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Paragraphe I : Fondements religieux

A) Les sources principales du droit musulman

78. Ces sources principales sont composées du coran (1) et des textes de références (2), que

nous allons examinées respectivement.

1) Le Coran

79. « O vous qui croyez ! Croyez en Dieu et en son prophète, et au livre qu’il a révélé à son

prophète et au livre qu’il a révélé auparavant. Quiconque ne croit pas en Dieu, à ses anges, à ses prophètes et au jour dernier, se trouve dans un profond égarement »199.

Ce verset résume bien le fondement de l’islam, l’importance du Coran et sa place dans la législation musulmane. Le Coran est le livre sacré des musulmans. Il est la parole directe d’Allah (swt)200et représente la source principale du droit musulman et, en outre, la seule qui soit irréfutable. Il correspond en quelque sorte au code civil, politique, et religieux qui règle la conduite des musulmans. Le Coran est composé de 6236 versets répartis en 114 chapitres ou sourates. Parmi les règles qu’il édicte, certaines représentent des interdictions telles que la prohibition de l’intérêt. Comme dans tout système juridique ou législatif, le Coran, pose en plus de ses recommandations, des interdictions, et c’est la raison pour laquelle il est qualifié de droit normatif. Ces interdictions sont d’ordres et de degrés divers.

D’ordre confessionnel : c’est la défense d’associer une autre divinité à Allah, de croire aux idoles, d’abjurer l’Islam,

1. D’ordre moral ou social : défense de tuer, de mentir… ;

2. D’ordre matrimonial : défense d’épouser sa mère, sa fille, sa sœur… ;

3. D’ordre alimentaire : défense de consommer la chair de porc, la chair de la bête qui n’a pas été immolée rituellement, des boissons fermentées… ;

199 Coran, Sourate IV, verset 136 « les Femmes ».

200 Initiale de Sobhannahouwata’ala, formule de glorification parmi d’autres qui sont prononcées lors de la mention de Dieu

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4. D’ordre économique : défense de s’emparer des biens d’autrui, défense de stocker les produits du marché, de thésauriser sauf dans certaines conditions, défense de consentir ou d’octroyer des prêts à intérêts.

80. L’interdiction de l’intérêt en Islam est absolue201 ; pour en prendre une réelle mesure il faut se référer à l’origine du mot dans la langue arabe. Le terme vient du verbe « raba » qui signifie « augmenter ». Il désigne donc une augmentation de l’un des biens échangés sans qu’il y ait compensation de cette augmentation.202 La définition la plus courante du mot riba dans un contexte de la loi musulmane est celle « d’un profit ou d’un gain illicite découlant d’une inéquivalence dans la contre-valeur des prestations réciproques au cours de l’échange entre deux ou plusieurs biens de la même espèce, du même genre et régis par la même cause efficiente203. » Ce terme correspond à deux notions bien distinctes dans la terminologie de la finance occidentale : l’usure et l’intérêt204 .

En soi, le riba ne contient pas nécessairement une connotation de faute, il peut désigner un accroissement licite. Ainsi tout taux prédéterminé et fixe, lié au capital et indépendant de la performance de l’investissement est considéré comme riba. Il est nécessaire de la distinguer avec certaines notions voisines tels que, le profit, l’usure et les commissions bancaires, voire les agios .Comme il a déjà été dit précédemment, l’usure est un taux intérêt excessif tel qu’il fait l'objet d'une interdiction figurant, par exemple, dans les dispositions du Code de la consommation et notamment au sein des articles L.313-3 à L.313-6 du dit Code 205. Le droit français, contrairement au droit musulman, interdit le prêt usuraire mais autorise le prêt à

201 I. Chapelliére, Ethique et Finance en Islam, éd. Koutoubia 2009. p. 81 ; H. Benmansour, L’Islam et le riba :

pour une nouvelle approche du taux d’intérêt, Dialogue Editions, Paris, 1996. Selon l’auteur la définition du mot

riba dépasse de loin celle de l’intérêt ou même de l’usure, au sens contemporain.la polémique s’articule tout d’abord au tour du domaine d’application du riba

202Ag-Gaziry, al-fiqh’ala al-mazahid, Beyrouth, 2V, 1963.Il faut distinguer l’usure d’excédent ou usure de surplus ; Geneviève Causse, La finance islamique: les principes et les principales opérations, in la finance

islamique: une autre Finance op.cit. p. 26, selon l’auteur le riba est tout intérêt stipulé contractuellement, calculé

préalablement sur la base du capital initial prêté et du temps, convenu sans aucune relation avec les résultats éventuels de l’opération financée. ; M. EL-Gamal, Finance islamique, Aspects légaux, économiques et

pratiques,De Boeck. 2010, p. 77.

203 The general principles of Saudi, Arabian and Omani company laws, Londres, 1981.

204 E. Jouini, O. Pastré, « Enjeux et opportunités du développement de la finance islamique», rapport présenté à la place de paris Novembre 2008 ; V. aussi les mêmes auteurs, La finance islamique une solution à la crise ? op.

cit. p. 54.

205Aux termes de l’article L. 313-3 du Code de la consommation, est déclaré usuraire « tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du semestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues »

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intérêt, bien que le crédit à taux zéro ou gratuit soit aussi connu dans le droit français206. En droit musulman, l’usure est contenue dans le riba, comme l’espèce est contenue dans le genre.207 Le terme d’usure pris dans son sens premier, à savoir tout surplus ou intérêt sous toutes formes, peut donc traduire le riba208. Même si les banques islamiques ne prélèvent pas des intérêts elles prennent des charges administratives fixées par la banque islamique de développement entre 2,5 et 3%, perçue annuellement et calculé à compter de la date d'engagement209 ou des profits avec la mise en œuvre du principe de partage des profits et des pertes.

81. L'intérêt dans les opérations de crédit et le profit ont le même but qui est la

rémunération du capital, et si on analyse les dispositions du code monétaire et financier210, qui définissent, l’opération de crédit, c’est le caractère onéreux de l’opération qui permet de qualifie l’opération de crédit. Comment la loi islamique autorise-t-elle le profit et interdit-elle -l’intérêt ?

La définition juridique du mot profit, permet de comprendre cette distinction.

Si le profit représente une rémunération ou une augmentation du capital obtenue par la transformation de celui-ci, grâce au travail ou à un effort produisant un bénéfice économique réel, l’intérêt, quant à lui, représente une augmentation du capital monétaire sans effort sur le seul fait de l’écoulement du temps211. La différence essentielle entre l’intérêt et le profit est que l’intérêt représente un coût fixe supporté par le projet économique et que ce prix se détermine dans la plupart des cas selon la conjoncture du marché monétaire sans relation de causalité avec la production ni le travail, alors que la part du profit représente un partage du rendement de l’entreprise et que cette part augmente ou diminue selon la productivité du projet. Cette distinction entre ces deux notions n’a pas réellement un intérêt en droit, puisque seul le caractère onéreux de l’opération suffit pour qualifier l’opération de crédit. Il est clair que le riba implique toujours une transaction qui suppose une contrepartie où l’équivalence

206 Y. Gérard, Th. Bonneau , Ph. Guillermin et A. Gourio, « Crédit gratuits et promotionnel : vraies et fausses rémunérations, Revue de Droit bancaire et financier, mars-avril 2007, p. 89.

207 B. Vachon, le riba, manuscrit sans date-in la salle de droit musulman, université de paris II.

208 M. Boizard, Le régime juridique et fiscal de l’intérêt, thèse, Paris I, 1986, pp. 8 et s; I. Chapelliére, Ethique et

Finance en Islam, op. cit. p. 85

209 H. Algabid, Les Banques Islamiques, éd. Economica 1990, p. 1. 210 L’article L. 313-1 du Code monétaire et financier.

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des prestations n’est pas respectée ; ce qui rompt l’équilibre des obligations réciproques des parties et par conséquent, l’économie de base du contrat est ébranlée. Cela explique la prohibition divine de ces transactions par l’islam.

2) Les textes de référence relatifs à cette interdiction en droit musulman

82. Dans les six milles deux cents trente six versets du Coran, seuls cinq cents traitent dans

la majeure partie des prescriptions rituelles qui ne s’intéressent pas directement, à l’organisation sociale. En fait, les versets qui concernent directement le droit dans son acception générale ne dépassent pas deux cents et ceux qui traitent des questions commerciales ou financières sont encore plus rares. Quatre sourates du Coran, mentionnent cette interdiction à des occasions différentes. L’expression de cette prohibition est représentée dans sa forme la plus claire à la sourate II, verset 275 au verset 281.

« Ceux qui se nourrissent de l’usure ne se dresseront au jour du jugement que comme se dresse celui que le Démon a violemment frappé. Il en sera ainsi parce qu’ils disent : la vente est semblable à l’usure ; mais Dieu a permis la vente et il a interdit l’usure. Celui qui renonce au profit de l’usure, dès qu’une exhortation de son seigneur lui parvient gardera ce qu’il a gagné ; son cas relève de Dieu. Mais ceux qui retourneront à l’usure seront les hôtes du feu ou ils demeureront immortels. (…) O vous qui croyez ! Craignez Dieu !renoncez si vous êtes croyants à ce qui vous reste des profits de l’usure. Si vous ne le faites pas attendez-vous à la guerre de la part de Dieu et de son prophète ».

83. On remarquera que les termes d’intérêt et d’usure sont ici interchangeables.

L'importance de ce verset est le fait qu’il confirme la validité de la vente et du commerce malgré le fait que certains assimilent le prêt à intérêt à l’activité de commerce. Le commerce fut l’activité du prophète et il est considéré par les croyants comme étant une activité noble. Donc seul l’usure ou l’intérêt est prohibé. Cela implique l’absolue nécessité de se repentir pour ceux qui ont pratiqué l’usure : ils doivent renoncer « à ce qui reste des profits de l’usure » mais les récidivistes n’auront plus la chance de repentir ils seront irrémédiablement condamnés. Reconnaître le caractère illicite de l’usure est donc fondamental, car cela relève de l’affirmation de sa foi. L’avoir pratiqué peut être pardonné mais une seule fois. Comme dans toutes les règles de droit, la violation de cet interdit donne lieu à une ou des sanction(s). C’est le châtiment annoncé (feu éternel) qui reste la sanction essentielle. Ce verset fait

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allusion aux croyants qui se nourrissent de l’usure. Et d’autres versets, s’adresseront aux gens qui le pratiquent. C’est l’exemple du verset 39 de la sourate 30, les « Byzantins ».

« L’intérêt usuraire que vous versez pour accroitre les biens d’autrui ne les accroit pas auprès de Dieu, mais ce que vous donnez en aumônes en désirant la face de Dieu voilà ce qui doublera vos biens 212».

A la différence du verset précédemment cité 275, celui-ci utilise le terme intérêt usuraire, qui est interdit, comme on sait, dans d’autres systèmes juridiques Il convient de noter que cette interdiction n’est ici qu’une allusion ne venant en quelque sorte qu’en contrepoint de ce qu’il faut faire. En outre, l’adresse est faite au débiteur qui est exhorté à ne pas pratiquer l’usure car ce qu’il verse en plus serait mieux utilisé en aumônes.

Dans les deux autres sourates, III et IV versets 160 à 162, l’interdiction est aussi importante, mais elle n’était pas aussi claire que dans les deux précédentes. Dans la sourate IV, la condamnation est prononcée sous forme d’avertissement et de rappel de ce qui est advenu à d’autres peuples auxquels Dieu s’était adressé. Elle est là bien plus forte que dans la sourate précédente. Dans la sourate III, l’injonction est également nette mais elle a prêté à interprétation213.

84. Rappelons que dans le Coran, les quatre sourates qui traitent de l’interdiction du riba,

ont été présentées dans l’ordre chronologique. Cela atteste de la fermeté de cette interdiction dans la religion musulmane. Nul doute sur cette interdiction même mais le sens et la portée de ces versets sèment le doute voire même l’incompréhension au sein de certains courants de pensée. De ces interprétations et de ces explications nait un certain désaccord au sein de la communauté islamique La première difficulté d'interprétation concerne la sourate III dans ses versets 130 à 132 « de la famille d’IMRAN ».

« O vous qui croyez ! Ne vivez pas de l’usure,

Produisant plusieurs fois le double Craignez Dieu !

Peut être serez-vous heureux,

212 Coran, verset 39, sourate 30.

66 Craignez le feu préparé pour les incrédules Obéissez à Dieu et au prophète

Peut être vous sera-t-il fait miséricorde ! 214»

C’est évidement le passage « produisant plusieurs fois le double » qui a permis à certains penseurs et savants musulmans du XIXe siècle de soutenir que c’est l’usure doublée qui est en cause. Ce qui signifierait que ce sont les intérêts composés qui sont interdits. Toutefois, toutes les écoles de pensée musulmane sont unanimes sur la condamnation de l’intérêt mais le contentieux s'était transposé sur le sens exact de ces versets. Ces différents versets qui ont posé le principe de l’interdiction de l’intérêt sont interprétés différemment selon les écoles. Au départ on pensait que c’était le troc qui était interdit.

85. Mais ces versets coraniques ont été interprétés par la doctrine qui a trouvé son

expression dans certains pays arabes et musulmans. En effet ces textes qui traitent du riba dans la religion musulmane et qui trouvent leur base dans le Coran, ont été reproduits dans la législation de certains pays musulmans, bien que le Coran, ne soit pas une source directe du droit dans certains de ces pays.