on ne fait pas l’ordre avec des erreurs et des vices. Il y a dans notre monde moderne trop d’erreurs et de vices qui sont les causes profondes des périls auxquels la paix est exposée et de son instabilité. Nous ne retrouverons pas la tranquillité sans l’ordre, ni l’ordre sans avoir remis au-dessus des hommes ce qui, seul, leur est supérieur : Dieu et sa Loi. Sans un retour au christianisme, il y aura un retour à la barbarie. Il est déjà bien commencé329 ».

Mais, cet ordre et cette paix espérés par Mgr Heintz, ce si « beau diocèse de Metz » catholique et pratiquant vont être bousculés par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l‟annexion de la Moselle par les nazis et éclatés par les différents transferts des paroissiens.

328Ascomémo, texte de la conférence édité par l‟association des anciens élèves du lycée de Sarreguemines, imprimerie

sarregueminoise, avril 1933, 30 pages.