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La théorie extensive du riba : le riba de la sunna et du hadith

Paragraphe I : Fondements religieux

B) L'expérience de certains pays musulmans

II) Les sources secondaires :

1) La théorie extensive du riba : le riba de la sunna et du hadith

115. Comme il a déjà été dit, le mot riba signifie augmentation, accroissement ou gain248. Cette notion a vu son champ d’application s’élargir à toutes les formes de prêts alors qu’au départ seul le riba dans le troc était interdit. L’emploi du mot à travers les divers versets du Coran justifie cette extension249. La sunna qui est la deuxième source du droit musulman,

247 O. Houdas, W. Marcal ; 1978 « blé pour blé, orge pour orge, dattes pour dattes, sel pour sel, le pareil pour le

pareil. Mais quand ces sortes sont différentes vendez-les comme vous voulez pourvu que cela se passe au comptant » « orge pour orge constitue de l’usure à moins que chacun ne dise tiens, tiens ! » ; voir Kettani

Malika : Une banque originale op.cit. pp. 72-73

248 M. EL-Gamal, Finance islamique, Aspects légaux, économiques et pratiques, De Boeck, 2010, p. 77. 249Ibid. ; cette conception du riba renvoie à la définition de l’usure donnée par la doctrine de l’Église

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après le Coran, pose, quant à elle, les fondements de l’interdiction du riba, non pas par des versets, mais à travers des hadiths du Prophète250. La condamnation de l’usure dans certains hadiths du prophète est très claire et très forte.

Le prophète aurait dit :« Or contre or, argent contre argent, blé contre blé, orge contre orge, datte contre datte, sel contre sel, en même quantité de même qualité et de la main à la main ; s’il y a surplus, c’est de l’usure. Si les choses échangées sont de nature différente, vendez comme il vous plaira, mais de la main à la main. 251»

Cette expression » de la main à la main », que certains savants musulmans remplacent par « tiens, tiens ! », Frottement contre frottement constitue usure à moins que chacun ne dise tiens, tiens. La répétition du « tiens » marque la simultanéité de l’échange, et cette obligation de simultanéité est imposée par ces hadiths et constatée dans la plupart des hadiths du prophète. Les jurisconsultes ont tiré de ce hadith deux formes de riba : le riba de solde et le riba de report. Le riba de solde est un riba caché ; il résulte d’un déséquilibre des prestations échangées dû à une augmentation de prix qui intervient lors de l’échange d’un des objets de même nature, de la main à la main. Ce qui revient à dire que le profit prohibé est celui qui découle d’un déséquilibre des prestations matérialisé par une augmentation de prix qui intervient lors de l’échange d’un des objets. Par exemple, tout profit relatif à une augmentation du prix du blé de même espèce lors de l’échange de deux quantités égales est prohibé.

116. Le riba de report est l’augmentation ou l’accroissement qui résulte d’un défaut

d’équilibre des prestations des parties qui tient à l’octroi ou à la prorogation du terme. C’est l’exemple du banquier qui octroie un prêt de dix mille euros et en contrepartie de la prorogation du terme demande d’être payé onze mille euros. Ce type de riba est prohibé du fait qu’il s’agit d’une exploitation de la nécessité du débiteur d’emprunter de l’argent.

Cependant la détermination du sens et de la portée exacts de ces hadiths, soulève des difficultés ce qui rend le travail difficile comme c’était le cas pour les quatre versets coraniques qui ont posé le principe de l'interdiction. Cela nous conduit à examiner les

250 Hadith, rapporté par Al Boukhari, Les traditions islamiques, Traduit par O. Houdas et W. Marcais, Paris,

1905, p. 38.

251 Rapporté par I. al Samet: , les vrais Hadith du Muslem, et Al Boukhari : les vrais Hadith du muslem 11éme volume p. 14 en arabe ; cité par M. EL-Gamal, Finance islamique, Aspects légaux, économiques et pratiques,,

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positions des écoles de pensées islamiques qui font office de jurisprudence en la matière, pour avoir une compréhension plus ample de ces hadiths. Au sein de ces écoles deux interprétations ont été envisagées. D’un coté par les Hanéfites et les Hanbalites et de l’autre par les Chaféites et les malékites.

117. Le droit musulman, dans son sens premier, ne distingue pas l’intérêt de l’usure, car qu’il

s’agisse de la conception large ou de la conception extensive toutes les deux s renvoient à la notion de riba. Cela est dû au caractère globalisant du droit musulman qui renferme tous les pans de la vie du croyant252. Déjà l’étymologie du mot, raba, signifie accroissement, augmentation, ce qui fait dire à des auteurs comme Al-Qortobi253 que le riba est assimilé à l’usure. Aussi l’intérêt et l’usure font naître une contre partie, une augmentation, ce qui permet d’assimiler ces deux notions, et de cette généralisation va naître une protection beaucoup plus sécurisante pour le client. La protection est d’ailleurs l’essence du droit musulman qui se fonde sur des principes fondamentaux, tels que l’équité, l’égalité et la solidarité. La notion d’usure dans le droit français, fait référence à l’excédent, contrairement au droit musulman, qui ne pose même pas de limite pour déterminer, le taux usuraire. Ce qui avait empêché certains penseurs comme Massood Khan, de distinguer les deux termes, « On hésite à traduire riba par le mot usure, associé dans nos esprits au seul contrat de prêt d’argent. En droit musulman, la notion de riba est tellement vaste qu’elle embrasse pratiquement tous les contrats synallagmatiques, en fait elle correspond au profit illicite…. »254.

Cette conception large du terme de riba, développée par J. Schacht255, et qui regroupe aussi bien intérêt qu’usure se verra restreindre par d’autre penseurs plus modernes. Ce changement est dans la logique de la légitimation de la pratique de l’’intérêt élaborée depuis longtemps par les autres religions monothéistes. Cela commence par une distinction entre usure et intérêt en donnant un sens sémantique plus restreint par rapport à celui que cette notion avait connu lors de son avènement. Seul est interdit le riba du pour un crédit à la consommation ce qui autorise le riba à la production. D’autres restrictions ont été faites à partir des versets et des

252 L’islam ne fait pas de distinction entre la loi laïque et la loi religieuse. 253Al Qortobi, Al Gami Li ahkam, Al-Koran, le Caire, 1923, p. 23.

254 M. Khan. W, Toward an Interest-free Islamic Economic system, The Islamic Foundation, U.K., 1985, p. 27. cité par A. Toussi, Les taux d’interêt dans le système islamique, op. cit. p. 61.

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hadiths qui fondent cette nouvelle conception. Celle-ci a donné naissance à de nouveaux produits commercialisés dans les banques ou les institutions islamiques, comme les sukuk ou les assurances takafu

118. Pour les premiers, toutes opérations qui ne répondent pas aux conditions de simultanéité

et d’équivalence sont prohibées même si les objets sont de même nature ou de même poids. Pour eux l’interdiction du riba se fonde sur l’inégalité entre les deux objets de même valeur. Le prophète avait demandé à Bilal, un de ses compagnons qui était son muezzin, la provenance des dattes qu’il vendait. Bilal aurait répondu :

« J’avais des dattes de qualité inférieure et j’ai échangé deux mesures de ces dattes contre une mesure de dattes de bonne qualité ». Le Prophète lui aurait dit « c’est du riba, ne recommencez plus ». Selon certains moralistes le prophète préconisait, dans un premier temps l’achat des dattes de bonne qualité ; et deux opérations pour ne pas tomber dans l’usure.Dans le cas du riba report, les Hanéfites interdisent tout profit qui découle de la prorogation d’un terme.

Pour ce qui concerne la position de l’école Chaféite concernant le riba dans la Sunna, elle limite le riba solde à l’échange des produits alimentaires et à l’échange de l’argent. C’est pour cette raison que ces théoriciens imposent la condition de la simultanéité. Concernant, le riba report, les Chaféites pensent qu’il faut limiter la prohibition du riba lié à la prorogation du terme aux transactions relatives aux produits alimentaires et aux métaux précieux. Leurs objectifs étaient de prôner le principe moral de justice et d’équité sociale.

119. Pour les malékites, c’est le riba report qui est interdit, et il ne peut être autorisé dans le

cas de nécessité extrême. Et pour le riba solde, c’est un riba qui se justifie par simple besoin. Ils donnent des exemples d’exceptions dans lesquels les profits sont considérés comme licites : il s’agit du prêt à usage, de la vente des bijoux personnels, de la vente de certains produits industrialisés et de la vente des pièces de monnaie.256 Cette conception est plus souple comparée à celle des pratiquée par des Hanéfites. Cette conception extensive du riba, se manifeste par le fait que la notion de riba ne se limite pas au seul prêt à intérêt, mais à toutes les opérations, qui font naître des prestations inégales entre les parties. Cette théorie,

256 C’est ce qui atteste du paradoxe de cette finance, qui dans le souci de concurrencer la finance conventionnelle, cherche à légitimer certains produits sous forme de fatwa. Cf. M. Al Gamal, La finance

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qui datait du temps du Prophète mérite d’être réformée pour répondre aux préoccupations actuelles. C’est dans ce sens qu’une autre classification de la not ion de riba a été établie : le riba de production et celui de la consommation.