• Aucun résultat trouvé

La banque islamique et la création de monnaie scripturale

a ) Les opérations de crédit à court terme et les crédits à long terme

2) La banque islamique et la création de monnaie scripturale

325. Le métier de banquier ne se limite pas à la seule intermédiation financière575, où le banquier fait le lien entre la personne qui a besoin des fonds et celle qui en dispose. Sa mission va plus loin et c’est ce qui ressort des dispositions du code monétaire et financier en son article 311.1. Cette disposition autorise les banquiers à mettre des moyens de paiements et de crédits à disposition de leurs clients. Ce pouvoir des banques à créer de la monnaie s'est développé avec la possibilité d'effectuer tout paiement avec les instruments qu’elle mette à la disposition de ses clients576.

326. Cette idée a été développée et défendue par la doctrine économique par le biais de la

théorie du manipulateur de crédit. L'idée qui se cache derrière cette théorie est que, si les dépôts permettent le crédit, les crédits à leur tour engendrent dans un rapport autrement plus important des dépôts. Cette conclusion qui est devenue un lieu commun en matière d'économie monétaire est, selon les économistes totalement méconnue de la définition juridique de la banque. Ce qui fait le rôle du banquier ne se limite pas à un simple prestataire de service ou dépositaire de fonds577. Même si les fonds qu'il a à sa disposition ne lui appartiennent pas il a la possibilité de les transformer en monnaie scripturale. Ce qui lui attribue un rôle plus important que celui de simples intermédiaires. Ce nouveau rôle dévolu aux banquiers a donné lieu à une nouvelle intervention du législateur, puisque cette création de monnaie n'est pas sans danger, pour les autorités étatiques. Elle peut être elle-même fiduciaire578.

327. Si la banque multiplie l'ouverture de crédit et donne ainsi à ses clients le moyen de

payer par chèque ou par virement, en multipliant les moyens de paiements il peut provoquer

575 C. Henry Moore, « Les banques islamiques : Intermédiation politique et financière dans les pays arabes », in

Les capitaux en Islam, op. cit. p. 135. ; V. aussi S. Dhafer, La finance islamique à l’heure de la mondialisation, op. cit. p. 21.

576 M. Moate, La création d’un droit bancaire islamique, op. cit. p. 151, « l’auteur cite les différents moyens de paiement dont les cartes de crédit » ; V. aussi Mohammad Salim Wehbe, « Banque islamique, Intégration et

problématique », in The certified accountant 2 nd Quarter 2006, p. 88 (document en Arabe)

577 A. Abi Haidar, La banque islamique : Essai d’intégration dans un système juridique de type occidental, Thèse, Paris II 1991, p. 117.

174

l'inflation. Le contrôle des banques par l'intervention du législateur était nécessaire pour prévenir l'inflation579. Si nous nous plaçons sur le champ des banques islamiques nous voyons que tous les fonds collectés par ces dernières qui constituent la base de leurs investissements, sont utilisés dans les financements directs ou dans le commerce580. En insistant sur leur mode de fonctionnement classique, nous avons vite réalisé que ces banques n'étaient pas en mesure de pratiquer de telles opérations. Autrement dit, elles étaient incapables de consentir des prêts à partir des sommes collectées.

328. Leurs opérations étant effectuer sous forme liquide, ce qui fait qu'il y a donc pas de

création monétaire. Toutefois, par le mécanisme des instruments de paiement et des produits modernes qu’elle a mis sur le marché pour concurrencer le système classique, elle s’éloigne un peu de ses fondements religieux avec l’instauration des instruments de crédit. Malgré sa reconnaissance du fait que les banques islamiques reçoivent des fonds du public. Il reste à savoir si la restitution de ces fonds est garantie par le système islamique (a), avant de voir la qualité de mandataire du banquier islamique (b).

a) L'obligation de restitution dans les banques islamiques

329. Parmi les critiques les plus virulentes que les adversaires des banques islamiques leur

reprochent, se trouve le fait que ce système n'arrive pas à garantir le dépôt de ses clients581. Cette idée a été évoquée lors de la première demande d'agrément pour l'instauration des banques islamiques en Angleterre582. Cette demande fut rejetée au motif que ce système basé sur les règles religieuses ne serait pas en mesure de respecter les règles régissant la fonction et l'organisation du secteur bancaire en Angleterre583.

330. Dans le système classique sont réglementés d'un coté la rémunération des dépôts mais

aussi la restitution des fonds. Le système islamique ne serait pas en mesure de répondre à ces deux impératifs. Comme nous le savons ce système bannit la rémunération des opérations par le fait de l'écoulement du temps, ce qui fait que c'est le principe de partage des profits et des pertes qui substitue au mécanisme de l’intérêt. Le fait pour le déposant de recevoir moins que

579 M. Salim Wehbe, « Banque islamique, Intégration et problématique », in The certified accountant 2 nd Quarter 2006, p.86 (document en Arabe

580 H. Al Gabid, Les banques islamiques, op. cit. p. 48 ;

581 L. Siagh, L’islam et le monde des affaires, éd. d’Organisation, 2003, p. 196, « collecte des dépôts » 582 Le texte est disponible sur : http:// www.fsa.gov.uk.

583 M. AINLEY, « Banque islamique au Royaume –Uni, La FSA est prête à suivre les évolutions du marché » in La finance islamique en Europe Revue banque n°696 nov. 2007, p.33.

175

la somme qu’il avait déposé auprès de sa banque, constitue une violation de l’obligation de restitution du banquier et pourtant c’est sur cette base que le système des banques islamiques fonctionne. Pourtant, c'est sur ce principe que se sont fondés les américains pour donner aux banques islamiques une fonction de banque584.

331. En droit français, le contrat de dépôt se caractérise par le droit du déposant au complet

remboursement de l'argent perçu par la banque585. L’article 2 de la loi bancaire française qualifie cet argent de fonds reçu du public : « Sont considérés comme fonds reçus du public les fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte, mais à charge pour elle de les restituer ... »586. Cet article pose l'obligation de restitution des fonds comme un corollaire de l'opération de dépôt. Du moment que le banquier, dans le système islamique ne respecte pas une telle obligation. Peut-il prétendre avoir une qualité de mandataire spécial chargé d'affecter les fonds à un certain emploi pour le compte de son client et un abus de confiance ne peut-il pas être évoqué si le banquier venait à détourner les fonds?

332. Dans le système islamique, le déposant accepte d'être rémunéré selon le principe de

partage des profits et des pertes. Ce dernier ne garantissant pas la restitution des fonds déposés, car dans la conception islamique les acteurs d'une opération doivent partager les risque ce qui diffère du système occidental. Cette remise de fonds peut être faite pour une destination spéciale587. Cette affectation spéciale des fonds ne dénature-t-elle pas la qualité du banquier comme dépositaire suite à ce contrat de dépôt. Qu’en est-il de la qualité de mandataire du banquier ?

b) Le banquier islamique, mandataire tenu à des obligations professionnelles

333. Le mandataire dans le système occidental est soumis à une double obligation et à défaut

de les respecter il engage sa responsabilité588. Dans un premier temps il a une obligation d'exécuter le mandat, obligation qualifiée de moyen exercée par un mandataire salarié. Il est tenu à la diligence d'un bon père de famille. La seconde obligation, consistant à rendre compte

584 G. Naulleau, « Le système financier islamique développement et perceptives », École supérieure de commerce de Paris, document de travail, n ° 80-86 p. 35.

585 P. Henry Antonmattei , J. Raynard, Droit Civil : Contrat spéciaux, Litec, Paris 2008, pp. 394 et s. 586 Cf. J. Stoufflet, « La loi bancaire du 24 janvier 1984 », JGP. G. 1985, n ° 3476

587 Dans le cadre d’acquittement de la zakatque le banquier islamique chargerait d’exécuter pour son client. 588 F. Dekeuwer-Défossez, S. Moreil, Droit bancaire, op. cit. p. 74.

176

de l'accomplissement de sa mission. Analysée, selon certains auteurs, comme une obligation de résultat589. Ce qui peut changer la nature de cette opération dans le cadre du fonctionnement de la banque islamique.

334. Il faut se garder à de confondre l'obligation de résultat, où la faute du débiteur est

présumée dés lors que le résultat n'est pas atteint, avec l'obligation de rendre compte du résultat de l'opération effectuées par le mandataire .Celle-ci existe même si le mandataire n'est tenu qu'à une obligation de moyen590. Cette obligation de moyen reste à discuter, car le banquier qui est un professionnel et qui doit être en mesure de déployer tous les moyens possibles pour mener à bien ces opérations de crédit591 devrait plutôt être tenu à une obligation de résultat, qui permettrait d’assurer une protection plus efficace du déposant. Cette argumentation basée sur le non garantie de restitution des dépôts d'investissement dans son intégralité ne saurait être fondé, du moment qu’il ne vise pas en réalité, un dépôt classique mais un véritable placement. Cette forme de dépôt qualifiée en droit musulman de prêt qard hassan, impose à emprunteur l’obligation de rembourser les fonds déposés dans ce compte.

335. Les détracteurs du système bancaire ne se limitent pas là, mais sont allés plus loin en

reprochant aux banques islamiques de ne pas rémunérer les fonds déposés. Cette idée ne peut pas constituer une argumentation solide car la rémunération des comptes à vue a été interdite dans beaucoup de pays et le conseil de crédit l'avait également interdit592. Cette position française étant isolée dans l’espace européenne, ce qui a permis la saisine de la CJCE d’une question préjudicielle, et la Cour a confirmé que cette interdiction est contraire au droit communautaire593.

336. C’est sur l'ensemble de ces points que le système bancaire islamique est critiqué et

qualifié du même coup comme des associations ou des entreprises à but non lucratif ou des

589 P. Henry Antonmattei , J. Raynard, Droit Civil : Contrat spéciaux, Litec, Paris 2008, p. 395

590 La jurisprudence exige l’existence d’une faute pour engager la responsabilité , ce qui nous fait penser qu’il s’agit d’une obligation de faire, Civ. 1, 16 mai 2006, Bull. Civ., I, n° 241, Dalloz 2006 IR 1564

591 H. Bogler, Le banquier mandataire ? Les mandats visant à réaliser un mouvement de fonds, thèse Nice 1992, pp. 12 et s.

592 Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, op. cit. p. 238, selon l’auteur la rémunération du dépôt à vue était

interdite sous certaines exception tenant en compte la durée et le montant : cf. Chambre Civ , 28 juin 1967,

Revue banque 1974, p. 422

593 CJCE, 5 oct. 2004, Dalloz 2005, 370 note Boujeka; un arret du 8 mars 2005 est venu confirmer la suppresion de cette interdiction en interne. Cf. F. Dekeuwer-Défossez, S. Moreil, Droit bancaire, Dalloz, 2010, p. 21.

177

œuvres de bienfaisance594. Malgré toutes ces attaques plus ou moins fondées, il est à noter et à montrer que le système de la banque islamique peut très bien être qualifié de banque.

II. La reconnaissance de la qualité de banque : la banque islamique, un