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L‟éclatement des paroisses, les difficultés de déplacement et la contamination à l‟indifférence religieuse semblent atteindre une partie des pratiquants mosellans. L‟abbé Kiffer évacué à Aubeterre/Dronne (Charente) fait un triste constat comptable : « Dimanche dernier, j’avais

614Willy Guggenbühl, Von den Franzosen verhaftet, von den Deutschen befreit, éditions de Saverne 1940, liste pp. 111-

125. On peut indiquer que 16 pasteurs alsaciens sont internés.

615ADM 29J2108, lettre, 22 mai 1940.

616Charles Altorffer, « Mémoires, au service des réfugiés alsaciens et lorrains dans le sud-ouest », dans L’Outre-Forêt,

revue du Cercle d‟Histoire et d‟Archéologie de l‟Alsace du Nord, Soultz-sous-Forêts, 1987.

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ADM 29J2075. A la mi juillet 1940, on redonne sa fonction à ce maire qui fait le père citoyen d‟honneur de la ville.

618ADM 29J2108, lettre de l‟abbé Villier de Metz évacué à Poitiers, 2 mai 1940. 619ADM 29J1172, recensement des sœurs Sainte-Chrétienne.

dans une paroisse à Nabinaud sur 80 réfugiés de Folkling une faible quarantaine. Dans une autre à Saint-Séverin, sur 120 réfugiés peut-être 20 présents ; l’autre dimanche, je vais à Pillac pour prêcher devant 50 réfugiés sur 170 de Biding-Barst-Lixing620 ».

Mais, en général, selon Christine Guth, « les Mosellans continuaient assidûment à

fréquenter l’église621

» dans les régions d‟accueil. C‟est pour eux la continuité de leur vie laissée à

650 kilomètres de leur petite patrie, mais aussi une volonté d‟affirmer leur unité dans leur foi et leurs particularismes, une espèce de communautarisme fondée sur la religion et la langue. «… Nos

gens se replient sur eux-mêmes vivant leur vie propre et tout comme chez eux. C’est d’ailleurs notre mot d’ordre depuis le début : « Wie daheim, comme chez nous». Même nos paroissiens qui ne sont pas régulièrement desservis par un de leurs prêtres restent en général bien fidèles à leurs traditions religieuses622…». C‟est aussi la foi en l‟espérance, l‟espérance en Dieu certes mais aussi en des

jours meilleurs. « Nos chers évacués étaient malheureux comme Job sur un tas de fumier mais ils étaient fidèles comme de l’or. Un office régulier était pour eux une source intarissable de douce consolation. Aussi dans leurs heures sombres du cruel exil, les liens entre les braves Lorrains et leurs curés se resserraient fortement623 ».

Alors, tant bien que mal, on transpose, quand on le peut, les habitudes laissées en Moselle. «…Quant au côté spirituel, mes paroissiens de Châteauneuf sont vraiment privilégiés. Ils ont

presque tout comme chez eux : deux messes spéciales chaque dimanche avec sermon en allemand, chapelet tous les jours avec les cantiques communs, occasion de se confesser tous les jours, deux messes chaque matin, etc624…». (abbé Halter de Stiring-Wendel évacué à Châteauneuf/Charente).

« Deux fois par jour, l’église paroissiale est remplie de Lorrains, particulièrement fiers de montrer

leur foi625…». « A Montignac (Dordogne), l’église était pleine de monde pendant tous les offices religieux. Les habitants autochtones n’avaient sûrement pas, pendant trente ans, usé le pavé de l’église autant que les pieux fidèles de Kappelkinger en trois mois seulement. On célébrait le premier vendredi du mois comme au pays lorrain. A la fête des morts, nous organisons une procession bien rangée qui se dirigeait vers le monument aux morts d’abord pour aboutir au cimetière. Les citoyens de Montignac en restaient bouche bée. De mémoire d’homme, on n’avait pas vu ici un tel spectacle. Des hommes récitaient le chapelet à haute voix 626 ». Les évacués

fêtent leurs saints patrons et en particulier, la Saint-Nicolas, le 6 décembre 1939. C‟est à chaque fois l‟occasion de réunir la communauté mosellane pour mieux la souder autour de ses traditions catholiques. Pour Noël 1939, le gouvernement alloue des crédits aux préfectures pour organiser une fête aux enfants de réfugiés. Les services d‟Alsace et de Lorraine réussissent également à réunir des

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ADM 29J1129, lettre de l‟abbé Kiffer évacué à Aubeterre/Dronne, 2 avril 1940.

621Christine Guth, déjà citée, p. 156.

622ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Halter de Stiring-Wendel évacué à Châteauneuf-sur-Charente, 18 janvier 1940. 623François Goldschmitt, déjà cité pp. 5-13 et journal Le Lien, janvier 1940.

624ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Halter de Stiring-Wendel, 22 novembre 1939.

625ADM 29J2108, lettre de l‟abbé Hallinger, curé de Schwerdorff évacué à Oyré (Vienne). 626François Goldschmitt, déjà cité, pp. 7-11.

fonds auprès d‟industriels qui permettent à tous les enfants d‟avoir « leur Noël, souvent plus riche

que celui qu’ils auraient eu à la maison627

».

Au final, pour beaucoup, la pratique est plus soutenue encore qu‟en Moselle. « Notre groupe

de « Stirinneuf » est très fervent, bien plus fervent même qu’à Stiring-Wendel628 ». « Nos gens suivent très bien la Sainte Messe le matin et le chapelet du soir ; ils vont communier très souvent plus même que chez nous629 ». « A Bonnes/Dronne (Charente), le vieux prêtre charentais enviait son confrère lorrain dont les paroissiens remplissaient l’église à tous les offices. Nos gens continuaient en effet à pratiquer avec plus de ferveur encore qu’en Lorraine, ayant tant d’intentions et de soucis à confier au Seigneur630 ». « Quant à l’Action Catholique, nos hommes assistent

régulièrement aux réunions mensuelles. La Ligue féminine a également tous les mois sa réunion. Nous faisons toujours très bonne figure dans toutes ces réunions631 ».

Cette pratique soutenue est souvent communicative aux autochtones : « A Vernon (Eure),

nous chantons… Les gens sont émus et ils viennent plus nombreux aux offices632

». La communauté

catholique mosellane « remplit ainsi admirablement sa mission que la divine Providence et son

évêque lui ont assignée et qui consiste à ramener aux pratiques religieuses des populations dont la foi est bien vivante. M. le doyen de Châteauneuf se félicite de la présence de nos réfugiés qui à son dire ont déjà fait quelque bien à ses propres paroissiens633…». Cette mission est reconnue par les

autorités ecclésiastiques locales. Lors de la réunion des prêtres mosellans à Rochefort/Mer (Charente-Inférieure), Mgr Liagne, évêque de La Rochelle, indique que « …le sacrifice a toujours

été une source de renouveau chrétien. Vous avez le pouvoir d’empêcher que les âmes ne s’aigrissent au contact de la souffrance… Profitez de cette heure providentielle pour infuser toujours plus la vie catholique… Demain la guerre sera finie. Il y aura alors chez vos gens un délire de joie qu’il faudra canaliser, un désir de vivre autrement qu’il faudra orienter… Préparez l’après-guerre en recréant les cadres chrétiens de toutes vos œuvres catholiques634…».

Dans le Pas-de-Calais, seulement 65% des évacués assistent aux offices religieux lorrains. L‟abbé Adam explique ce nombre moins important que dans les autres départements d‟accueil par le fait que parmi les mineurs évacués, il y a beaucoup d‟étrangers (Polonais, Italiens, Yougoslaves et Tchéques) qui pratiquent peu ou ont des offices spécifiques635. Pourtant, au cours d‟une visite à Hénin-Liétard en octobre 1939, l‟évêque d‟Arras félicite chaleureusement les évacués mosellans

627Charles Altorffer, déjà cité.

628ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Halter de Stiring-Wendel, 22 novembre 1939. 629

ADM 29J2107, lettre de l‟abbé Gelmeider de Koenigsmacker, 18 septembre 1939.

630Emile Hilt, Farébersviller hier et aujourd’hui, Faulquemont, imprimerie Wilmouth, 1989, p. 301. 631ADM 29J2073, lettre de l‟abbé Hener, Royan (Charente-Inférieure), 29 décembre 1939.

632ACSJB, sœur Marie-Chantal Weislinger évacuée à Nieuil-L‟Espoir.

633ADM 29J2075, lettre de l‟abbé Halter de Stiring-Wendel, 22 novembre 1939. 634Le Lorrain, 1er février 1940, p. 3.

pour leur bon exemple quant à l‟assistance aux offices et à la fréquentation des enfants lorrains dans les écoles libres636.

Pendant presque une année, les paroissiens arrivent, malgré l‟écartèlement, malgré la langue, malgré un accueil mitigé et soupçonneux à maintenir tant bien que mal leur pratique et leurs traditions catholiques. La conscience d‟appartenir à un peuple spécifique, catholique pratiquant et généralement germanophone, unit la diaspora quand elle n‟est pas isolée, éloignée de ses pasteurs. Mais, après le 10 mai 1940, la situation se dégrade dans les lieux d‟accueils mais surtout en Moselle.