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L’harmonie du prêt de production avec les règles religieuses

Paragraphe I : La condamnation traditionnelle de l’intérêt

B) L’harmonie du prêt de production avec les règles religieuses

44. Le second type de prêt qui, comme son nom l’indique est un prêt de production permet à l’emprunteur de créer une valeur ajoutée produisant des profits118. Ce prêt à la production n’était pas trop pratiqué compte tenu de la taille des marchés et le niveau industriel de l’époque. Cela entrainait que seuls les prêts à la consommation étaient les plus pratiqués mais non seulement ils ne permettaient pas de résoudre les problèmes de l’époque mais ils contribuaient à les aggraver en provoquant des surendettements. De ce caractère inattendu il résultait une défaveur pour le prêt en général et plus particulièrement pour le prêt à la consommation. Cette conception du crédit se manifestait surtout dans certains pays où le prêt à la consommation était l’activité principale des banquiers, comme dans les villes phéniciennes et dans les sociétés arabes119. C’est cette préférence du prêt à la consommation au détriment du prêt à la production et son inutilité qui avaient donné naissance à un climat défavorable à ces types de prêts et à la notion de prêt à intérêts en général.

45. En effet le prêt, du point de vue économique, n’est plus un instrument de production mais un moyen d’exploiter les pauvres. Il en est ainsi aujourd'hui dans des pays comme la France, avec la recrudescence du crédit à la consommation, qui augmente le taux d’endettement des particuliers, ce qui a entrainé l’adoption d’une loi qui vise à allonger le délai de rétractation dans le domaine du crédit à la consommation en le faisant passer de 7 à 14 jours120.

46. Il ne faut pas assimiler, l’intérêt et le capital, car le capital ne correspond pas toujours à l’argent ou la monnaie. Comme nous le rappelle Leroy Baulieu: « ce que le préteur livre en réalité à l’emprunteur, c’est le capital, sous son expression la plus générale, la plus indéterminée, mais susceptible de se transformer en objets concrets, au choix et suivant les besoins de l’emprunteur. Ce qui fait, en substance, l’objet du transfert c’est la faculté appartenant au préteur, par suite soit de ses épargnes, soit de son travail antérieur, soit des arrangements sociaux, de puiser dans l’actif social, jusqu’à concurrence d’une valeur

118 Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, 8e éd. Litec, 2011, p. 243.

119 Gh. Ghaussy, « Etude sur la théorie de l’ordre économique islamique », Les capitaux en islam, op. cit. p. 44. 120 Cf. S. Piedeliévre, « La réforme du crédit à la consommation », Dalloz, 2010, 1952, n° 1 : La loi Lagarde : Reforme du crédit à la consommation et lutte contre le surendettement, Ministre de l’économie des finances 2011,

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déterminée des objets de toutes nature à son choix. Or ces objets peuvent être soit des articles de consommations, soit des instruments de production 121»

Nous pouvons donc observer que la plupart des religions, du moins à l’origine, ont été, avec plus ou moins de rigueur, défavorables à l’intérêt. Uniquement préoccupées de répandre parmi les hommes les idées et les sentiments d’amour et de charité, elles considéraient comme une infraction aux relations charitables et comme une violation de la nature des choses un prêt qui comporte non seulement la restitution de la chose prêtée, mais encore un accroissement. Nous pouvons citer un exemple de cette hostilité à travers les propos d’un économiste espagnol très connu dans les études théologiques, qui résume la position de toutes les religions monothéistes sur leur condamnation sans équivoque de la prohibition de l’intérêt : « On sait que la loi judaïque primitive n’a admis le prêt à intérêt que dans les relations des hébreux avec les autres et non dans celle des hébreux entre eux ». On sait que le Coran interdit aussi l’intérêt et le Deutéronome dit : « tu ne donneras pas à ton frère de l’argent à usure et tu n’exigeras pas de lui plus de grains que tu ne lui en as donné » et le Lévitique confirme cette règle : « tu ne prêteras à usure ni l’argent, ni grains, ni autre chose quelconque à ton frère, mais seulement à un étranger 122». Enfin on sait que l'Évangile de Saint Luc dit expressément : « aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez-leur sans en espérer aucun avantage 123».

47. Le reproche que la plupart des religions adressent à l’intérêt, c’est le fait que les préteurs à intérêts s’enrichissent des misères du prochain, qu’ils tirent avantage de la faim et de « la nudité des pauvres, que prêter à intérêt, c’est récolter là où l’on n’a rien semé. » selon Saint Basile124.

121 Cf. A. Toussi, Le taux d’intérêt dans le système bancaire islamique, op. cit. p. 67.

122 Le Lévitique XXV, 35-37, V. S. Aldeeb, « Les banques chez les Juifs, Chrétiens et Musulmans », op. cit. p. 6. 123 Cité par R. Drai, « La question de la monnaie dans le judaïsme », in Ethique financière,, centre de recherche en éthique économique et des affaires et de déontologie professionnelle, Ed. Librairie de l’université d’Aix-en-Provence, coll. « Ethique et déontologie », 2000, p. 78.

124 V. L. Aragon, « L’usure mosaïque en terre de France » :

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48. Le trait commun de toutes les réflexions et analyse religieuses est l’affirmation de l’infécondité de l’argent : comme le disaient les romains « l’écu n’engendre pas d’écu 125».

49. Cette condamnation du prêt à intérêt remonte donc à un temps très lointain comme étant contraire à la morale et à la justice sociale. Chez les Grecs, une doctrine de la lutte contre la pratique de l’intérêt apparait pour la première sur les écrits d’Aristote, qui considère que l’activité économique toute entière est suspecte et dangereuse. Toute transaction, tout transfert de fonds qui donne lieu à une rémunération ou un paiement est immoral126. Selon ce philosophe grec l’argent ne fait pas de petits. Il doit plutôt faciliter l’échange. Les romains n’étaient guère attirés à l’origine, par les activités bancaires et financières. Quant le besoin s’en faisait sentir, ils se contentaient de recourir au crédit mutuel « mutum » conçu, du moins à l’origine, comme une forme d’entraide excluant le taux d’intérêt. Comme le résume Lebras cette situation dans son article intitulé le mot l’usure : « comme le droit grec, le droit romain a connu le prêt à intérêt, mais tandis qu’il fut en Grèce un élément de prospérité, il n’engendre à que misère et troubles … 127».

C’est dans ce contexte que les Grecques ont réglementé le prêt à intérêt128. Le prêt a eux une double fonction politique découlant de la nature de la chose prêtée. Les biens consomptibles, c'est-à-dire qui se pèsent, se comptent ou se mesure. Les prêt d’usage appelé commodat qui exige le transfère de propriété129.

50. Cette condamnation unanime de l’intérêt dans les religions monothéistes à travers la plume de certains penseurs130, pour garantir une justice sociale basée sur des relations commerciales ou financières guidées par des principes de solidarité et des règles participatives. Parmi ces théologiens qui ont développé des thèses pour innocenter le prêt à

125 Cf. Aristote, Les politiques, op. cit. p. 12, l’auteur développe l’idée de la stérilité de la monnaie, « L’argent ne fait pas de petit ».

126 Ch. Cardahi, « Le prêt à intérêt et l’usure au regard des législations antiques, de la morale catholique du droit moderne et de la loi islamique », Revue internationale de droit comparé, Vol. 7 n° 3, Juil. Sept. 1955, p. 499. 127 G. Lebras, op . cit . 2320.

128 Ch. Cardahi, « Le prêt à intérêt et l’usure dans la législation babylonienne, dans la Grèce antique et dans le Rome », in « Le prêt à intérêt et l’usure au regard des législations antiques, de la morale catholitique, du droit moderne et de la loi islamique », op. cit . p. 501

129 A. Toussi, Le taux d’intérêt dans le système bancaire islamique, op. cit. p. 27.

130 Cf. H. Benmansour, L’Islam et le riba : pour une nouvelle approche du taux d’intérêt, Dialogues Paris, 1996, p. 32. Baqer al-Sadr, Max Weber,

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intérêt, on peut citer Saint Thomas au XIIIème siècle qui autorise l’intérêt par le fait que. Selon, ce dernier le prêteur subit un double préjudice d’une part du fait de sa perte de droit de propriété pendant toute la durée de l’opération de prêt et d’autre part par le profit que l’emprunteur tire de son patrimoine.131 C’est cette thèse de Saint Thomas qui nourrit tout le développement en faveur de ce courant qui autorise la pratique du prêt à intérêt. Il est vrai que la thèse développée ci-dessus fait allusion aux prêts à la production. La distinction des deux catégories de prêt avait posé les premiers critères permettant à assouplir la condamnation de l’intérêt.