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Chapitre E : Sous l’autorité militaire allemande, en semi-liberté

Le préfet Charles Bourrat et l‟évêque Mgr Heintz sont les seules autorités françaises encore présentes à Metz à l‟arrivée des Allemands le 17 juin 1940. Le préfet est mis aux arrêts dès le 18, les Allemands montrant ainsi leurs intentions de négation de l‟autorité française. Sœur Hélène décrit l‟ambiance de ces premiers jours sous le joug allemand : « Partout dans les rues, les pauvres

soldats français prisonniers étaient couchés sur les trottoirs, harassés de fatigue, les vêtements en lambeaux et les pieds en sang. Alors les femmes, jeunes filles et enfants s’ingéniaient. Avec paniers, voitures à bras, tabliers remplis, récipients divers, elles s’installaient le long des routes donnant à manger et à boire, distribuant linge et cigarettes. Les sentinelles allemandes protestaient, se fâchaient, piquaient tout ce monde de leurs baïonnettes. On reculait un peu en protestant mais on continuait. Au bout de huit jours - vers le 25 juin 1940 Ŕ, les Allemands prétextèrent des désordres et firent afficher partout dans la ville l’interdiction absolue de ravitailler les colonnes663

».

Les événements se précipitent. Le chef du gouvernement, le maréchal Pétain, demande l‟armistice aux Allemands. La panique grandit avec la défaite. A Angoulême, l‟examen du 2e

semestre des séminaristes mosellans ne peut pas avoir lieu et, le 18 juin, ils sont soudainement renvoyés664. Les 19 et 20 juin, l‟abbé Louis Hackspill, député de la Moselle de 1919 à 1924, curé de Craincourt, et l‟abbé Paul Peultier, curé de Xanrey, fuient la Moselle, craignant de redevenir allemands665. Le 21 juin, le couvent de Lettenbach à Saint-Quirin est occupé par les Allemands, d‟abord par des artilleurs, puis par un service sanitaire pendant neuf jours, suivi d‟un central téléphonique. « Tous les officiers et le personnel sont très bien. Discrets, travailleurs, tranquilles et

serviables. Nous ne pouvions mieux tomber. Nous leur faisons la cuisine », raconte une sœur666. Le scolasticat de Burthecourt est également occupé par la troupe et lorsque le supérieur, le RP Alexandre Kayser, en charge de la paroisse d‟Hampont, cherche à le récupérer, tout juste lui permet-on de déménager les archives et les objets du culte. Finalement, alors que les frères sont démobilisés, le scolasticat peut s‟installer au juniorat d‟Augny667

. Dans le parc d‟Oriocourt, 200 prisonniers français campent jusqu‟au 20 septembre 1940. Les sœurs fournissent nourriture et vêtements aux prisonniers du camp de Sarrebourg et de Berthelming où stationnent un millier de prisonniers. Cette activité solidaire se poursuit jusqu‟en août 1940668.

663ADM 3W26, rapport de sœur Hélène 1942. 664ADM 29J1673.

665Annexe CD2, corpus.

666ADM 29J1195, lettre 10 juillet 1940. 667

Alexandre Kayser, Le scolasticat de Burthecourt, dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, Burthecourt, chez l‟auteur, 1993, pp. 14-18.

Le 22 juin, l‟armistice est signé à Rethondes. Pour Mgr Heintz, « la conclusion de

l’armistice met fin aux combats et aux maux qu’ils occasionnent. Il convient d’en remercier Dieu et d’invoquer en même temps l’infinie miséricorde pour l’avenir669

». Il exprime ainsi un sentiment

double partagé par une immense majorité de Français : la satisfaction de la fin des combats et la crainte de la suite des événements. Cette crainte est justifiée puisque même si aucune clause de la convention d‟armistice ne concerne l‟Alsace-Moselle670

, dans les faits, ces territoires sont bien annexés au Reich sur décision d‟Hitler671. Le 25 juin, le Dr Rech, Landrat d‟Ottweiler (Sarre), est nommé Landrat pour la Moselle. En même temps, il est signifié au préfet Bourrat que l‟autorité de l‟Etat français n‟existe plus en Moselle. Le 6 juillet 1940, le Polizei Bataillon 122 prend position le long de l‟ancienne frontière de 1871. De l‟autre côté, aucun douanier français, puisque cette nouvelle frontière n‟est pas reconnue par la France et, en droit international, illégale. Un

Grenzausweiss, laissez-passer frontalier, délivré par le Polizeipräsidium de Metz est désormais

obligatoire pour la franchir. Le 25 juillet, l‟ancien cordon douanier de 1871 est rétabli pour les échanges commerciaux. L‟annexion est donc bien réelle, de fait puisque non consécutive à la signature d‟un traité. L‟abbé Félix Klein, curé de Meudon (Hauts-de-Seine), réfugié à Chabris (Indre), écrit en août 1940 dans ses carnets : « De quel droit annexe-t-on l’Alsace-Lorraine et le

gouverne-t-on comme un pays déjà allemand672 ? ». L‟Etat Français laisse faire, ne formulant que

quelques protestations de principe à la commission d‟armistice de Wiesbaden, sans publicité673. Par contre, le nonce apostolique à Berlin, Mgr Orsenigo, intervient le 16 juillet 1940 auprès du ministre des Affaires étrangères à Berlin à propos du problème des évêchés de Metz et Strasbourg674.

Pendant un mois et demi, jusqu‟en août 1940, l‟administration de la Moselle reste dévolue aux militaires qui prennent les premières mesures, notamment concernant l‟Eglise. Par exemple, à partir du 27 juin 1940, sur ordre du général commandant la place de Metz, les cloches ont le droit de sonner à nouveau, mais seulement de 12 h à 12 h 15. Alors que Bernard Vogler indique que «dès

les premières semaines après l’annexion de fait en juin 1940, les chefs nazis s’attaquent aux Eglises chrétiennes afin de leur enlever toute influence, d’anéantir les valeurs chrétiennes et de diffuser l’idéologie national-socialiste675

», il semble cependant que sous l‟autorité militaire une certaine tolérance ait existé avant que la politique nazies d‟épuration ne s‟abatte sur le clergé et les religieux.

669ADM 29J2038, note manuscrite du 26 juin 1940 et 29J2077, ordonnance du 26 juin 1940. Mgr Heintz appelle à

célébrer un salut solennel à Metz le 30 juin.

670En théorie, selon l‟article 3 de la convention, l‟Alsace-Moselle devait se trouver en zone occupée. 671

Robert Ernst, Rechenschaftsbericht eines Elsässers, Berlin, éditions Bernard et Graefe, 1954, p. 235.

672Félix Klein, Notes d’un réfugié, Paris, éditions Bloud et Gay, 1945, p. 64.

673Voir à ce sujet Louis Cernay, Le Maréchal Pétain, l’Alsace et la Lorraine, Paris, éditions les Iles d‟Or, 1955.

674Charles Kelin, Pie XII face aux nazis, Paris, SOS éditions, 1975, p. 41. Charles Klein a puisé ses informations dans

les archives allemandes et dans celles du Service international de la Croix-Rouge.

675Bernard Vogler, « Tentative d‟anéantissement des valeurs chrétiennes », dans Les Saisons d’Alsace n°44, Strasbourg,