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Paragraphe I : Fondements religieux

B) Les sources dérivées

125. Le droit musulman est un droit normatif. En ce sens, il pose un ensemble d’interdits, tel

que la prohibition de l’intérêt, de l’incertitude, de l’ambiguïté, de la spéculation.268 Cette caractéristique pose un problème d’interprétation lorsqu'il est question d'analyser le sens et la portée des hadiths et des versets coraniques qui traitent de la question. La charia, qui constitue le volet pratique de l’Islam constitue la voie fixée par Dieu pour arriver au salut. Cette loi islamique trouve donc ces sources dans des domaines différents. Tous les juristes musulmans ou même le simple croyant qui veut résoudre des difficultés liées non seulement à sa vie pratique, mais aussi à d’autres secteurs d’activité, commenceront à chercher dans le Coran, qui est la source principale. Lorsque le livre saint ne donne pas de solution

266 R. Saadallah, « Le financement islamique: concepts et principes généraux », in Les techniques d'introduction de la finance islamique, p. 14

267 M. Doualibi op. cit. p. 4.

268 J. Paul Laramée, (dir.) Finance islamique à la française, moteur pour l’économie, une alternative éthique, op.

cit.p. 35. ; voir sur ce point L. Millot, Introduction à l’étude du droit musulman, Sirey, Paris 1953, n° 799 à 801

Dahman Ben Abderrahmane, « Le droit musulman Fondement d’une Finance Alternative reposant sur

l’économie réelle et le partage du risque », in La finance islamique: l’autre Finance, op.cit. p.72. Selon l’auteur,

en droit musulman, la matière des obligations notamment se trouve enserrée dans un maillage de prohibitions, établi pour assurer l’équité dans les contrats et l’équivalence des prestations consenties de part et d’autre.

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satisfaisante à un problème, ils rechercheront dans la tradition du Prophète, la sunna. En tant que seconde source de la loi musulmane, celle-ci a pour rôle d’expliquer, de renforcer ou de compléter les versets du Coran. Cette source est d’autant plus fiable que le Prophète était l’interprète du Coran et avait pour tâche de transformer la révélation en règles d’action permettant de donner un exemple de la voie prescrite par Dieu sur terre.269

126. Après la mort du prophète et de certains de ses compagnons qui transmettaient ses actes

et son comportement, les croyants commencèrent à rencontrer des problèmes inédits qu’il fallait cependant résoudre et pour lesquels les sources principales ne fournissaient pas des solutions adéquates. A partir de là un corps de pratiques s’est progressivement réifié et une sorte de jurisprudence faite des règles dérivées des sources premières270 de l’Islam s’est mise en place sous le non de Fiqh271. Les techniques utilisées pour développer ce corpus ont été regroupées sous le nom d’ijtihad272.

La plus grande partie de ces méthodes est utilisée par les jurisconsultes au niveau individuel pour déterminer des solutions ponctuelles à des problèmes donnés. Il s’agit de l’analogie (qiyas) (1), de la préférence juridique (istihsan) (2), de l’intérêt général (istislah) et des coutumes et traditions (urf) (3). Rappelons que, selon certains, la coutume et la jurisprudence ne sont pas des sources du droit musulman.273

1) Le consensus ou idjima

127. Le consensus, est une source secondaire du droit musulman274. Comme dans tout système juridique, il faut des sources qui complètent les sources principales pour éviter des incompréhensions ou des vides juridiques. Le droit musulman n’est pas en reste. Rappelons que le droit musulman est un droit difficile à interpréter du fait de la divergence au sein des écoles de pensées. A cela s’ajoute les avis de certains juristes comme celui de Muhammad’ Abduh, qui avait préconisé la réinterprétation des principes contenus dans la révélation divine pour servir de base à une formation juridique. D’autres érudits comme Iqbal en Inde, reprenant le même thème, étaient d’avis que les générations actuelles avaient non seulement

269 Coran, verset 16 sourate 44. 270 Coran et la Sunna

271 La jurisprudence islamique

272Source secondaire du droit musulman. Il s’agit de l’effort de réflexion personnelle des juristes musulmans, visant à proposer des solutions à des problèmes qui se pose aux musulmans.

273 F. P. Blanc, L’ introduction à l’étude du droit musulman Dalloz, 2001, p. 30.

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le droit, mais même le devoir d’exercer l’ijtihad ou le jugement indépendant, si elles voulaient que l’Islam soit adapté au monde moderne275. Ce libéralisme avait donné naissance à une divergence voire même un désordre au sein des écoles sur la question de l’interdiction de l’usure dans le Coran et la sunna. Deux courants majoritaires de l’Islam se sont toujours affrontés pour interpréter les actes et la tradition du prophète. Les sunnites, qui développèrent un véritable système accordent une importance particulière à la Sunna. Les chiites, quant à eux, soulignent sans doute l’importance de la sunna mais ils y incluent les paroles de leurs imams.

Chez les Sunnites, on peut distinguer quatre écoles dont nous nous contenterons ici de citer la conception des versets et des hadiths relatifs à l’interdiction du riba. Les Hanafites condamnent l’inégalité arithmétique dans l’échange de tout ce qui se mesure, se pèse ou se compte. Les Malékites autorisent l’inégalité arithmétique pour des animaux de même espèce s’ils ont des vocations différentes. Les Chaféites mettent l’accent sur les métaux précieux en estimant que tout échange inégal de ces métaux est susceptible d’usure, donc interdit. Les hanbalites exigent deux conditions, en plus de l’égalité, qui sont la simultanéité et l’équivalence dans les échanges.

128. Ces différentes thèses des multiples écoles de pensées, qui auraient du clarifier la

tradition du Prophète ont, au contraire, donné naissance à une rupture brutale et engendré de violentes controverses. Cela a conduit à ce qu’on a appelé « la fermeture des portes de l’interprétation ». Les juristes de toutes les écoles arrivent à la conclusion que toutes les questions essentielles ont désormais été abordées et un consensus s’est établi graduellement pour convenir que personne ne peut plus prétendre avoir les qualifications nécessaires à une exégèse indépendante276 Et notamment, à propos de la pratique de l’intérêt dans l’Islam un consensus a été établi. Le riba connaît en effet une réprobation aussi forte dans les différentes écoles de pensée islamique. En s’appuyant sur l’ensemble des sources du droit musulman, les jurisconsultes condamnent tout ce qui ne respecte pas l’équilibre arithmétique des prestations tant pour le créancier que pour le débiteur, dans tous les types de prêts.277

275 N. Joseph Coulson, Histoire du droit islamique, Presses Universitaires Françaises, p. 192. 276 A. Maoula chaar «, Charia et institution » in La finance islamique à la française, op. cit. p. 68. 277 H.Algabid, Les banques islamiques, éd. Economica 1990, p. 43.

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Cependant, le terme de consensus ne doit pas être pris au sens littéral du terme ; il n’est pas un assentiment direct de la généralité des adeptes de l’Islam. Dans son acception technique, l’idjma est un accord des juristes et sa notion demande à être soigneusement précisée. L’institution puise son fondement dans le verset IV, sourate 115, selon lequel « Quant à celui qui se sépare du prophète après avoir clairement connu la vraie direction et qui suit un chemin différent de celui des croyants : nous nous détournerons de lui, comme lui-même s’est détourné ; nous le jetterons dans la géhenne ». Tout ce qui a l’approbation générale des adeptes de l’Islam est donc juste et doit être obligatoirement reconnu. Qui le nie est un mécréant.

Les hadiths sont plus explicites : « ce qui a paru bon aux musulmans est bon au regard de Dieu. », « Ma communauté ne tombera jamais d’accord sur une erreur. » « Vous êtes les meilleurs des hommes et il est de votre devoir d’interdire que les hommes fassent ce qui est injuste. », « Celui qui se sépare du peuple de la distance d’un empan mourra de la même mort qu’aux jours de l’ignorance. »

L’idjima constitue ainsi la troisième source de droit musulman après le Coran et la sunna et le troisième degré de manifestation de la volonté divine, puisqu’il est fondé sur une sorte d’inspiration diffuse par laquelle la communauté des croyants ne perd jamais le contact avec la vérité, c'est-à-dire Dieu278.

129. Elle résulte de l’accord des juristes qualifiés (mudjtahid) appartenant à une même

génération de gens « qui lient et délient ».279 A partir de ce consensus une autre source accessoire a pu se développer qui est le raisonnement par analogie.

2) Le raisonnement par analogie ou Kiyas

130. Si les trois premières sources du droit, Coran, Sunna, idjima, qui dépendent plus ou

moins de l’inspiration et qui sont, dés lors, infaillibles, ne permettent pas de trouver une solution, il y a lieu de faire appel au raisonnement par analogie (kiyas), qui est un critère humain, donc faillible. Il ne s’agit pas d’interpréter l’esprit de la loi, mais il est question d’élargir éventuellement le texte dans un cercle plus large. Il ne s’agit pas non plus d’un jugement individuel susceptible, comme tel, de la fantaisie et de l’arbitraire, mais d’un

278 D. Santillana, Istituzioni, p. 32.

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raisonnement systématique, discipliné par les règles de l’analogie. C’est cette interprétation qui a été faite sur le sens du mot riba, puisque, selon certains, ce terme traduisait seulement le mot usure. Or, si tel était le cas, le système des banques Islamiques ne saurait se distinguer de celui des banques classiques car ces dernières aussi interdisent l’usure.

131. L’analogie est, en quelque sorte, la conformité ou la ressemblance existant entre deux

êtres, deux choses, deux concepts différents.280 Nous ne développerons pas ici cette source accessoire qui ne peut être envisagée que cas par cas Pour ce qui concerne le riba, les sources principales du droit le condamnent de manière suffisamment claire dans tous ces sens et sous toutes ses formes281pour qu’il ne soit pas utile de nous étendre davantage sur cette source accessoire.

3) les fatwas ou fiqh

132. En ce qui concerne la période contemporaine, les banques islamiques se fondent sur les

fatwas modernes pour rejeter la riba,.La pratique des intérêts bancaires est en effet unanimement condamnée par les institutions Islamiques compétentes comme les fatwas délivrées par la commission permanente d'Ifta du royaume d'Arabie Saoudite. Pour montrer l'influence des fatwas dans le système il est nécessaire de citer à titre d'illustration certaines d’entre elles.

Une première fatwa a été délivrée par la chambre égyptienne d'Ifta le 15 janvier 1989 par le Cheikh Tantaoui, actuel Moufti (savants), interdisant toutes formes d'intérêts bancaires: dans cette affaire, le citoyen Abdallah Mustapha avait posé à Dar Al Ifta'a une question dans laquelle il indique qu'il a déposé une certaine somme d'argent dans une banque et demande si les intérêts ainsi obtenus sont licites ou illicites. Peut-on en payer un montant au titre de zakat? Est-il permis d'en utiliser une partie au profit des bonnes œuvres telles que la construction d'une mosquée? Le Mufti a répondu en disant que les intérêts bancaires, dès lors qu'ils sont fixés à l’avance, relèvent du riba al-ziadah interdit selon la Charia ; ils ne sont pas assujettis à la zakat (aumône) contrairement au principal qui l'est s'il atteint le minimum imposable. Les intérêts sont de l'argent mal acquis pour lequel la zakat n'est pas permise. Une deuxième fatwa a été rendue par l’Académie Islamique du Fiqh (jurisprudence) de

280 Idem. p 114.

281 A. Abi Haidar, La banque islamique : Essai d’intégration dans un système juridique de type occidental, thèse Paris 2, 1991, pp. 221 et s.

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l'organisation de la conférence Islamique : cette fatwa est relative à la position de la Charia vis à vis des transactions bancaires à intérêts et des transactions avec les banques islamiques.

133. Le conseil de cette académie réunie en sa deuxième session à Jiddah du 10 au 16 rabi II

1406 H282 a été saisi sur des questions relatives à des activités bancaires contemporaines. Après une étude approfondie et une discussion détaillée des documents et des mémoires qui faisaient l'objet de l'étude, des constatations ont été faites quant aux effets néfastes produits sur les transactions, sur l'ordre économique mondial et notamment sur la situation politique voire la stabilité de certains pays du tiers monde. Cela s’explique par l'éloignement de ces pratiques par rapport aux préceptes de l’Islam. C'est ainsi que le conseil de l'Académie décide que « premièrement : « … toute augmentation appliquée à une dette échue que le débiteur n'est pas en mesure de payer contre prorogation de l’échéance, de même que l'augmentation appliquée à un prêt depuis le début du contrat, constitue de l'usure qui est interdite par la Charia. Que, deuxièmement, l'alternative qui garantit la disponibilité de capitaux et stimule l'activité économique d'une manière acceptable par l’Islam consiste à se conformer, dans ses transactions, aux jugements issus de la Charia notamment ceux rendus par les organismes de fatwas compétents sur tous les aspects des transactions pratiquées par les banques islamiques dans la réalité concrète. Troisièmement: l'académie a décidé de réitérer son invitation aux gouvernements Islamiques à encourager les banques islamiques existantes et à faciliter la création de telles banques dans tous les pays musulmans de manière à couvrir les besoins de l’Oumma et ce, afin que le musulman ne vive pas en contradiction avec les exigences de sa foi ».

134. Une troisième fatwa a été délivrée par l'académie de recherche islamique du Caire, lors

de sa deuxième conférence, tenue au mois de mai 1965. En ce qui concerne les transactions bancaires, la conférence décide que le prêt à intérêt est interdit et ne saurait être permis sous prétexte d’un besoin ou de la nécessité. L'emprunt à intérêt est également interdit, mais le péché qu'il comporte n'est levé que si l'emprunt est motivé par la nécessité absolue. Et chacun est laissé devant sa conscience pour ce qui est de l'évaluation de cette nécessité. Une quatrième fatwa consiste dans une résolution de l'Académie de la Ligue du Monde musulman

282 Cf. La résolution n°10 (10/2) concernant, les transactions bancaires comportant des intérêts et les transactions des banques islamiques, in « Résolutions et recommandations du conseil de l'Académie islamique du Fiqh1985-2000 à Jiddah », publication de l'institut islamique de recherche et de formation, BID, 2000,

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relative à la prolifération des banques usuraires , aux transactions avec ces banques et à la position de la Charia vis à vis des intérêts usuraires Cette sentence rappelle, en substance, dans l'une de ses motivations que : « …des conférences et des colloques (ont été) tenus dans maints pays musulmans et aussi hors du monde Islamique , pour décider à l'unanimité que les intérêts usuraires sont interdits et confirmer la possibilité de créer des institutions conformes à la Charia afin de remplacer les banques et les institutions fondées sur l'usure »

135. On peut donc constater, à travers ce bref parcours des sources du droit musulman et de

leurs positions sur le problème qui nous intéresse, qu’il y a unanimité du rejet catégorique du riba pour des raisons tenant au dogme. Mais ces fondements religieux ne sont pas les seuls à fonder le système financier islamique, Il est également des fondements éthiques importants.