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203. La finance islamique est régie par un système juridique qui au même titre que les autres

normes juridiques pose des interdits dont leur violation est sanctionnée. Ces interdictions sont souvent subdivisées en deux catégories : d’une part l’interdiction du risque de perte (Paragraphe I) et de l’autre les cas de l’ignorance (Paragraphe II).

Paragraphe I. L’interdiction du risque de perte (al-Gharar) et la condamnation de 204. Le principe de la prohibition du prêt à intérêt, la notion de riba recouvrant à a fois

l’intérêt et l’usure, est donc une caractéristique importante du système islamique. A la place du taux d’intérêt, la pratique bancaire islamique qui rejette l’individualisme au profit du communautarisme, a instauré un principe de partage des profits et des pertes, De surcroit la pensée musulmane refuse l’idée spéculation purement financière selon le principe que « l’on ne peut vendre ce qu'on ne possède pas ». Ainsi le contrat ne doit contenir aucun élément d'incertitude ou de spéculation, aucun aléa ou gharar. Cela explique la prohibition des contrats aléatoires. Il s'agit de contrats dans lesquels la prestation due par l'une des parties dépend d'un évènement incertain et il en résulte l'impossibilité de savoir à l’avance s'il y aura perte ou profit. Plus précisément, l'aléa résulte de ce que le contenu exact des prestations des parties dépend d'un événement incertain de telle sorte que la perte et le gain sont fonction, pour chaque contractant, de cet évènement392.

205. Les parties stipulent une chance de gain ou se garantissent contre une perte éventuelle

en fonction d'un événement incertain. En d’autres termes, aucun des contractants ne peut calculer ses chances de gains ou de perte au moment de la conclusion du contrat car cela dépend d'un événement imprévisible393. L'aléa peut porter soit sur l’existence même de la prestation lorsqu'il s’agit, par exemple, d'un pari ou de certaines assurances. Par exemple, l'assurance contre l'incendie, soit sur l’étendue de la prestation, comme dans le cas du contrat

392 J. Carbonnier, Droit civil : Les biens les obligations, Paris, presses universitaires françaises, 2004, pp. 2008 et s.

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de rente viagère ou de certaines des assurances contractées sur la vie394 . Il est évident que l'élément d'incertitude qui domine le contrat au moment de sa conclusion constitue un déséquilibre de base dans les prestations réciproques des parties. Ce déséquilibre jouera nécessairement au profit de l'une des parties et au détriment de l’autre. L'une effectuera par le fait même, un gain non calculé à l’avance, réalisé donc sans effort et justifié uniquement par l'aléa. Or, dans l'optique du droit musulman, chacune des parties au contrat doit être consciente, au moment même de la conclusion du contrat de l'existence et, ipso facto, de l'étendue de la contre-valeur recherchée. Cette contre- valeur sera, en vertu des principes fondamentaux de l'Islam, le fruit d'un travail fourni qui, lui-même, justifiera la perte ou le bénéfice réalisé. Le strict équilibre des prestations est une des préoccupations de la charia dans le but de prôner une justice et une équité sociale qui fondent la morale musulmane. Tout profit injuste, ou réalisé en tenant en compte du simple écoulement du temps ou d'un aléa est prohibé par le Coran et la Sunna. Avant de s’interroger sur le fondement de cette interdiction qui trouve sa source dans les textes sacrés (II), il y a lieu de définir le terme de gharar (I).

I) La notion de gharar

206. Nous allons aborder la notion de gharar (A) pour en déduire la détermination du prix

(B) comme élément déterminant pour qualifier le gharar.

A) Définition du gharar

207. Le terme gharar, qui est remplacé parfois par l'expression « ambigüité », est

extrêmement complexe à traduire. Sa racine arabe Maghreb signifie : « se mettre ou soumettre ses biens en danger sans le savoir ». Le mot, lui-même a des connotations d' « incertitude », de « risque », de « fourvoiement » et de « tromperie ».

208. Il y a gharar dans une opération commerciale lorsque les conséquences sont occultes ou

ne sont pas claires. Il se manifeste généralement lorsqu'il y a un doute ou une incertitude concernant la réalité même d'une transaction ou lorsque l'un des paramètres est inconnu ou dissimulé. Le gharar ou aléa a été étudié pour la première fois dans le cadre du contrat de vente qui est considéré comme le contrat type .Les transactions qui comportent un élément

394 Z. Obeidi, La banque islamique, une nouvelle technique d'investissement, Beyrouth, Dar ar-Rachad al

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d’incertitude relatif au contrat, au prix ou à la durée sont considérés aux yeux des moralistes comme un gharar prohibé par la loi islamique.

209. Le mot gharar comporte les trois éléments d’incertitude, de risque et de spéculation395. La notion de gharar a été définie par peu d'auteurs. Les uns considèrent qu'il y a gharar lorsque la chose, objet du contrat, n'existe pas au moment de la conclusion du contrat. Ce qui entraine une incertitude puisque l'autre partie ne contracte pas en connaissance de cause. Cette notion ne fait pas l'unanimité pour la bonne et simple raison, qu'elle prend en compte l’inexistence de l'objet du contrat pour constituer le gharar. Or d'autres penseurs viennent ajouter à cet élément celui de l'indétermination de l'objet ou plus exactement celui qui tient au fait qu’il est inconnu396. L’exemple concerne la vente de fruits non encore récoltés ou la vente des oiseaux dans le ciel : dans les deux cas, l'objet de la vente est inconnu et incontrôlable et de là trois critères sont exigés pour que le contrat ne soit pas considéré comme aléatoire. L’existence de cet objet doit être réelle ;

L’objet doit être disponible ;

B) La détermination du prix

210. La détermination des éléments relatifs au prix, à la qualité, à la durée et au délai de

livraisons doit être connue397 . Nous pensons que le concept de l'équilibre des prestations recherché par la morale islamique est à la base du gharar en droit musulman. En effet ces déséquilibres dans les transactions sont le résultat de l’incertitude, d'un risque couru ou d'une spéculation constitutive du gharar qui dégénère en perturbation dans l'équilibre du contrat ce qui est proscrit par la morale musulmane. La partie faible au contrat sera protégée de ce risque qu'est l'aléa par l’annulation de la transaction.

211. En définitive, le gharar au regard du droit musulman est un aléa comprenant un élément

d’incertitude, de risque ou même de spéculation et qui entraine un profit illicite banni par les préceptes religieux et, par conséquent, moraux de l'Islam.

Voyons maintenant, le fondement du gharar dans la loi islamique, puisque nous avons déjà défini le sens du mot gharar.

395 Cf. M. El- Gamal, Finance islamique, aspects légaux économiques et pratiques, op. cit. p. 87.

396 C. Chehata, Essai d’une théorie générale de l’obligation en droit musulman, Dalloz édition, 2005, p. 65. 397 Idem. p. 76.

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II) Fondement de la prohibition des contrats aléatoires

212. Le fondement de la prohibition des contrats aléatoires résulte de l'ignorance de l'une ou

l'autre des parties de l'obligation de souscrire et du déséquilibre qui existe entre les parties. Cette ignorance qui constitue le gharar prohibé par la religion trouve son fondement comme tous les interdits religieux tant dans les sources coraniques (A) que les sources sunnites (B).

A) Les fondements coraniques

213. Le verset 219 de la sourate 2, La Vache a interdit les jeux de hasard : « Ils interrogent

sur le vin et le jeu de hasard, dis : dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens, mais dans les deux le péché est plus que l'utilité398 »

214. C’est ce verset qui est le fondement principal de la prohibition du gharar en Islam. De

plus, la Sunna du Prophète est à la base de toute la construction juridique relative au gharar. Il est certain que l'expérience du Prophète en tant que marchand et sa connaissance profonde de l'âme humaine l'ont poussé à l'interdire les transactions dans lesquelles une partie pouvait être exploitée. En raison de son ignorance du prix du marché ou par le biais de transactions aléatoires ou spéculatives399.

B) Les fondements sunnites

215. Une nette différence de mentalité existe entre les bédouins, naïfs et confiants et les

citadins, rusés et avides de gain. C’est pour cela que le Prophète a prohibé dans un de ces hadiths toute transaction fondée sur une spéculation. Par laquelle une des parties, en l'occurrence le citadin, pourrait exploiter l'ignorance de l'autre, c’est à dire du bédouin, en le trompant sur le véritable prix du marché afin de réaliser un profit ou un gain.

La clarté des versets et hadiths qui fondent cette interdiction n'a pas empêché une divergence au sein des différents courants de pensée. Et ces interprétations ont donné naissance à deux types d'ignorance, chacune faisant l'objet d'un gharar.

398 Coran, sourate II, verset 219

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